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93 stades, 93 matchs, 189 jours : Ed Wood raconte
Ed Wood est un homme de records. À 51 ans, il vient de se procurer celui du plus rapide tour des stades du Royaume-Uni. En 189 jours, l’Anglais a tourné dans 93 stades. « Phileas Ed » raconte.
Salut Ed. Raconte-nous, comment tu es devenu fan de football ? Je suis né en 1965 et j’ai grandi à Derby. Mon père était un fan de football et de Derby County. Gamin, il m’emmenait au stade, au Baseball Ground (l’ancien stade des Rams, détruit en 2003, ndlr). Surtout qu’à l’époque, Derby County connaissait la plus belle période de son histoire. Le club a remporté deux fois la Premier League : une première en 71-72 et une autre en 74-75. Je me souviens d’un match à domicile lors de la campagne de Coupe des coupes face au Real Madrid où l’on gagne 4-1. Avec un formidable triplé de Charlie George ! (Au retour, le Real s’était imposé 5-1, ndlr.)
Il y a vingt-cinq ans, tu rentrais un record du monde plutôt étonnant. Celui du plus grand nombre de stades visités le plus rapidement possible… Raconte-nous ça. Petit, j’avais vu ce record dans le Guinness Book et je l’ai toujours gardé en tête. En 1992, je me suis dis que je le battrais. Et je l’ai fait ! Depuis, d’autres personnes l’avaient battu, hein. À mes 51 ans, j’ai voulu le retenter. Beaucoup de choses avaient changé, donc ça me faisait un beau break. Quand mon père est décédé en décembre 2014… (long silence) j’ai pensé à toutes les choses que j’aimerais faire, mais après la retraite, avec l’âge, ça aurait été compliqué…
Avant de commencer ton voyage, tu disais ne plus vouloir de ton train-train quotidien. Qu’est-ce qui t’a fait réaliser ça ? En juin 2014, j’ai un accident de moto et je me blesse lourdement au bras gauche. Quelques semaines plus tard, il faisait beau et des amis sont venus à la maison pour un barbecue. Un pote, un fan inconditionnel de York City FC, racontait ses anecdotes de stade sans cesse. Il allait les supporter à domicile comme à l’extérieur. À force de l’entendre parler, ma copine s’est tournée vers moi et m’a dit : « Tu dois faire ce record ! »
Tu avais visité certains stades avant ce périple ?La saison dernière, j’ai assisté à cinq rencontres. Comme je ne suis pas supporter de la grosse équipe du coin, Burnley, j’y suis allé pour le côté sportif, c’était sympa. La même chose pour Leeds. Comme je travaillais beaucoup la semaine, j’étais fatigué, donc mes week-ends étaient réservés au repos.
Comment organise-t-on un périple comme celui-là ? Il a fallu une grande préparation, non ? Je travaille dans une agence de la Lloyds Bank et, en expliquant ma situation, la direction a décidé de me laisser partir et de me redonner mon poste une fois mon voyage terminé. Je ne voulais pas prendre cinq ou six mois de pause et ne pas battre le record. Alors, il y a deux saisons, j’ai travaillé un plan minutieux pour battre le record. Je faisais des simulations, c’était dingue ! Ensuite, les matchs de coupes présents dans les calendriers ont joué en ma faveur.
Tu as commencé par quel stade ? Et quel mode de transport as-tu choisi pour ton trip ? J’ai commencé le 13 août dernier avec le match Oldham-Walsall. Puis, Bristol Rovers-Oxford United, le 14. Et Chelsea-West Ham, le 15. Chaque jour, je regardais tous les programmes de foot du lendemain. J’avais un ordre spécial, en fonction de mes déplacements. Je les faisais tous en voiture. Grâce à mon job, j’avais à ma disposition une voiture de fonction. Pratique, quand tu dois faire 22 000 miles (35 000 kilomètres). Sur la route, j’écoutais beaucoup la radio, peu de musique, mais surtout des talk sports, on discutait avec ma copine.
En tribune, tu as pu remarquer des différences entre les divisions ? La première chose, c’est que les foules se déplacent plus en Premier League par rapport aux autres divisions. Et forcément, c’est plus dur pour avoir des places. Ce qui m’a surpris aussi dans les divisions inférieures, c’est que les gens sont plus accueillants, plus amicaux. Il n’y a pas de spectateurs lambda comme en PL, du genre à être froids ou statiques. Tu sens qu’il y a quelque chose de spécial, un engouement particulier, quand tu quittes la PL.
Il y a des matchs en particulier qui t’ont marqué ? Le meilleur, voire le pire ? Ce serait offensant de choisir le pire… On va dire que le pire jour de mon voyage a été dans un bled dans le nord de l’Angleterre, à 400 km de chez moi. Il pleuvait, j’ai mis quatre heures à y aller. Une fois au stade, je n’ai parlé à personne. Il devait y avoir 2000 personnes dans le stade. C’était un jour très long, très fatiguant, en compagnie de la solitude. En revanche, mon plus beau souvenir est Tottenham-Chelsea, le 4 janvier dernier. Le stade était plein à craquer, tous les supporters chantaient. Ce n’est pas comme ça partout, hein ! Un super match où Tottenham l’a emporté 2-0. L’histoire est assez marrante. C’était une galère pas possible pour trouver un billet, mais un jour, un mec du nom de Colin Thurlbourn est venu me parler sur Twitter. Son père a été touché par le cancer de la prostate et à la suite de notre conversation, il m’a filé une place. Je ne l’ai jamais rencontré, je n’ai jamais entendu sa voix, mais c’était un geste fabuleux de sa part. C’est ce genre de geste qui rend le football encore plus beau.
Justement, comment tu te débrouillais pour avoir tes places ?Une chose pratique, c’est que la SkyBet tient un partenariat avec le Championship, la League One et Two. J’ai dû leur prendre trente tickets et ils m’ont fait des gestes commerciaux, ils ont été cool. Ils savaient que je faisais ça pour une association contre le cancer de la prostate. En revanche, pour les matchs de Premier League, c’étaient des challenges ! Manchester United a été cool aussi, ils m’ont filé un billet gratuitement. Pour n’importe quelle équipe, c’est très dur de trouver une place. Exemple, pour un match à Anfield, j’ai dû payer 300 livres. Pour Arsenal, un pote m’a payé la place. Les clubs et les gens savaient que je faisais ça pour une association, alors forcément, ça aide.
Pour toi, comment le football a-t-il évolué depuis ton premier record, il y a vingt-cinq ans ?Beaucoup de choses ont changé, tu sais. Déjà, de base, le monde a changé. À l’époque, il n’y avait pas toutes les technologies d’aujourd’hui : internet, les téléphones, ni même de GPS. Tu sais où tu vas, comment y aller et le plus rapidement possible. Les réseaux sociaux ont joué un rôle important. Facebook et Twitter m’ont permis d’interagir avec des gens qui se sentaient concernés par mon histoire. Évidemment, à l’époque, c’était plus compliqué de contacter des gens. Ensuite, acquérir une place est devenue une mission plus compliquée, ce n’est pas les mêmes prix qu’à l’époque. Surtout, j’avais moins d’expérience, je réfléchissais moins, c’est l’âge.
Je suppose que tu as pu rencontrer d’autres fans, tu as expliqué ta démarche ? Quelles ont été leurs réactions ?Ouais, bien sûr ! J’allais voir des fans avec des cartes de visites et je leur expliquais mon histoire. Je n’insistais pas sur le côté charité, mais je voulais qu’ils se mettent à suivre mon aventure. Certaines personnes écoutaient avec un intérêt, mais entre ce qu’ils disent et ce qu’ils font… Sinon, les réseaux sociaux ont bien servi pour rencontrer, discuter et partager avec des fans. Parfois, les clubs appuyaient ma démarche et ça aide beaucoup, faut le dire. Quand certains te consacrent une rubrique spéciale dans le programme de match, ou bien même une page entière, c’est incroyable !
Après une rencontre, tu allais manger et/ou boire avec certains d’entre eux ?Ça arrivait, mais quand je pouvais rentrer à la maison après un match, je le faisais. Même si je devais rentrer à 4h du matin. C’est pas plus mal, il y a moins de circulation. Ma copine était la maison et je ne voulais pas l’énerver en dormant à l’hôtel ou en la laissant seule.
Tu as gardé des contacts ?Pour le dernier match de mon record, ma famille et mes amis étaient présents, c’était super. J’ai gardé contact avec les personnes qui ont pu m’aider ou avec qui je me suis bien entendu durant ce voyage. Les réseaux sociaux servent à ça ! Ce n’est pas uniquement regarder du football qui m’intéressait, mais c’est surtout ce qu’il y avait autour.
Est-ce qu’il y a des villes qui t’ont marqué ?Il y en a plusieurs. Par exemple, je dois passer un week-end à Shrewsbury avec ma copine. C’est une ville très sympa. Les deux personnes qui ont battu mon record de l’époque viennent de là-bas. Ma copine n’y est jamais allée, alors c’est une aubaine. Et ça me donnera l’occasion de passer voir ces deux gars.
Tu as des anecdotes marrantes à raconter lors de tes différents déplacements ?Je devais faire Cardiff-Leeds pour aller voir un match au pays de Galles. Sur la route, je m’arrête dans une station service déserte. Il n’y avait que le type au bar. La conversation est celle-ci : « Je peux avoir un café ? / Oui, ça vous fera 2,50 livres / Je peux aussi avoir un sausage roll (un feuilleté à la saucisse) ? / On fait des menus : pour la boisson et le snack, ça vous fera 4 livres. » Je prends mes achats et continue ma route pour aller voir le match. Une fois ce dernier fini, je suis retourné dans la même station service paumée. Le même gars était posé là, au bar. Je lui dis : « Je peux avoir un café ? / Oui, ça vous fera 2,50 / Je peux aussi avoir un sausage roll ? / On fait des menus : pour la boisson et le snack, ça vous fera 4 livres. » Le mec n’a jamais percuté que j’étais le même type que six heures avant ! Une autre fois, il y avait un show durant la mi-temps d’un match. Tu devais tourner autour d’un balai et marquer un penalty derrière. J’ai essayé et j’ai réussi. Pendant ce temps, un pote à moi racontait des histoires gênantes sur moi devant des milliers de personnes. Pour le calmer, j’avais une écharpe autour du cou et j’étais obligé de lui mettre sur la bouche pour qu’il s’arrête !
Et est-ce qu’il y a des choses qui t’ont choqué ? Quand les gens du Guiness Book sont venus me voir, ils m’ont demandé d’apporter différentes preuves de mon record. Je devais garder mes tickets de match. Et puis, j’ai commencé à prendre des selfies avec les stewards des stades avant et après la rencontre pour bien leur montrer que j’étais là tout au long de la rencontre. Sauf que dans certains clubs, quand tu prends ta place sur internet, tu n’as pas de ticket physique. Alors je suis allé voir ces clubs pour leur demander une place utilisée. Certains m’ont dit oui, d’autres non. Arsenal m’a demandé de payer un extra de 30 livres pour récupérer un ticket. J’étais choqué et je me suis même senti embarrassé pour eux. Il y a une chose que je n’avais pas réalisé, c’est la fatigue procurée par la conduite. Toutes ces heures passées derrière le volant sont dures à gérer. Surtout tout seul. C’est à partir de l’été dernier que je l’ai remarqué. Je suis allé à Nice avec ma copine pour les vacances. Une fois sur place, j’ai dû me retaper le voyage jusqu’à Leeds pour revenir en France ensuite. Entre Deauville et Nice, tu as sept heures de route. La dernière fois que je l’avais fait, c’était en 2005, j’étais encore jeune. Mais là, j’ai dégusté sévère !
Tu vois différemment ton pays maintenant ?J’ai réalisé plein de choses. Quand je pensais à aller voir un match à Shrewbury, par exemple, je me disais : « Cool, les gars doivent avoir de bons supporters. » Mais en y allant, j’ai remarqué que les gens aiment vraiment leur club. Pour eux, ce n’est pas juste aller voir un match de foot. C’est un rituel, quelque chose de spécial entre une équipe et ses fans.
Propos recueillis par M.D et Gad Messika