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5 septembre 1931 : le tragique destin de John Thomson
Il y a 90 ans, jour pour jour, John Thomson, mythique gardien du Celtic, décédait sur le terrain lors d’un Old Firm, après avoir subi un violent choc à la tête. Il n’avait que 22 ans, et était alors considéré comme le meilleur gardien écossais.
5 septembre 1931. 75 000 personnes se sont amassées dans les tribunes d’Ibrox Park pour assister au premier Old Firm de la saison. La saison précédente, les Rangers ont été sacrés champions, terminant deux points devant le Celtic et empochant ainsi un 19e titre. Le pays est plongé dans la Grande Dépression (1929-1933), la plus grave crise économique du XXe siècle au Royaume-Uni. Le football constitue une échappatoire pour les supporters, même si certaines tensions dues au contexte social et économique se répercutent régulièrement en tribunes et, de facto, sur le terrain. Mais ce 5 septembre 1931, place au jeu. On joue la 9e journée, les Rangers sont en tête du classement avec 14 points, le Celtic est deuxième avec 12 unités, mais avec un match en retard. Le match est extrêmement tendu, le public bouillant, l’ambiance électrique. Et à la 50e minute, le drame absolu. Sam English, jeune avant-centre de 23 ans qui disputait là sa première saison pro avec les Rangers, échappe à la défense du Celtic et file au but. Le gardien des Celts, John Thomson, abandonne sa ligne, bondit à sa rencontre et plonge dans ses pieds.
Le choc est terrible. Les deux joueurs restent au sol, mais très vite, tous comprennent que la situation est grave pour Thomson, touché au crâne et inconscient. Les médecins interviennent immédiatement, Thomson perd du sang, il faut le transporter d’urgence à l’hôpital. Certains supporters des Gers se mettent à agiter leurs drapeaux pour chambrer. Dans un geste d’une grande sportivité, leur capitaine, David Meiklejohn, court vers eux pour leur demander de se taire et de respecter l’adversaire à terre. Thomson est emmené sur une civière, avec un bandage autour du crâne, et est remplacé par Chic Geatons. Mais l’ambiance n’est plus au jeu. Les 22 acteurs signent un pacte tacite de non-agression, et le match se termine sur le score de 0-0. Pendant ce temps, John Thomson est transporté à l’hôpital Victoria de Glasgow, mais il est déjà trop tard. En fin d’après-midi, il est victime d’une hémorragie cérébrale. Ses parents sont appelés à son chevet. À 21h25, en ce maudit samedi soir, le décès est annoncé. John Thomson avait 22 ans.
Instinct maternel
Depuis qu’il avait enfilé des gants pour la première fois, on avait prédit à John Thomson un destin hors du commun. Tous ceux qui l’ont vu dans les cages n’avaient pas le moindre doute : il allait devenir le meilleur gardien écossais, voire le meilleur gardien du monde. Natif de Cardenden, un village de mineurs situé à 90 kilomètres de Glasgow, le petit John commence à jouer au foot très tôt. Mais contrairement à ses copains, il n’éprouve aucun plaisir à marquer des buts. Lui veut les arrêter. Alors, il apprend le rôle de gardien de but à l’Auchterderran, l’équipe de son village, et à 13 ans, il est déjà la star locale d’une équipe amateur locale, les Bing Boys. À 15 ans, il commence à travailler à la mine avec son père et parallèlement, il intègre une équipe plus huppée de la région, Wellesley Juniors. Son nom commence alors à circuler dans la capitale. Les recruteurs du Celtic sont aux aguets, et le 20 octobre 1926, après un match face au Denbeath Star, Steve Callaghan, le manager des Celts, vient à sa rencontre. Il le convainc de s’engager avec le Celtic pour… 10 livres sterling. Ou plutôt, Callaghan réussit à convaincre sa mère, qui était depuis toujours opposée à l’idée que son fils joue au foot, jugeant ce sport dangereux. L’instinct maternel, sans doute.
John Thomson a alors 17 ans, et va rapidement impressionner tout le monde dans son nouveau club. Plutôt petit pour un gardien (1,75m), mais fort athlétiquement et doté de réflexes incroyables, il monte en équipe première dès l’année suivante. Et voilà qu’en février 1927, en cours de saison, l’entraîneur Willie Malley l’installe au poste de titulaire, à seulement 18 ans. Il s’y imposera immédiatement, devenant le point fixe de l’équipe pour les années à venir. Ses excellentes prestations le mèneront en moins de trois ans en équipe nationale. Son premier match avec le maillot de l’Écosse est d’ailleurs un amical disputé au Parc des Princes face à la France, le 18 mai 1930. Un match qui a lieu seulement quelques semaines après que Thomson s’était facturé la mâchoire (perdant au passage deux dents) lors d’un choc avec un adversaire. Ignorant les implorations de sa mère d’arrêter ce sport, il reprit sa place dans les cages.
Le joueur le plus aimé
À la fin de la saison 1930-1931, le Celtic, vainqueur de la Coupe d’Écosse, s’envole pour une tournée en Amérique du Nord, où il va disputer pas moins de 13 matchs amicaux organisés à Chicago, Montréal, Toronto, Philadelphie ou encore New York. Thomson dispute tous les matchs, sans exception, et réalise des performances exceptionnelles qui font rapidement de lui la coqueluche des supporters et des médias américains. À son retour à Glasgow, le portier continue sur sa lancée, avec un début de saison 1931-1932 canon. À tel point que, lorsqu’un journal de l’époque propose à ses lecteurs d’élire leur joueur préféré du moment, le numéro 1 du Celtic arrive largement en tête, recueillant le double de votes de son dauphin, le buteur Jimmy McGrory.
Sous le charme du gardien écossais, Arsenal tente une offensive à la toute fin du mois d’août 1931. Les Gunners présentent une offre officielle au Celtic pour tenter d’enrôler le gardien-star. Mais les dirigeants tentent de temporiser, d’autant que le Old Firm face aux Rangers se profile une semaine plus tard. Un Old Firm auquel Thomson était particulièrement attaché, et auquel il allait se présenter dans la forme de sa vie. Et puis, ce foutu destin a décidé de tout arrêter, là, comme ça, à la 50e minute. Plongeant une Écosse déjà déprimée par la crise financière dans une profonde tristesse.
30 000 fans dans un village de mineurs
Les funérailles de John Thomson dureront trois jours. Le lundi 7 septembre, son cercueil est amené à Cardenden, sa ville natale. Le mardi, une cérémonie est organisée dans l’église de la Trinité de Claremon Street, à Glasgow. Une scène particulièrement marquante s’y tient : c’est en effet le capitaine des Rangers, David Meiklejohn, qui y récite l’oraison funèbre, pendant qu’à l’extérieur, des milliers de fans du Celtic se sont réunis. Le mercredi a lieu l’enterrement à Cardenden. Des wagons remplis de supporters partent de la gare de Queen Street : ils seront finalement 30 000 réunis dans ce petit village de mineurs, pour un dernier au revoir à leur gardien parti beaucoup, beaucoup trop tôt.
Quelques jours plus tard, le Celtic accueille le Queen’s Park FC, dans un Celtic Park encore sous le choc. Deux interminables minutes de silence seront respectées, en hommage à Thomson. Le célèbre journaliste écossais John Arlott conclura par ces mots : « C’était un gamin quand il est arrivé au Celtic, et c’était encore un gamin quand il s’en est allé. Il n’eut ni prédécesseur, ni héritier. Il était unique. »
Par Éric Maggiori