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  • Coupe du monde 2014

48 heures de violence à Salvador

Par Pierre Boisson et William Pereira, à Salvador
48 heures de violence à Salvador

Beaucoup de buts, encore plus de bière et de soleil : Salvador de Bahia a accueilli six matchs de la Coupe du monde qui, comme le dernier en date, Pays-Bas – Costa Rica, ont tous été superbes. Quelques mois plus tôt, pourtant, la troisième ville du pays suscitait les doutes quant à sa capacité à recevoir la Coupe du monde : après deux ans de grèves récurrentes, la police militaire désertait soudainement la ville pendant 48 heures, laissant place à l'anarchie. Récit de deux jours et trois nuits de chaos.

Que se passe-t-il quand il n’y a plus de police, plus d’État, et qu’il n’y a de toute façon plus aucune loi à faire respecter ? Pendant près de deux ans, la police militaire de Salvador de Bahia a laissé planer cette question en menaçant régulièrement de se mettre en grève générale et de laisser la population seule face à elle-même. À l’origine du chantage, plusieurs revendications : une augmentation des salaires, de meilleures conditions de travail et une réglementation des compensations en cas d’accident. « Nos salaires étaient très bas. Avant le début des revendications, je percevais 2600 reais par mois (environ 860 euros, ndlr), témoigne José Roberto, policier gréviste. Surtout, on était moins bien équipés que nos ennemis. Grâce à la vente de cocaïne, ou de crack, les narcotrafiquants ont des armes de guerre, des grenades alors que nous, on avait même pas des gilets pare-balles dignes de ce nom. Ça nous rendait inefficaces, et nous mettait en danger. » En février 2012, la police militaire saisit l’approche du carnaval pour lancer le premier mouvement de grève. Environ un tiers de ses 32 000 membres restent à la maison, flingues dans l’étui. S’ensuit une vague de violence dans l’aire métropolitaine de Salvador, une explosion du crime et des vols endiguée par l’envoi de l’armée et l’emprisonnement de Marco Prisco, leader du mouvement. Mais voilà : la perspective de la Coupe du monde, pendant laquelle Salvador accueillait six matchs (dont Espagne – Pays-Bas, Allemagne – Portugal ou France – Suisse), offrait à la police militaire un outil de pression sans commune mesure sur le gouvernement de Dilma Rousseff, qui avait promis de se montrer inflexible. Alors, le mardi 15 avril dernier, à la nuit tombée, l’Aspra, principal syndicat de la police militaire, est passé à l’acte : grève générale et totale. Salvador allait connaître un monde sans police.

Des pillages et des morts

La violence, tout de suite. Dans la nuit, plusieurs supermarchés sont mis à sac. Le mercredi, à l’aube, un groupe d’hommes à bord d’une voiture défonce la vitrine d’un magasin d’appareils électroménagers de la Cidade Baixa, puis emporte tout ce qu’il peut dans le bolide. Un peu plus loin dans la ville, une épicerie est pillée, puis brûlée et un marché du Bairro da Fazenda Grande est saccagé par les habitants du quartier. À 9h du matin, des vols et des pillages ont été signalés dans six quartiers populaires de Salvador. Aucun bus ne circule dans la ville, les écoles et l’université annoncent qu’elles resteront fermées tant que la police sera en grève. Le 17 avril, alors que l’armée a été envoyée pour rétablir l’ordre et protéger les grands centres commerciaux du Nord de la ville, 35 personnes sont retrouvées assassinées. « C’était l’enfer sur terre, résume Marcos César Silva, délégué de la brigade des vols à Salvador. 60 voitures ont été volées au premier jour de la grève, trois fois plus que d’habitude. » Les dégâts provoqués par les pillages sont estimés à 131 millions d’euros. Si les zones les plus touchées se trouvent dans la périphérie de Salvador, le chaos s’empare également des quartiers populaires de l’ancien centre colonial, à proximité du Pelourinho, l’un des lieux prisés par les touristes. Bruno, un habitant du quartier, n’a pas oublié ces 48 heures d’anarchie. « Tout a l’air beau et calme là, n’est-ce pas ? » , dit-il en balayant les rues vides du regard, où au milieu des chiens errants zonent quelques crackheads. « Il y a deux mois, pendant la grève, des corps jonchaient le sol pendant que des gars pillaient des magasins d’électroménager, d’informatique et de téléphonie là-bas. Ils sont venus en camion, et ils ont chargé tout ce qu’ils pouvaient : ordinateurs, machines à laver, téléphones portables. »

La police assassine ?

Les débordements sont tels que la police est accusée non seulement d’avoir laissé la violence se propager, mais d’y avoir participé. En 2012, déjà, Marco Prisco aurait donné l’ordre à ses troupes de commettre des actions violentes et de brûler des voitures, tandis que la police militaire avait également été suspectée d’avoir éliminé des sans-domiciles pour gonfler les statistiques et accentuer le climat de peur. En avril dernier, les mêmes accusations sont portées contre les forces de l’ordre. « À certains endroits, la police militaire a facilité, et même incité certaines personnes à voler, piller et casser, dénonce le sociologue Emilson Lopes Junior, spécialiste du sujet. La police militaire est un anachronisme, une relique de la dictature militaire qui a traversé le temps. Il faut moderniser nos institutions qui sont clairement obsolètes. » De fait, derrière la grève se jouait également un bras de fer entre une aile réformatrice de la police, qui voudrait progressivement se démilitariser et accentuer le travail de prévention, et l’aile conservatrice, qui entend combattre les narcos en tirant plus fort qu’eux, avec de plus lourdes armes. « Pour le moment, ce sont les conservateurs qui l’ont emporté, car ils sont mieux organisés et soutenus par des syndicats plus forts, poursuit Emilson Lopes Junior. Ils ont bénéficié d’une augmentation salariale de 16% et d’un renforcement de leur arsenal, mais c’est une solution à court terme. C’est impossible de résoudre le problème de l’insécurité uniquement par la force. »

« Tu peux te prendre une balle perdue à n’importe quel moment »

Alors qu’il regarde la Coupe du monde sur un minuscule poste de télévision grésillant, Bruno ne dit pas autre chose. La police ? « C’est n’importe quoi. La dernière fois, ils sont arrivés ici les flingues à la main à la poursuite de trois mecs. Tu peux te prendre une balle perdue à n’importe quel moment. Surtout qu’ils s’en foutent d’attraper les coupables ou non, ils veulent juste envoyer quelqu’un en taule. Ce jour-là, ils m’ont ramassé simplement parce que je passais dans la rue à ce moment-là, et j’ai passé dix jours en prison avant qu’ils me relâchent. » Pendant la Coupe du monde, comme partout au Brésil, aucun problème majeur n’a pourtant été signalé à Salvador de Bahia, qui a préféré crouler sous les buts plutôt que sous les balles. Pas de quoi rassurer Bruno, pour qui la vie reprendra après la finale. « Nous ne sommes pas loin du stade donc tout ça appartient au périmètre de la FIFA, explique-t-il. Tout a été nettoyé, la violence comme la misère. Ce qui va se passer après ? Je n’en sais rien. Mais ça ne va pas bien se passer. »

Ben Old, un Néo-Zélandais sur le green

Par Pierre Boisson et William Pereira, à Salvador

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