- France
- Billet d’humeur
2024 : l’année de l’indécence
Racisme, violence, élitisme, capitalisme à outrance : le football n’est pas le reflet de la société et du monde, mais un de ses acteurs. Et en 2024, il l’a malheureusement parfaitement illustré.
Il s’est révélé fort difficile d’aimer le foot en 2024. Non pas le sport en soi, même s’il est de plus en plus difficile de s’accorder sur un match qui nous a fait vibrer à l’unisson, mais plus pour le spectacle qu’il a proposé à nos esprits critiques. Naturellement, le ballon ne peut sauver le monde – lui-même étant par ailleurs bien malade – tant il est bouffé de l’intérieur par ses vices et turpitudes.
Un jeu qui penche de plus en plus vers l’extrême droite
L’année s’est terminée sur les images et polémiques habituelles. Mike Maignan, le gardien de l’équipe de France et de l’AC Milan, a dû subir des insultes racistes descendant des gradins de Serie A lors d’une rencontre contre le Hellas Vérone. Comment s’en étonner dans un pays dirigé par l’extrême droite et où l’arrière-petit-fils du Duce, Romano Floriani Mussolini, a vu son premier but en seconde division avec la Juve Stabia acclamé par une tribune tendant le bras ?
En France, nous avons également craint que Jordan Bardella finisse à Matignon, lors des élections législatives anticipées en juin dernier. À quelques exceptions près, tels Jules Koundé ou Ibrahima Konaté, les Bleus et le foot français dans son ensemble sont restés d’abord focus les uns sur l’Euro, l’autre sur sa course pour le milliard de droits TV Les rares prises de paroles ont été clouées au pilori, y compris par Michel Platini, preuve de la « normalisation » du RN dans le petit monde du ballon rond.
La France se coupe du foot
Demi-finaliste de l’Euro allemand, cette équipe de France a donné de toute façon l’impression de se déliter sous nos yeux. Un fonds de jeu insipide, un Didier Deschamps impassible, la retraite internationale d’Antoine Griezmann toujours inexpliquée, le capitaine Kylian Mbappé en crise existentielle… L’épisode tragicomique de ses absences lors de la Ligue des nations a démontré, s’il en était besoin, l’effondrement de la primauté automatique des sélections nationales face aux clubs, ici le Real Madrid.
Notre Ligue 1 ne se porte guère mieux. Affaiblie financièrement par la diminution drastique des droits TV, et le ridicule de l’abonnement proposé par DAZN, elle s’évanouit de nos écrans et de nos esprits. La reconduction, digne d’une commedia dell’arte, de Vincent Labrune à la tête de la LFP a démontré la complaisance et l’incompétence des clubs pros devant la catastrophe qui s’annonce. Le PSG, tristement impérial dans le championnat domestique, est à deux doigts d’être éliminé dans un format où pourtant quasiment tout le monde se qualifie. L’épopée réjouissante de Brest ne saurait cacher les naufrages de certaines institutions historiques (Nantes, Saint-Étienne et bien sûr Bordeaux). Le foot pro vacille sur ses fondations, tout en faisant la fête à l’étage comme si rien de grave ne se passait.
Violence à tous les étages
Au niveau amateur, la situation ne s’avère pas davantage rassurante. Les violences dans le foot d’en bas ont régulièrement défrayé la chronique et pas seulement dans la presse quotidienne régionale. Le fameux « projet Mbappé », dont le premier concerné a refusé la paternité lors de son interview dans l’émission Clique de Mouloud Achour, est un exemple de la folie qui s’empare des parents autour des rêves de carrière de leur progéniture. Ici se creuse le hiatus de ces ambitions individualistes avec le projet associatif et éducatif des bénévoles du FC local. À Colomiers, deux véhicules appartenant à des éducateurs de l’école de football ont ainsi été incendiés, et les altercations se multiplient derrière des rambardes des terrains plus ou moins bien entretenus où des U9 tapent le cuir. Cette perception sombre du footballeur comme une « mine d’or » a été aussi désespérément éclairée à l’autre bout de la chaîne par l’affaire Pogba et la tentative d’extorsion impliquant son entourage.
Ce dérèglement ne date pas d’aujourd’hui. Il s’est amplifié avec la croissance gargantuesque des sommes d’argent, et qui désormais contamine tous les échelons. Les familles, notamment issues des milieux populaires, puisqu’elles sont principalement pointées du doigt, ne constituent pas les seules fautives. Agents de joueurs sollicitant des gamins de plus en plus jeunes, centres de formation qui « capturent » des gosses à peine sortis de l’enfance, clubs amateurs qui bouclent leur budget avec le pourcentage touché sur la première signature pro ou à l’étranger d’anciens minots passés chez eux… Le vertige est général, au détriment de l’intérêt des mômes et du plaisir du jeu.
Une question de gouvernance
La tendance ne risque pas de s’inverser. Loin des radars de l’actualité, la rigueur que les actuels gouvernements successifs, et le dernier opus Bayrou, imposent aux collectivités (régions, départements, communes), principaux financeurs du sport, va se répercuter sur les subventions ou les installations. L’effet des Jeux olympiques sera invisible dans les districts, malgré la nomination de Marie Barsacq, ex-responsable du foot amateur sous Noël Le Graët, et du volet de l’héritage de Paris 2024, au poste de ministre des Sports.
L’arbitrage est en aussi en crise. Notamment dans les divisions inférieures. À la suite de l’agression d’un arbitre dans l’Allier, les hommes en noir du département ont procédé à une grève du sifflet. Une fois encore, le mauvais exemple vient d’en haut. Les arbitres ont souvent servi cette année de boucs émissaires aux joueurs, entraîneurs, dirigeants des clubs de L1, sans oublier les commentateurs de plateau télé. La VAR n’a cessé d’illustrer son échec sans qu’aucune prise de conscience ne se produise. Au contraire, la FIFA cherche à américaniser davantage le foot, dans une course aux gadgets qui mènera vers le Football Video Support (FVS), qui permet aux coachs de contester les décisions. Elle ferait mieux de s’inquiéter du dévoiement du jeu avec la King’s League, pendant que les ex-joueurs se mettent tous au padel…
Et ce n’est qu’un début
Mais la multinationale du ballon rond s’est surtout surpassée en 2024 pour défoncer toutes les limites de la décence, se débarrassant de toute fausse pudeur. Ce monstre atrophié, addict aux pétrodollars, ne fait même plus semblant. Gianni Infantino fut sans conteste l’homme de l’année, malheureusement. Il a imposé sa Coupe du monde des clubs. Les futurs Mondiaux bruissent déjà de controverses et scandales, à commencer par le coût climatique de l’édition 2026 en Amérique du Nord. La version du centenaire sera encore plus absurde sur trois continents. Une fois écartée l’Australie, la voie était ouverte pour l’Arabie saoudite, désignée par acclamation en visioconférence. Elle a certes payé chèrement son édition, à l’instar du Qatar en 2022, peu importent les droits humains ou l’empreinte carbone (le dérèglement climatique affecte aussi le football, Mayotte en a fourni une terrible preuve). Le président pourra du coup augmenter son salaire et ses primes, tout en distribuant les dotations aux fédérations nationales conciliantes, entre deux belles déclarations pour la paix à Gaza ou les valeurs humanistes du foot. En attendant, il reste à regarder son fiston taper sa balle Kipsta sur un playground de Schiltigheim ou dessiner un portrait de Lev Yachine sur une feuille blanche, pour se rappeler d’où vient notre passion et pourquoi nous aimons encore le foot.
Par Nicolas Kssis-Martov