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À Calais, le foot pour oublier l’enfer

Par Florent Caffery, à Calais
À Calais, le foot pour oublier l’enfer

Oubliez la folie furieuse du Parc des Princes, les bars confortables ou le combo pizza-bières entre potes. Mardi soir, au milieu de la boue, des tentes, des rondes de CRS et d'une zone d'activité, une cinquantaine de réfugiés se sont rassemblés à Calais pour regarder ce PSG-Real. On y était.

Alors que Kylian Mbappé slalome dans la surface madrilène, un jeune Soudanais explose de joie. « Ici , c’est Paris ! » lâche-t-il, emmitouflé dans une doudoune orange et bleu, avant de célébrer à la manière de l’attaquant français l’unique but de ce huitième de finale aller de Ligue des champions entre le PSG et le Real (1-0). « Ils ont explosé comme des dingues, se marre Foued, l’une des deux têtes pensantes de l’association Mosaic, qui propose régulièrement des animations culturelles aux réfugiés calaisiens. C’est aussi pour ça qu’on a diffusé le match ici. Tout le monde a adoré. » Avant la folie, il était surtout question de ramener, par le foot, de la légèreté. « Il était important pour eux de vivre le moment présent sans penser au camion dans lequel ils vont monter après le match pour rejoindre l’Angleterre », insiste Foued. Rembobinage.

Package générateur-tonnelle-toile

21h, mardi soir, à Calais. Plus d’un millier d’exilés continuent d’y errer chaque jour. Pour tableau, l’autoroute A16 et la rocade portuaire, où la dernière victime en date, Abdallah, un Soudanais de 28 ans, a perdu la vie en chutant d’un camion fin janvier (la 347e victime à la frontière franco-britannique depuis 1999, NDLR), la zone d’activité Transmarck où pullulent les entreprises de transport et ce terrain vague où une tonnelle a été installée à l’arrachée. Les tentes dans lesquelles dorment les exilés sont détrempées. On ne fait pas trois pas sans se retrouver dans la boue. Deux associatifs viennent aux nouvelles. « Garez-vous un peu plus loin, les flics passent souvent ici, mieux vaut ne pas les attirer, qu’on puisse regarder le match tranquille. » « On a débarqué avec le générateur et la tonnelle, enchaîne Foued, à deux pas d’un entrepôt de 8 250m2 que le géant Amazon se fait construire. Personne n’a été tenu au courant. On n’organise pas le rassemblement. L’installation se fait, le message passe, c’est spontané, et les mecs viennent. »

Sous son bob et sa barbe de trois jours, l’ancien habitant de Saint-Germain-en-Laye sort l’analyse adéquate : « Ici, c’est un endroit symbolique avec les parkings de Transmarck. Habituellement, pour les réfugiés, la soirée consiste à faire des allers-retours pour tenter leur chance dans une remorque. Ce qu’on veut, c’est qu’ils soient dans le moment présent et pas dans une éternelle projection de l’Angleterre. À l’époque de la jungle(démantelée en octobre 2016, environ 10 000 réfugiés y vivaient, NDLR), il y avait une salle dédiée, des enceintes, il y avait moyen de se réunir. Depuis, tout est éparpillé. Là, les mecs regardent le foot et quelques heures plus tard, ils seront expulsés de leur tente au réveil. » Un rétroprojecteur, une toile et un lien de streaming : l’affaire est pliée.

Une partie de FIFA dans un décor du tiers-monde

Des morceaux de bois permettent d’allumer deux feux, une enceinte Bluetooth crache du hip-hop, le mercure affiche 8 degrés. Il crachine, « mais les mecs ne pensent pas trop au froid, jure Maxime, bénévole d’Utopia 56 qui porte plutôt l’OM que le PSG dans le fond du cœur. Ils sont pour la plupart dingues de foot, c’est un vrai vecteur social. Quand on les conduit parfois à l’hôpital le soir, ils sont sur leur téléphone avec la Ligue des champions. » Il y a peu, « des Playstation ont été amenées. Ça tapait des FIFA sur des lieux de vie où ils n’ont rien. Le décalage entre la réalité de leur situation et FIFA était abyssal. » Les terrains dignes d’un champ de patates suffisent aussi généralement à lancer un match à l’improviste.

Dans la foule, les rares accélérations de Karim Benzema font s’élever des cris. Ici, un jeune Soudanais prend une grosse pierre pour se surélever et mieux voir l’écran, pendant qu’Ousman, lui aussi soudanais, profite du générateur pour recharger son portable, comme une vingtaine d’autres compères, alors que tous les yeux sont rivés sur l’écran. « Franchement, je m’en fiche du PSG ou du Real, je suis plus City, même si Paris se projette vraiment là. Ils sont à domicile, ils doivent s’imposer pour être plus sereins au retour. »

Peu importe là où je suis passé, on trouvait toujours un moment pour regarder un match ou un ballon pour jouer.

Maxime d’Utopia 56 parle d’un « 50-50 au niveau de l’audience, Paris fait rêver, mais le Real a une cote de dingue à l’international. Tout dépend comment tu as été élevé dans le foot, mais forcément, ici, les joueurs africains comme Salah ou Mané sont adorés. » Pour Ousman, entre deux passages de gâteaux dans l’assistance, « avoir l’occasion de regarder un match comme celui-ci, ça ne se rate pas. Dix minutes avant le coup d’envoi, on m’a dit que c’était diffusé, du coup je suis venu direct. » Idem pour Jazair, 26 piges dont huit mois de galère dans le Calaisis et une référence en France : « Juninho avec ses coups francs de fou quand j’étais jeune. J’ai toujours aimé Lyon, le Milan, Manchester, le Real. Au fond, c’est le côté festif qui m’attire. Regarder le PSG face au Real, c’est faire une pause dans ces conditions de vie catastrophiques. » En quatre mois à Calais et après deux années de galère entre Libye, Méditerranée et Italie, Ousman, 25 ans, rêve toujours d’Angleterre, même s’il ne fera pas la traversée en bateau. Trop dangereux. Le 24 novembre dernier, 27 des leurs perdaient la mort dans les eaux de la Manche. Ousman mise plutôt sur les planques dans les camions et assure : « Pendant ces deux années, c’est le foot qui m’a toujours fait du bien au moral. Peu importe là où je suis passé, on trouvait toujours un moment pour regarder un match ou un ballon pour jouer. Quand t’es solo, ça n’a aucun intérêt, mais là, à plusieurs, tu vibres. »

Des gars qui se prennent par les épaules et chantent, tu le retrouves que ce soit à Manchester, dans le fucking London ou ici à Calais.

On vibre même quand on en a strictement rien à foutre de la tactique, du penalty raté par Messi et des quelques fichues coupures du streaming pendant la rencontre. « Je ne déteste pas le foot, mais putain j’ai passé ma vie à grandir dans ça, se marre Tom, la quarantaine, un accent british made in Manchester et de l’énergie à revendre pour aider les exilés. Les seules fois où j’ai joué au foot, c’est quand j’étais obligé. Le mec que j’adorais, c’était le King, Cantona. Il avait la classe, le style, il savait que deux choses faisaient vibrer les Mancuniens : le foot et la musique. L’esprit de camaraderie, des gars qui se prennent par les épaules et chantent, tu le retrouves que ce soit à Manchester, dans le fucking London ou ici à Calais. C’est un langage universel et ce n’est pas exagéré. Des feux sont allumés, des gens dansent, d’autres regardent le match, tu vois des tensions, là ? Pas du tout. » Mi-janvier, c’est la Coupe d’Afrique des nations qui a plongé le campement des Soudanais dans une douce euphorie, notamment après le nul face à la Guinée-Bissau. « C’était fou, surtout quand notre gardien a arrêté le penalty en fin de match, savoure encore Ousman. On avait presque le sentiment d’être à la maison, alors que l’on a dû quitter notre terre. » Le Soudan, c’est 17 années de guerre civile entre 2003 et 2020 et des tensions toujours vives dans le sud du pays. Maxime a eu l’impression « que les Soudanais avaient gagné la CAN à ce moment-là alors qu’ils avaient un groupe impossible. C’était le régal. » 22h50, fin de la retransmission : le PSG s’impose, encore quelques danses et chants, et il sera question de replonger dans la réalité. Au loin, des gyrophares fendent l’obscurité. « Dans deux heures, certains d’entre eux tenteront de monter dans un camion, achève Clara, de l’association Mosaic. Au moins là, ils ont décompressé… »

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