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À 53 ans, Kazu Miura court toujours
Stanley Matthews avait arrêté le football professionnel en 1965 à 50 ans, avec un record que l'on pensait intouchable. Un demi-siècle plus tard, le Japonais Kazuyoshi Miura est déjà loin de l'Anglais, et à bientôt 54 piges, il vient de prolonger le bonheur d'une année avec Yokohama FC, en J-League.
En septembre, il claquait un nouveau record : plus vieux joueur à disputer des minutes en J-League, l’élite japonaise, à 53 ans et 210 jours. Un trimestre plus tard, Kazuyoshi Miura n’est pas rassasié. À bientôt 54 printemps, celui qui pourrait prendre une retraite dorée ou se reconvertir consultant télé vient de prolonger une énième fois son contrat avec le Yokohama FC, pour la saison 2021. Et qu’importe si « King Kazu » est aujourd’hui un attaquant qui ne dispute que des bouts de rencontres et marque occasionnellement (sa dernière année à plus de cinq pions remonte à 2006), la J-League, comme son club, se réjouissent de le voir rechausser les crampons, saison après saison. Car au Pays du Soleil levant, Kazu Miura n’est pas un vieil attaquant sur le déclin, mais une légende vivante. Avec une histoire assez dingue qui commence avec les rêves de grandeur de son père, Naya Nobuo.
Il était une fois le Mondial 1970
Ce dernier a vécu une vie tumultueuse, agrémentée de mauvaises relations avec des yakuzas, d’histoires de drogue et de quelques séjours en prison, que l’auteur Kenza Tazaki raconte dans l’ouvrage Kingfather. Surtout, le sulfureux Nobuo inocule le virus du football à son fils Kazu, au retour d’un séjour au Mexique en 1970. Il y est allé regarder le Mondial 1970, et équipé d’une caméra huit millimètres, il a filmé tout ce qu’il a pu. De retour dans l’archipel nippon, Naya Nobuo est décidé à ce que son fils devienne le premier grand footballeur asiatique et lui impose un entraînement intensif, à base « de petites oppositions où personne n’avait le droit à la passe, il fallait marquer en dribblant tous les adversaires » .
En 2020, une telle approche individualiste a de quoi faire sourire, dans les années 1970 au Japon, elle pose les bases d’une épopée individuelle. Persona non grata au pays – à cause des yakuzas, de la drogue, etc -, Naya Nobuo s’expatrie à São Paulo, et parvient à convaincre son fils de le suivre. « Avant de partir du Japon, un coach m’a dit :« On ne peut jamais être sûr à 100 %, mais toi, Miura, tu as 99 % de chances d’échouer. »Je lui ai dit:« J’y crois à ces 1 % ! » »
« Dunga me gueulait tout le temps dessus ! »
Il a 15 ans et il réussit le début de son pari en intégrant le centre de formation de la Juventus de São Paulo. Son premier entraîneur sur place, Oscar De Lemos, se souvent bien du premier Japonais de l’histoire du football auriverde : « Je me suis demandé pourquoi cet adolescent venait de si loin seulement pour apprendre et perfectionner son football au Brésil. Cela me paraissait insensé. » Encore plus insensé, le daron qui filme tout, matchs, entraînements, causeries, pour inonder les chaînes de télé nippones. Pourtant, son fils est dans le dur durant ses premiers mois : barrière de la langue, différence physique et mal du pays.
Mais Kazu Miura est un guerrier, s’accroche, et finit par se faire accepter et surtout à taper dans l’œil du club du Roi Pelé, Santos, qui lui offre son premier contrat professionnel à 18 ans, en 1986. Il y côtoie notamment Carlos Dunga. « Il me gueulait tout le temps dessus. Il le faisait sur tout le monde d’ailleurs, mais moi, le jeune Japonais, j’avais du mal à encaisser psychologiquement. » La marche Santos est haute, mais plusieurs prêts successifs permettent à Kazu Miura se prendre le pli. Plus particulièrement au XV de Jau, où il devient une sorte de guide pour Sonny Anderson. « Techniquement, on voulait faire au moins aussi bien que lui. C’était un Japonais qui débarquait dans le pays du football, mais il faisait des dribbles et d’autres gestes qu’on ne savait pas faire. Un Japonais qui dribblait des Brésiliens… C’était du jamais-vu à l’époque. »
King Kazu, Olive et Tom
Quelques années plus tôt, le mangaka Yoichi Takahashi a créé son futur ouvrage culte Captain Tsubasa (Olive et Tom, NDLR). Miura va alors occuper une place centrale dans le processus de création : « Même si je me suis surtout inspiré de Kempes et Maradona pour les actions fantasques, je voulais vraiment que le personnage d’Olivier Atton ait beaucoup de similitudes avec Kazu Miura parce que c’était le premier footballeur japonais à jouer à l’étranger. » L’histoire est en marche, et elle part dans tous les sens : les équipes TV nippones dépêchent des équipes pour suivre les aventures de Kazu au Brésil, les livres de Takahashi deviennent une série TV à la portée mondiale, le nombre de licenciés explose au Japon, et Kazu Miura, même s’il ne détruit pas des murs avec des frappes surhumaines, n’en fait pas moins la couverture du magazine brésilien Placar, alors qu’il est titulaire à Coritiba. « Kazu est venu pour s’imprégner de notre football, mais quelque part, il nous a aussi beaucoup appris, analyse Kruger, son ancien coéquipier à Coritiba. À l’entraînement, par exemple, c’était un robot. Il adorait ça alors que nous, on était un peu fainéants. Il n’était pas non plus du genre à venir bourré à l’entraînement, comme certains Brésiliens… On est devenus bien plus professionnel en le côtoyant. Il a vraiment marqué une époque ici. »
« Trois intermédiaires pour lui parler » Philippe Troussier
Année 1990, une époque se termine. Au Brésil, une nouvelle s’ouvre, sur ses terres d’origines. Dans son sillage, son père a su transformer la belle histoire en un business model. Kazu Miura est la première grande star du football japonais, et c’est donc sur un pont d’or qu’il accepte de revenir pour jouer avec le Yomiuri SC, qui deviendra quelques années plus tard le Verdy Kawazaki. L’attaquant devient l’égérie du nouveau championnat local, le taulier de l’équipe nationale et une personnalité publique de premier plan. Sélectionneur des Samurai Blue, Philippe Troussier a senti l’effet célébrité : « C’est une star au sens propre du terme : intouchable, comme les acteurs. Il fallait passer par trois intermédiaires pour lui parler. »
La success story a ses moments de bonheur – une victoire à la Coupe d’Asie des nations 1992 -, ses moments de douleur – la « Tragédie de Doha » , sorte de France-Bulgarie pour les Japonais qui les a éliminés du Mondial 1994 – et ses moments de solitude. Trois fois, King Kazu va tenter de s’expatrier, pour autant d’échecs au Genoa (1994-1995), au Croatia Zagreb (1999) ou à Sydney (2005). Sans oublier une douloureuse fin de parcours en sélection nationale (89 sélections, 55 buts), qui le voit sortir de la liste pour le Mondial 1998 in extremis. Depuis l’entrée dans le XXIe siècle, Kazu Miura n’est plus un joueur de premier plan. Mais il n’en reste pas moins une icône et un personnage illustrant on ne peut mieux l’expression « donner sa vie sur le terrain ».
Par Nicolas Jucha
Tous propos recueillis par Ronan Boscher et Nicolas Jucha pour So Foot n°121, sauf ceux de Kazu Miura, traduits du magazine NUMBER, par Florent Dabadié.