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6 mars 1937 : le PSG-Barça des travailleurs
Le PSG va donc affronter l'ogre du Barça. Un match pour la suprématie européenne, sur fond de budgets colossaux et autres considérations très capitalistes. Mais voici 80 ans, c'est dans un tout autre état d'esprit que se déplace une sélection de joueurs de la capitale catalane. Sur la péninsule, la guerre civile bat son plein et, de notre coté des Pyrénées, certains organisent la solidarité internationaliste, y compris sur les pelouses. L'occasion aussi pour les amateurs de foot français de découvrir un autre style de jeu et le fossé existant déjà entre les deux pays.
« Je crois qu’il faut sportivement reconnaître qu’il existe une différence de classe entre nous et nos amis espagnols. » Non, vous n’êtes pas en train de lire la retranscription d’une conf’ de presse de Carlo Ancelotti en 2013, ni une anticipation des Unes à paraître mercredi matin. Ces quelques mots sont extrais de Sport, revue de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT) au lendemain d’une double confrontation entre footballeurs parisiens et leur homologues catalans. Deux défaites cinglantes 5 à 0 et 5 à 2 qui ne semblent en effet souffrir aucune contestation. Que ce soient la team issue des clubs métallos de la région parisienne (Gnome et Rhône Gennevilliers, Bronzavia, etc) ou celle des meilleures équipes locales (Chelles ou Clichy), leur vaillance prolétarienne ne résista pas à la fougue des Compañeros venus les défier fraternellement au stade Pershing ou à la Cipale, en plein cœur du bois de Vincennes. Le quotidien communiste titra très sobrement à ce sujet : « 8000 personnes assistent à la victoire de Barcelone sur les métallos parisiens. »
Certes, ces deux « chocs » n’étaient pas véritablement préemptés par l’enjeu sportif. Ils sont l’expression footballistique de l’élan de solidarité qui s’exprime au sein du mouvement ouvrier envers la cause républicaine, malgré la lâche décision de non-intervention du gouvernement Front populaire. Une démarche politique qui se manifeste fortement au sein de la toute jeune FSGT, héritière du sport ouvrier née en décembre 1934. L’un de ses premiers combats aussi concrets que symboliques s’était cristallisé dans son refus des JO de la honte à Berlin et surtout son action en faveur de l’Olimpiada Popular de Barcelone. Dès le début du conflit, des rencontres, rassemblements, galas et autres sont ainsi rapidement proposés, dans toutes les disciplines et à tous les échelons. Le 13 septembre 1936, toujours au stade Pershing de Vincennes, une sélection catalane se frottait déjà à une équipe anglaise à l’occasion d’un meeting auquel assistèrent, parmi 6000 spectateurs, Léo Lagrange et Roger Salengro, deux ministres en poste. Six mois plus tard, la situation a évolué et s’est sensiblement détériorée. La guerre s’enlise. Les républicains cherchent partout des soutiens. Le FCB est naturellement mis a contribution et part en tournée aux USA et au Mexique pour soutenir la cause. Il en paiera le prix, cher. En mars 1938, son siège est bombardé par l’aviation de l’Italie fasciste qui soutient les troupes nationalistes. Son président, Joseph Suñol, sera assassiné en août 1939 par les soldats franquistes.
« Fiesta y revolución »
Toutefois, les rencontres des 6 et 7 mars 1937, si elles affichent bel et bien une sélection catalane avec la prestigieuse étiquette de Barcelone, verront surtout évoluer des amateurs (ceux qui ne sont pas partis au front) issus des rangs des clubs locaux tel le CD Jupiter. Si les spectateurs se pressent dans les gradins, à en croire la presse « progressiste » , cela reste avant tout pour témoigner, comme le résuma L’Humanité du 7 mars 1937 : « Toute leur sympathie envers nos camarades en lutte pour leur liberté démocratique. » Sport du 6 mars 1937 précisait de même que « au-dessus des considérations sportives, la masse des fervents du football saura témoigner aux Catalans que nous sommes de tout cœur avec eux pour la victoire de la liberté en leur pays. » Le 23 mars, le journal des sportifs ouvriers se félicitait également de la forte affluence alors que « le soleil n’a pas daigné honorer de sa présence la réunion sportive du stade Pershing » . Les quatre francs qu’il fallait débourser pour une place « à couvert » ne constituaient apparemment pas un mauvais investissement. Malgré cette forte dimension partisane – des Barcelonais qui évoluent en rouge face à des Parisiens en bleu – , nous sommes en pleine période du Front populaire où la gauche essaie de s’approprier pleinement le sport, y compris son spectacle. L’attrait ne saurait donc se réduire à applaudir les copains d’usine. « L’élément principal du public se composait de passionnés du football qui avaient déjà, il y a quelques mois, assisté à la splendide exhibition des Catalans dans leur match contre les Anglais » , se réjouit Sport dans son édition du 13 mars 1937. « Fiesta y revolución » , dira plus tard Che Guevara…
Les visiteurs enthousiasment en tout cas les journalistes français par leur maestria. « Les Espagnols nous font assister à un feu d’artifice de passes en ciseaux, la défense française est aux abois et Baraduni se tire tout à son honneur de plusieurs situations difficiles » , constate le magazine du sport ouvrier, qui, poursuivant son éloge sincère et fasciné, s’ébahit devant ce « beau jeu d’équipe à ras de terre » . Il faut se souvenir que dans les années 30, sur le plan technique ou tactique, le foot hexagonal demeure encore sous tutelle morale de la perfide Albion – la venue d’Arsenal reste le grand moment pédago de la saison, entre kick and rush et WM sommaire, comme l’illustre la réussite de George Kimpton, ancien buteur de Southampton et entraîneur des « pingouins » du Racing de Paris qui dominent alors le championnat tricolore. La suite est connue. La faiblesse des démocraties permit à Franco de l’emporter grâce à l’appui de l’Italie fasciste et de l’Allemagne nazie. Réfugié dans le camp d’Argelès, un ancien footeux républicain écrivait ainsi à ses camarades footballeurs français : « Nous sommes prêts, si c’est nécessaire, à combattre à vos côtés contre le fascisme de même que nous l’avons fait pendant trois ans dans notre pays, à Guadalajara, à Teruel, sur l’Ebre et à Madrid. » Une promesse qui sera tenue, tant les anciens républicains se distingueront dans la Résistance ou dans les Forces françaises libres avec la fameuse neuvième compagnie de la deuxième DB – « la nueve » –, la première à entrer dans Paris en août 1944, composée d’anciens miliciens anarchistes de la CNT, la Confédération nationale du travail. La mémoire dans le cuir.
Par Nicolas Kssis-Martov