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4-4-murs

Par Quentin Müller, à Poissy
4-4-murs

En prison, l’Euro 2016 a donné des idées pour baisser de quelques Celsius le climat ambiant. Très active en animation culturelle, éducative ou sportive, la prison de Poissy organisait un tournoi de futsal dans le cadre de l’Euro. Au programme, des interventions rugueuses, des frappes lourdes et des célébrations pleines de testostérone.

11, c’est le nombre de portes qu’il faut franchir pour accéder à la cour de la prison centrale de Poissy. Posée en plein centre de la petite ville dortoir des Yvelines, la prison compte près de 219 détenus. Ses grands murs gris craquelés et son imposante porte violette détonnent au milieu des immeubles d’habitation. La présence d’un musée du jouet, presque accolé à la petite porte du personnel, interpelle. Comme son nom l’indique, la maison centrale ne fait pas dans les peines courtes, la petite délinquance ou dans de la détention provisoire. À Poissy réside seulement le gros poisson. Ancien couvent, l’espace, censé pouvoir accueillir 250 individus, fait grand complexe bucolique. La première cour aménagée tel un jardin Le Nôtre, est en fait un potager « entretenu par les détenus » explique, fière, Isabelle Lorentz, directrice de la prison. Quatre portes grillagées plus loin, la seconde cour, plus bruyante, comprend terrain de tennis à l’abandon et gymnase avec salle de boxe flambant neuve et… terrain de futsal. Spécificité de la maison, chaque détenu est libre de transiter comme bon lui semble, sans limitation de mobilité. Le personnel de prison est donc directement confronté aux détenus, et ce, dans une atmosphère et ambiance plutôt détendue.

« Le seul moyen d’éviter de devenir fou »

À l’occasion de l’Euro 2016, la direction a décidé d’organiser un tournoi de football. Sport numéro un, ex aequo avec la « muscu » , le football se pratique le lundi et le mercredi au gymnase et le week-end sur grand terrain. Cette année, exceptionnellement, les équipes de détenus n’affronteront pas les équipes de « matons » . Cédric dit « Babas » , cheveux gominés et plaqués vers l’arrière, la petite moustache et les bras aussi gros que les cuisses d’une adolescente en pleine croissance, a sa petite idée : « Ils ont peur, voilà tout. Ils se sont défilés. » Assis derrière la cage de foot, Mike se change et fulmine : « Dommage qu’ils ne soient pas venus. Le foot, c’est le seul et unique domaine où nous pouvons les battre. » Arrivé il y a trois mois à la prison de Poissy, Mike concède : « Le football et la rivalité qu’il occasionne, c’est le seul moyen d’éviter de gamberger et de devenir fou. »

Crimes, viols, enlèvements et séquestrations, tout le monde sait plus ou moins qui a fait quoi. Nombreux sont ceux qui créent leur affinité avec les uns, ou avec les autres, en fonction de ça. Les origines comptent également. Bonna, animateur sport de la prison, le mètre 90 qui va bien et les épaules aussi larges qu’une table d’écolier, le concède : « Lui et lui sont des Basques. Ils restent toujours entre eux d’habitude. Mais là, ils se sont mélangés exceptionnellement et jouent l’un contre l’autre. D’ailleurs, ils devaient être contents de l’élimination de l’Espagne. Je les appelle « Athletic » ou « Bilbao » » , rit-il. Les deux compères souhaitent rester discrets et n’entament pas la conversation. Bonna pointe également l’équipe « des rastas » : « Les Antillais des Antilles françaises et anglaises restent beaucoup entre eux. Rien à faire pour eux. Mais bon, je comprends, leur équipe est beaucoup trop forte. » « Ce sont les outsiders de la compétition » , lâche John, second animateur chargé de garder un œil sur le déroulé de la compétition et de la prise en compte des scores.

« Les gars, avant le tournoi, ont enchaîné deux, voire trois heures de muscu »

Anthony Blair, le cheveu tressé, fait partie de cette grosse communauté antillaise de la prison de Poissy. Posé derrière une cage de but, il prévient : « Ça frappe fort ici, tu devrais pas rester là. » Le foot a toujours fait partie de sa vie, « même dehors » . « J’ai joué en Guyane dans le club de Malouda et de Darcheville. J’étais bon. Mais après, je me suis blessé gravement au genou. Et le pote de ma copine a eu des ennuis un jour avec une bande. J’ai tué des gens pour lui… » , concède-t-il à demi-mots, non sans un grand regret. Numéro 6 de son équipe, il n’empêchera pas les siens de s’incliner à tous les matchs. Faute d’être dans la mauvaise équipe. « Bobo » n’a lui pas ce problème. « Ils m’appellent comme ça, car je leur fais des bobos sur le terrain » , plaisante-t-il. Roulette, crochets, passement de jambe, passes laser, le registre de Bobo est plaisant. Bonna et John concèdent qu’il est sans doute le meilleur joueur de la prison de la Maison centrale de Poissy. Son petit gabarit contraste au milieu des Golgoths. Il est le leader de l’équipe des « rastas » connue aussi bien pour ses dreadlocks que pour son jeu vif, fait de redoublements de passes et de grosses frappes.

Charles est le numéro 9 des « rastas » . L’homme de 32 ans mesure 1m86 pour 90kg. Il vient de Dominica, petite île des Antilles de 754 km2 à la nature indomptable où on parle l’anglais et le créole anglais. L’individu a fait ses « bitchs » sur une des îles francophones. « Il me reste plus d’années à tirer que Bobo » , avoue-t-il, sans préciser davantage. Le massif gaillard est la caution muscle de l’équipe, de loin la plus frêle du tournoi. « Ils jouent en équipe, finement, en une ou deux touches maximum » , analyse John. « Ici, si tu regardes sur le terrain, ça joue beaucoup en l’air et physique, on va pas se mentir. » La salle de musculation est libre d’accès de 8h30 à 17h30 du lundi au samedi. « Les gars, avant le tournoi, ont enchaîné deux, voire trois heures de muscu. Ça ne rigole pas. Ici, c’est sacré. » Encore une fois battue à plat de couture, l’équipe de Cédric, dit « Babas » , est éliminée après quatre matchs de compétition. Le fan mancunien est saoulé. Le foot va trop vite pour lui. Trop de chichis sur les contacts. « Tu me parles en passements de jambes ? Moi, je te parle en tractions » , sourit-il.

Football, vecteur de réinsertion

Les matchs s’enchaînent et l’arbitrage, assuré par un détenu, fait toujours autant débat. Bonna supervise : « Si on s’en chargeait, on se ferait mêler. C’est la position la plus délicate de la journée. » Farès*, arbitre pour l’occasion, a été trié sur le volet. L’homme siffle tant bien que mal les fautes. « Parfois, j’interviens… Parce que siffler un coup franc alors que le type se fait découper en pleine surface… » , souffle Bonna, le rictus aux lèvres. L’homme a été choisi pour la finale. « Madame la directrice, moi je veux pas de Bertrand* comme arbitre. C’est un Antillais, comme les « rastas ». Il est des leurs. Il va nous niquer » , interpelle Ibrahim*, jeune attaquant de l’équipe finaliste opposée aux « rastas » . Le jeune homme est un élément prometteur de la boxe de la Maison centrale de Poissy. « Un crack » , glisse John. Au foot, le garçon va vite malgré son joli gabarit. « Je suis pas aussi « zdeg » que ces fous, rigole-t-il. Quand je me retrouve face au gardien, je les entends arriver derrière moi. Le sol tremble. » Pako, le doyen de la compétition, 115 kilos pour 1m69, fait partie des nombreux golems de la prison. « Je ne prends pas de protéine. Je me ressers juste à la cantine » , plaisante-t-il. L’homme qui vient de Nouvelle-Calédonie est en prison depuis 1991 et doit sortir, « sans remise de peine » , en 2024. « Avec remise, je sors dans six ans » , lance-t-il, avant de renifler. Il est le plus apprécié du tournoi. Dur sur l’homme mais fair play, Pako « est là pour montrer l’exemple » .

À l’aube de la finale, le déroulé du tournoi coulisse bien, sans violence ni trop d’insultes, malgré les rudes contacts et les décisions arbitrales mi-figue mi-raisin. M. Benhamouche, chef de l’unité des politiques d’insertion à la DISP de Paris, voit dans le football une lueur vers la sortie : « Un détenu se sent très souvent dévalorisé de par sa détention. Le football, surtout en période d’Euro, revalorise les individus. Il permet également de les resocialiser au sein d’un groupe. Surtout ceux qui ont d’habitude un comportement violent. Au foot, si tu sors du cadre, tu pénalises tes coéquipiers, tes amis… C’est différent de la prison où, si tu sors du cadre, tu te pénalises toi-même. Puis ça permet de leur faire prendre l’air… C’est pour ça qu’en détention, on axe autant sur le football, même si les moniteurs sont de moins en moins nombreux et que nos moyens sont chaque année revus à la baisse. » Isabelle Lorentz est du même avis : « Pour ce tournoi, chacun était autorisé à s’inscrire, sans distinction. Beaucoup ne se fréquentent pas ou ne s’apprécient pas d’habitude, mais jouent ensemble ou contre aujourd’hui sans souci. »

Carlos en jean-mocassin

Sous le gymnase, les « rastas » prennent 3-1 en début de rencontre, avant d’accrocher le 4-4. « Bobo » est intenable. Du haut de ses 36 ans, c’est lui qui mène son équipe et ravive ses coéquipiers. Un détenu crie : « Bobo ! Tu peux voler ! » Le gymnase tremble. Les détenus antillais venus soutenir leur équipe tapent sur les murs en bois et scandent son nom. Malheureusement, Ibrahim* achève tout le monde par un triplé et clôt le score à 6-4. Envahissement de terrain, le jeune boxeur enchaîne un salto avant de bander les muscles comme Balotelli. La remise des médailles est interrompue par une immense baston à l’entrée de la cour. Les détenus cavalent, les matons s’agitent. « C’est rare » , souffle Ilich Ramírez Sánchez dit Carlos, le tristement célèbre terroriste. À 66 ans, combo veste en jean-mocassin, il semble ne plus avoir la force de jouer au foot. Une fois la foule calmée, les détenus reviennent progressivement chercher leurs médailles. Chacun pose fièrement, médailles de bronze, argent et or au cou, aux cotés de la directrice. À la collation, le calme est revenu. La journée a été longue et c’est un exploit ici.

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