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Mondial féminin : la France plongée dans le noir ?

Par Florian Porta
10 minutes

À deux mois du début de la Coupe du monde féminine, la compétition attend toujours de trouver un diffuseur en France. Exigences de la FIFA trop élevées ou diffuseurs trop frileux, comment en est-on arrivé là ?

USA's Megan Rapinoe (bottom left) scores her side's first goal of the game                                during the FIFA Women's World cup match between France and USA on June 28, 2019.  Photo : PA Images / Icon Sport
USA's Megan Rapinoe (bottom left) scores her side's first goal of the game during the FIFA Women's World cup match between France and USA on June 28, 2019. Photo : PA Images / Icon Sport

Soixante-quatre jours : voilà le temps qu’il reste avant que ne démarre la Coupe du monde féminine qui prendra ses quartiers à l’autre bout du monde, en Australie et Nouvelle-Zélande, du 20 juillet au 20 août. Autant dire que c’est presque déjà demain et pourtant, à quelques encablures du match d’ouverture entre la Nouvelle-Zélande et la Norvège, la compétition se cherche encore un diffuseur en France, comme dans tous les autres pays du « Big 5 ». Véritable succès d’audiences en 2019 – 11,8 millions de téléspectateurs devant TF1 pour regarder le quart perdu par les Bleues face aux États-Unis -, comment cette édition 2023 en est arrivée à risquer l’écran noir quelques semaines avant qu’elle ne débute ?

Une menace, vraiment ?

« Un black-out ? Il n’y a rien qui l’interdit parce que rien ne protège cette diffusion », reconnaît, sans l’envisager, Céline Calvez, députée des Hauts-de-Seine et corapporteuse de la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France, finalement adoptée le 24 février 2022. Wendie Renard, après la finale de la Coupe de France remportée par Lyon, n’osait pas l’imaginer non plus : « J’y crois, je pense qu’on ne peut qu’avoir un diffuseur. Le football féminin est en train d’éclore de partout et si on n’a pas de diffuseur, ça veut dire qu’on fait marche arrière. » Pourtant, la menace est bien réelle et provient de Gianni Infantino himself. « Nous avons l’obligation morale et juridique de ne pas sous-estimer la valeur de la Coupe du monde féminine. Par conséquent, si les offres continuent à ne pas être équitables (envers les femmes et le football féminin, NDLR), nous serons contraints de ne pas diffuser la Coupe du monde féminine dans les cinq grands pays européens », balançait le président de la FIFA, le doigt sur la gâchette, lors de la Making Trade Score for Women il y a quinze jours. Une mise en garde évoquée à nouveau, avec plus de diplomatie, par Bryan Swanson, directeur des relations médias de la FIFA, dans une tribune publiée sur le site internet du Guardian : « Plus de 155 territoires dans le monde ont des droits médiatiques pour le tournoi de cet été. Devrions-nous accepter, dans un cas, une offre d’un média représentant moins de 1% de ce qu’il a payé pour couvrir la Coupe du monde masculine de 2022 ? La popularité du football féminin a augmenté, alors pourquoi accepter une offre inférieure à la norme ? Il n’y a pas de panique, mais plutôt un appel au respect et à l’équité dans la couverture du football féminin. » Plus que l’équité, l’ancien secrétaire général de l’UEFA cherche surtout à rentrer dans ses frais.

Il y a quelque chose de très typique à l’industrie du football, c’est qu’Infantino a déjà dépensé l’argent.

Pierre Maes, consultant international en droits TV du sport

La veille, l’Helvético-Italien avait, devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), annoncé une grosse augmentation du prize money pour ce Mondial 2023 : « En ce qui concerne la prime de victoire, nous avons triplé celle de la dernière Coupe du monde en 2019, qui était de 50 millions de dollars, nous en sommes maintenant à 152 millions de dollars. » Une bonne nouvelle pour les joueuses, moins pour les éventuels diffuseurs. « Il y a quelque chose de très typique à l’industrie du football, c’est qu’Infantino a déjà dépensé l’argent, confesse Pierre Maes, consultant international en droits TV du sport. Et les 100 millions de dollars d’augmentation du prize money correspondent exactement à ce qu’il réclame aux cinq pays du “Big 5”. »

Un montant qu’Infantino, toujours face à l’OMC, justifie également en prenant les hommes comme référence : « Si nous prenons les cinq pays européens les plus développés aussi bien en termes de PIB que de football, ils paient pour la Coupe du monde masculine entre 100 et 200 millions de dollars chacun. […] Pour la Coupe du monde féminine, ils nous ont fait des offres 10 à 100 fois inférieures à celles concernant la Coupe du monde masculine. Si l’on compare les chiffres d’audience de la Coupe du monde féminine à ceux de la Coupe du monde masculine, on constate qu’ils ne sont pas 100 fois inférieurs. La Coupe du monde féminine représente peut-être 50 à 60 % de la Coupe du monde masculine. » Alors où est le problème ?

« Plus personne ne veut payer pour des frites »

« Ce n’est pas un problème de diffuseurs, c’est la FIFA qui est trop demandeuse au niveau des droits », constatait Hervé Renard sur les antennes de beIN SPORTS, dimanche dernier. « La question qui se pose, c’est : est-ce que les exigences et les attentes de la FIFA sont raisonnables ou pas ?  », relance Pierre Maes. Sur un point purement économique, difficile, voire impossible, d’y répondre en se basant uniquement sur les montants exigés les années passées puisque, pour la première fois, les droits de retransmission de la Coupe du monde féminine ne sont plus vendus avec ceux de l’édition masculine. « La FIFA a été excitée par ce qui s’est passé autour du Mondial 2019, estime le consultant en droits TV. Infantino y a vu une bonne opportunité de relation publique autour de la cause des femmes et s’est dit : “Maintenant, il faut qu’on arrive à égalité et que les femmes aient plus d’argent.” Donc on y va, dans la vente des droits, on sépare les éditions féminines des masculines, ce qui est un grand risque. » Un risque parfaitement imagé par Moya Dodd, ancienne membre du Conseil de la FIFA, au micro de The Unofficial Partner Podcast : « L’analogie qui me vient à l’esprit est la suivante : vous achetez un hamburger et vous recevez des frites gratuites à côté. Et soudain, quelqu’un se dit : “Vous savez quoi, les gens pourraient vouloir acheter des frites. Il y a peut-être un marché pour cela ?” Et devinez quoi ? Il y en a un. Et vous l’avez sous-évalué en le donnant gratuitement. Maintenant, plus personne ne veut payer pour des frites. »

Sortir ce bluff à l’ancienne, ça fait rire tout le monde. Plus personne n’ose faire ce genre de menaces, même Le Graët n’a pas osé.

Pierre Maes

Et encore moins quand elles sont servies froides. « Il y a là une stratégie tournée vers la finance qui, pour moi, n’est pas bonne, résume Pierre Maes. Cette stratégie est encore moins bonne quand le produit n’est pas bon. Pourquoi le produit n’est pas bon ? Ce n’est pas du tout lié au fait que ce soit des femmes qui jouent, mais parce que ce tournoi est joué à une mauvaise période de l’année, et surtout, les horaires sont dégueulasses. Pour une chaîne de télé, des matchs qui se jouent entre 10h et midi, ce n’est pas là que vous allez faire les belles audiences que TF1 a pu faire en 2019 par exemple. » Raison pour laquelle le président de la FIFA doit aujourd’hui sortir le bazooka pour mener les négociations, ce qui amuse le consultant en droits TV : « Il y a des grosses erreurs faites par la FIFA et sortir ce bluff à l’ancienne, sur le black-out de la compétition, dans le business, ça fait rire tout le monde. Plus personne n’ose faire ce genre de menaces, on faisait ça il y a vingt ans, aujourd’hui on ne le fait plus. Sur la Coupe de France masculine où il y a eu des négociations difficiles, même Le Graët n’a pas osé, c’est dire. » Le plus gros défi auquel doit faire face Infantino dans ces négociations, pour l’heure au point mort, demeure le manque de concurrence entre diffuseurs. C’est ce qui explique également pourquoi les montants des offres ne décollent pas, comme le confirme Pierre Maes : « C’est ce critère qui fait 98% de la valeur des droits. Ici, il y a zéro concurrence sur les cinq marchés en question, donc ce sont les acheteurs qui vont décider du prix et Infantino n’aura pas son argent. »

L’exposition avant tout

« C’était beaucoup plus facile pour eux de vendre la Coupe du monde féminine en même temps que la masculine parce qu’ils pouvaient dire aux diffuseurs, qui étaient ravis d’avoir trouvé un accord sur la Coupe du monde masculine, qu’ils devaient aussi diffuser la CDM féminine et mettre des obligations de diffusion, poursuit celui qui a écrit Le Business des droits TV du foot en 2019. C’était parfait parce que les filles trouvaient de l’exposition sur de grandes chaînes. Ce n’est pas rien de trouver de l’exposition sur ITV en Angleterre ou TF1 en France. Tous les sports rêvent de ça. » Et c’est bien de ça dont il est question désormais. Maintenant qu’il est quasiment acquis que la FIFA devra aller chercher de l’argent ailleurs pour compenser l’augmentation de la fameuse prime de victoire, il faut désormais que la Fédération internationale s’assure que cet évènement ait l’exposition qu’il mérite. Plusieurs diffuseurs sont intéressés, c’est un fait – M6 l’a notamment fait savoir via Nicolas de Tavernost –, mais aucun n’est prêt à répondre aux exigences de la FIFA.

Il existe aussi un risque, non négligeable, de voir ces droits atterrir sur des chaînes payantes, cette Coupe du monde féminine étant absente de la liste des 21 évènements sportifs « d’importance majeure » dont la diffusion en clair est protégée et où le football masculin figure pourtant en bonne position. Céline Calvez préférerait une alternative : « France Télévisions doit se positionner. Je trouve que ça serait intéressant de voir que les sports féminins peuvent être soutenus par le service public. » La députée regrette que le premier groupe audiovisuel en France en matière d’audiences, ainsi que ses concurrents, ne se précipite pas pour acquérir une telle compétition : « Ce que je trouve dommage, c’est qu’on soit à quelques mois de ce rendez-vous mondial et qu’on n’ait pas trouvé d’intérêts à le faire. D’où l’intérêt que ce soit le service public qui se positionne dessus parce que soit on considère qu’on est là pour faire de l’audience, soit on considère qu’on est là pour rendre un service. Et ce service-là, c’est non seulement de permettre aux citoyens d’accéder à cette compétition, mais c’est aussi de rendre service au sport féminin et aux sportives en général que d’exposer ce sport qui est très pratiqué à travers le monde, mais pour lequel la France a encore un peu de retard. »

Le fait que ces droits cherchent encore preneurs montre que les avancées qu’on avait eues en 2019 sont peut-être déjà en train d’être reniées.

Céline Calvez, députée des Hauts-de-Seine et corapporteuse de la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France

Le service public en a-t-il réellement les moyens ? Contactée, France Télévisions n’a, pour l’heure, pas donné suite à nos sollicitations. « Tout le monde a envie de faire grandir ce sport, mais personne n’a envie d’investir à fonds perdu. Les diffuseurs ne sont pas, aujourd’hui, dans une position où ils peuvent se le permettre, détaille Pierre Maes qui apporte un début de réponse, également valable pour d’autres diffuseurs. Infantino joue avec le feu, là où il devrait être très content de l’exposition que lui offrent des chaînes qui ont la portée de TF1 ou M6, plutôt que de les énerver. Avec sa sortie publique, il se met dans le beau rôle et place ses propres clients dans le mauvais. Je ne suis pas sûr que les diffuseurs apprécient. » Il va donc sans doute falloir que le FIFA accepte de revoir ses ambitions à la baisse sous peine de remettre au placard une compétition qui venait à peine d’en sortir, ce que déplore la députée : « Le fait que ces droits cherchent encore preneurs alors qu’il s’agit de la compétition majeure du football féminin montre que les avancées qu’on avait eues en 2019 sont peut-être déjà en train d’être reniées. Comme quoi, rien n’est acquis, surtout au niveau du droit des femmes. Là en plus, on ne fait pas rentrer cette compétition dans l’agenda mental des Français. Comme personne n’a encore acquis les droits, personne ne dit “cet été, vivez sur nos antennes…” » Et plus que la FIFA ou les diffuseurs, ce sont bien les joueuses qui vont, une nouvelle fois, sortir perdantes de cette affaire, quelle qu’en soit l’issue.

Dans cet article :
PSG : rêvons dans l’ordre
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Par Florian Porta

Tous propos recueillis par FP, sauf mentions.

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