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24 octobre 2010 : Feyenoord, année zéro
Il y a des matchs qu'on n'oublie jamais. Et il y a ceux qu'on oublierait bien, entre deux sublimes victoires. Un principe binaire que le Feyenoord Rotterdam connaît bien, tout fessé qu'il fut par le PSV lors de la dixième journée de la saison 2010-2011. 10-0. À dix contre onze. Mathématique.
Il est 14h30 au Philips Stadion d’Eindhoven ce dimanche 24 octobre 2010. Une rencontre cruciale pour le PSV et le Feyenoord, et pas forcément pour les mêmes raisons. Si les locaux peuvent consolider leur première place au classement, les Rotterdamois flirtent dangereusement avec la zone de relégation, en quinzième position avec seulement huit petits points engrangés en dix rencontres (deux victoires et deux nuls). À peine un quart d’heure de jeu et une première mauvaise nouvelle tombe pour le Feyenoord : Leroy Fer, capitaine de l’équipe, se pète sur un contrôle en porte-manteau et laisse sa place à El Ahmadi. La première d’une longue série… Un nouveau quart d’heure et un but de Reis plus tard, l’arrière latéral Kevin Leerdam écope d’un second carton jaune pour une faute aussi bête qu’inutile sur un joueur du PSV. Martin Been use de son second changement en trente minutes pour faire entrer Martins Indi en lieu et place de l’ailier Schaken, afin d’empêcher sa défense de prendre l’eau de partout. Tout l’inverse pour l’actuel défenseur de Porto qui inscrit un CSC quelques minutes après être entré sur le terrain. 2-0.
Place à la dérouillée. En deuxième mi-temps, Fred Rutten et ses joueurs vont enchaîner les buts comme les bons numéros d’une loterie : Jonathan Reis inscrit un triplé, Jermaine Lens et Dzsudzsák y vont de leurs doublés, Afellay, Toivonen et Engelaar inscriront, eux aussi, leurs pions pour porter l’addition à 10-0. Le club que l’on surnomme « La Fierté du Sud » vient de faire honte à tous ses supporters, voire à tout un pays. À tel point que Jon Dahl Tomasson, blessé toute la saison, assistant au massacre des siens depuis sa télévision, « arrêtera de regarder en cours de match tellement c’était dur à vivre pour eux » . Tim de Cler, lui, fera un constat aussi juste que son nom de famille : « C’est compliqué de comprendre ce qu’il s’est passé. Après le premier but et le carton rouge, tout le monde a joué son propre match, et nous nous sommes totalement effondrés. » De son côté, Martin Been tire un gueule de dix mètres de long en conférence de presse d’après-match, puis déclare : « Vous avez devant vous un homme absolument honteux. […] C’est une immense page sombre de l’histoire du Feyenoord qui vient de s’écrire et j’en souffre énormément. »
La cité des enfants perdus
Comment expliquer qu’une équipe qui a terminé l’exercice précédent en quatrième position, qualificative pour la Ligue Europa, se retrouve en aussi fâcheuse posture, titulaire funeste d’un record de buts encaissés qui tient toujours en Eredivisie ? Parce que le Feyenoord Rotterdam est en plein reconstruction. Depuis 2006-2007 et la nomination à la présidence de Dick van Well, le club a amorcé une transformation en profondeur en choisissant de s’appuyer sur un centre de formation flambant neuf plutôt que sur des valeurs sûres d’Eredivisie. Si des vieux briscards tels que Roy Makaay, Giovanni van Bronckhorst, voire Denny Landzaat viennent encadrer cette jeunesse les premières années, ils tirent leur révérence à l’été 2010, la même année où, pour la première fois, la Feyenoord Academy détrône celle de l’Ajax au titre de meilleur centre de formation. Quant à Jon Dahl Tomasson, la dernière saison de sa grande carrière sera donc blanche et sèche.
Difficile dans ces conditions de faire grandir un groupe en manque de repères, malgré toute la volonté de Wijnaldum, Castaignos et autres. Forcément, lorsque le navire rouge et blanc commence à couler et que son capitaine Leroy Fer est sorti sur blessure, même à dix matelots, la barre est impossible à redresser. « L’une des principales raisons de cette lourde défaite, c’était la présence de nombreux jeunes dans l’effectif. Quand tu manques d’expérience à ce niveau, c’est compliqué de relever la tête dans un match pareil » , croit savoir Tomasson. L’issue de la rencontre aura deux conséquences. La première, le désaveu de Mario Been. Si le coach reste en place jusqu’à la fin de l’année, finissant à une honorable dixième place au vu de la prestation offerte le 24 octobre 2010, l’intéressé reconnaîtra avoir perdu au fil des matchs la confiance de son vestiaire qui finira, à 13 voix sur 18, par voter son éviction du club.
Dix de der
La seconde, la montée en puissance d’une nouvelle génération Feyenoord. Les voyages forment la jeunesse. Et c’est la valise bien chargée en ce jour d’octobre que l’arrière-garde Martins Indi-De Vrij, ainsi que l’animateur Wijnaldum, sont revenus de vacances. Même si « tout le monde a préféré oublier ce qui s’était passé durant ce match » comme l’explique Tomasson, qui poursuit : « Mais c’est sûr qu’une telle défaite, ça crée un déclic ! Moi, j’étais devant mon téléviseur en train de cogiter, de me demander ce qui pouvait clocher dans l’équipe. Alors je n’ose même pas imaginer ce qui se passait dans la tête des joueurs sur le terrain… » Première étape : gagner à nouveau. Ce que fait le Feyenoord Rotterdam trois jours plus tard face au VVV-Venlo. Georginio Wijnaldum fera plier le quadruple V presque tout seul, grâce à un doublé, pour une sèche victoire 3-0. Tout au long de la saison, les jeunes ouailles de Been alternent le bon et le moins bon, capables d’en mettre cinq à Groningen grâce à un Wijnaldum une nouvelle fois étincelant, ou de se faire démolir quelque temps plus tard par le Roda JC.
Le club de Rotterdam se fera justice lors de la dernière journée d’Eredivisie en gagnant 3-1 face au PSV à De Kuip. Une saison de schizophrène terminée en happy end avec, comme toujours, un Wijnaldum qui se signale (doublé pour lui). L’été qui suit, il signe chez les Boeren pendant que Jordy Clasie est de retour de prêt de l’Excelsior. Castaignos, lui, partira pour l’Inter. Ronald Koeman viendra remplacer ce pauvre Mario Been et décidera une nouvelle fois de s’appuyer sur la jeunesse. À la clé, une place sur le podium en 2012, 2013 et 2014, puis des départs prestigieux pour De Vrij (Lazio) et Martins Indi (Porto), notamment. « Durant cette année 2010, ce qui est très symbolique, c’est de voir que parmi tous ces jeunes, notamment ceux présents pendant le match contre le PSV, beaucoup finiront dans l’équipe des Pays-Bas actuelle à la dernière Coupe du monde. » Quatre ans pendant lesquels la Feyenoord Academy raflera à chaque fois le trophée de meilleur centre de formation néerlandais. Quatre ans pour passer de l’humiliation à la réussite.
Par Gad Messika et Matthieu Rostac