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20 ans Lyon-Lens : « Ce soir-là, c’est la délivrance de tout le peuple lyonnais »

Propos recueillis par Florent Caffery
24 minutes
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À deux pour un trône. En ce 4 mai 2002, Lyon et Lens s'engouffrent dans un Gerland volcanique pour la seule « finale » de l'histoire de la Ligue 1. Les Sang et Or, leaders, ont deux points d'avance sur les Gones. L'équation est simple. Vingt ans plus tard, les héros du premier titre lyonnais refont le match avec leurs victimes d'un soir ancré dans la mémoire de chacun, mais pas vraiment de la même manière...

Casting

Éric Carrière : milieu de l’Olympique lyonnais.Christophe Delmotte : défenseur de l’OL.Sidney Govou : attaquant de l’Olympique lyonnais.Gervais Martel : président du RC Lens.Joël Muller : entraîneur du RC Lens.Jacques Santini : entraîneur de l’OL.Jean-Guy Wallemme : défenseur et capitaine du RC Lens.Guillaume Warmuz : gardien du RC Lens.

***

Une finale improbable

Warmuz : Ce match, c’était absolument celui qu’il ne fallait pas jouer… enfin pas comme ça. Si tout s’était passé normalement, on aurait dû être accueillis par les Lyonnais en tant que champions, avec une haie d’honneur. À partir du moment où le titre se jouait là-bas, c’était une mauvaise limonade.

Santini : À la trêve, on n’avait pas du tout coché ce dernier match. On était à 10 points de Lens, nous n’étions plus maîtres de notre destin. Ajoutez à cela notre parcours médiocre en Coupe d’Europe (reversé de la C1 en C3, élimination en 8es de finale par le Slovan Liberec, NDLR), il y a des dizaines d’exemples qui ont jalonné cette saison et nous faisaient dire que l’on ne jouerait pas le titre.

Le bouquet final, c’est d’affronter Lyon chez lui à la dernière journée… Dire que c’est juste un ordinateur qui nous met cette équipe-là à ce moment-là.

Martel : On aurait dû être champions avant, mais on a loupé des matchs faciles, on a laissé des points à Bollaert, contre Metz par exemple (2-2). Notre meilleur joueur de l’époque, El-Hadji Diouf, était parti au Sénégal et n’était pas revenu pour le match de Metz. Je suis sûr qu’avec lui, on aurait gagné, je lui en veux encore.

Wallemme : Bien sûr, on a longtemps fait la course en tête, mais Lyon avait aussi un énorme banc. Tu pouvais sortir Anderson pour Luyindula ou pour Govou. Une vraie armada offensive. On n’en avait pas autant. El-Hadji est revenu cramé de la CAN, Daniel Moreira donnait tellement d’énergie qu’il a fini cramé aussi, Bruno Rodríguez arrivait sur la fin de sa carrière…

Delmotte : La CAN a fait beaucoup de mal à Lens, les Africains à leur retour étaient en perte de vitesse.

Wallemme : Le bouquet final, c’est d’affronter Lyon chez lui à la dernière journée… Dire que c’est juste un ordinateur qui nous met cette équipe-là à ce moment-là.

Delmotte : Quand on a 10 points de retard sur Lens, je suis l’un des premiers instigateurs à cocher ce match en expliquant qu’en rattrapant deux points par mois sur Lens, on y arrivera.

Carrière : Je me souviens d’un match à Lille qu’on a perdu (2-0) où l’on croyait que c’était fini. Dans la foulée, Jean-Michel Aulas avait fait un courrier à chacun de nous pour nous remobiliser. Il avait déjà en tête le dernier match face à Lens. Finalement, on l’avait tous en ligne de mire.

Santini : Il y a aussi et surtout les 48 heures qui suivent notre élimination en Coupe d’Europe face à Liberec. J’ai réuni les joueurs. Là, on s’est parlé d’homme à homme, plutôt que d’entraîneur à joueur.

Carrière : Ça avait été très tendu avec les Bad Gones. On avait fait une réunion dans un bar avec Greg (Coupet) et Sonny (Anderson). Il y avait eu une saine explication pour montrer qu’on n’avait pas fait exprès de perdre, qu’on était déçus aussi. Ça a été comme le début d’une union sacrée pour la fin de saison.

En cyclisme, le gars qui a 4 minutes d’avance, si à chaque kilomètre, il perd 25 secondes, il va commencer à se dire que l’arrivée n’arrivera jamais. On sentait la fébrilité chez les Lensois. Et Lens a perdu le titre avant ce match…

Santini : Le déclic intervient aussi le week-end où Lens se fait accrocher à Troyes (1-1), et nous, on gagne dans les dernières minutes à Auxerre grâce à Sidney (0-1). Là, mathématiquement, tout devient jouable, mais on ne le dit pas aux joueurs. C’est surtout Lens qui avait la pression, pas nous. Ensuite, il fallait parfois calmer les ardeurs à l’entraînement.

Carrière : Malgré tout, il ne faut pas idéaliser notre parcours : Lens a perdu beaucoup de points. Tout le monde avait vu le calendrier. On répétait qu’on avait en tête cette dernière journée, ça affecte celui qui est devant. En cyclisme, le gars qui a 4 minutes d’avance, si à chaque kilomètre, il perd 25 secondes, il va commencer à se dire que l’arrivée n’arrivera jamais. On sentait la fébrilité chez les Lensois. Et Lens a perdu le titre avant ce match…

Warmuz : Il y avait un côté inéluctable à cette saison. On n’a pas su faire ce qu’il fallait avant ce dernier match. On a enchaîné trop de mauvais résultats, de matchs nuls, pour y arriver. Au regard de ce qu’on propose sur les dernières semaines de championnat, on sent qu’il va se passer ça…

Santini : Je me souviens aussi d’un appel de mon fils quelques semaines avant cet ultime match où il m’annonce que dans L’Équipe, on parle déjà de mon successeur (Paul Le Guen, NDLR) qui avait signé. Je n’en ai même pas parlé à Aulas. Je me remobilise, mon staff était remonté par rapport au club de l’apprendre comme ça. Et tous ensemble, on est allés au bout, ça nous a servi.

***

Nuit magique… ou pas

Santini : Dans les quelques jours qui précèdent, physiquement nous étions prêts. Il fallait surtout travailler la fraîcheur mentale. Le jeudi, on est partis comme d’habitude au château de Pizay, dans notre petit cocon. La dernière nuit est vraiment bonne.

Muller : Alors que chez nous, c’est le boxon…

Martel : Des fumigènes, des tambours, il est 2 heures du mat’ et les supporters lyonnais viennent nous réveiller à l’hôtel. Alerte incendie, on doit sortir, c’est l’bordel.

Les supporters lyonnais ont déjà gagné le match. Ils font bien leur boulot, ils viennent perturber la nuit réparatrice des joueurs adverses. Ils ont bien réussi, ça a réveillé tout le monde.

Warmuz : À ce moment-là, les supporters lyonnais ont déjà gagné le match. Ils font bien leur boulot, ils viennent perturber la nuit réparatrice des joueurs adverses. Ils ont bien réussi, ça a réveillé tout le monde.

Muller : Quand on sait que l’on joue un titre de champion de France quelques heures plus tard, c’est très compliqué de retrouver le sommeil sachant qu’on était déjà quasiment dans le match. C’est la seule fois de ma carrière que j’ai connu ça.

Warmuz : Ce n’est pas à cause de ça que nous n’avons pas été champions, mais les grandes victoires se jouent dans de petits détails. Et tout ça mis bout à bout… On sentait le peuple lyonnais à l’unisson avec son équipe.

Muller : C’est sûr que lorsque tu es joueur de haut niveau et que tu joues le titre, tu ne peux pas sortir ça comme excuse.

Carrière : De nôtre côté, on est plus détendus que tendus. On avait un groupe avec lequel on jouait souvent aux cartes, parfois on était 10 à jouer, deux groupes de 4 et une équipe de 2 qui attendait. Au tirage au sort, on savait qu’il valait mieux ne pas être avec certains. Christophe Delmotte était vraiment bon.

Govou : Les anciens avaient amené une bouteille de vin, c’était leur rituel, mais je ne faisais pas encore partie de ce noyau avec Greg, Sonny, Philippe Violeau, Delmotte.

Delmotte : Chaque semaine, c’était un gars différent qui amenait une petite bouteille de rouge la veille de match. C’était vraiment un groupe qui se construisait aussi dans ces moments-là, avec beaucoup de camaraderie.

Santini : Certains aimaient déroger un peu aux règles et se retrouver à 10-12 dans une chambre. Certains sont allés jouer aux cartes, au billard, etc. Si ensuite ils n’étaient pas bons sur le terrain, ils s’éliminaient d’eux-mêmes de toute façon. Je n’allais pas leur dire de se coucher à 21 heures, s’ils voulaient être champions, ils savaient ce qu’il fallait faire.

Chaque semaine, c’était un gars différent qui amenait une petite bouteille de rouge la veille de match. C’était vraiment un groupe qui se construisait aussi dans ces moments-là avec beaucoup de camaraderie.

Govou : Cette nuit-là, je dors parfaitement bien, sans pression. Je n’avais peut-être pas conscience de ce que ça représentait. Je n’étais pas depuis très longtemps dans le milieu, du coup je vis les choses tranquillement. Bon après, tout le monde voulait être sur la feuille de match…

Carrière : La caractéristique de Jacques Santini, c’est qu’il prévenait les joueurs qui n’allaient pas jouer. Il les recevait individuellement.

Santini : Avec mon staff, on a refait un dernier point, notamment avec Éric Carrière qui avait eu une élongation la semaine précédente. Lui me disait qu’il pouvait tenir 90 minutes, mais évidemment qu’il allait me dire ça…

Carrière : J’avais raté Bordeaux. Pierre Laigle m’a remplacé et il a filé une passe décisive à Sonny. Finalement, avant Lens, je suis apte, mais comme quelqu’un qui a raté dix jours. Je ne pouvais pas dire à Pierre que c’était un mauvais joueur et que j’étais au-dessus. Il y a du respect pour lui. J’ai de la déception sur le moment, mais j’avais l’expérience de l’année précédente avec Nantes.

Santini : Marc-Vivien Foé était suspendu, Edmilson était blessé, Eric Deflandre absent pour des raisons persos. Le 11, je l’avais en tête dès le début de semaine. On avait tellement travaillé les schémas avec chacun depuis deux ans que ça coulait.

Muller : Chez nous, j’avais un groupe responsable. On n’a rien changé dans les derniers jours. Il ne fallait pas mettre de pression supplémentaire. Si on a fait 33 matchs qui nous ont permis de jouer le titre, ce n’était pas le moment de modifier notre manière de faire. Il n’allait pas y avoir quelque chose d’exceptionnel. Plus on est naturel, mieux c’est.

Carrière : Au-delà de l’aspect individuel, il fallait être champion, même si c’est toujours plus facile à dire qu’à vivre. (Rires.) Je suis cartésien.

Warmuz : On y croit, on sait qu’il ne nous faut pas grand-chose pour être champions. On a joué nos chances à fond c’est évident, il n’y a aucun gars qui n’a pas cru en nos chances de titre.

Santini : La seule chose que je change cette semaine-là, c’est la préparation de veille de match. Au lieu de faire la dernière séance sur le petit terrain annexe, on était revenus à Gerland. J’avais une idée derrière la tête dont je n’avais parlé à personne. Si nous étions à 1-1 à 15 minutes de la fin, j’avais imaginé de basculer défensivement sur du un-contre-un avec Chanelet, Bréchet et Caçapa qui auraient répondu présent. Ensuite, je faisais monter Patrick Müller en milieu de terrain parce qu’il avait la qualité de la dernière passe, puis faire sortir un milieu de terrain et amener un dernier renfort offensif. On a travaillé cette séquence pendant une dizaine de minutes sans que personne ne s’en aperçoive. Bon finalement, on n’en a pas eu besoin le lendemain. (Rires.)

***

Gerland, c’était bouillant

Muller : Plus on approche du stade, plus on sait qu’en 90 minutes, chacun va jouer un moment décisif de sa carrière. On bascule dans le contexte du match, mais je ne maîtrise plus tout. Quand un joueur se dit « ce soir il ne faut pas que je me rate », on n’a pas de psychologue pour influer.

Carrière : C’est la causerie qui lance surtout le début du match. Là, tu sens que ça commence à monter, il n’y a plus de bruit dans le bus.

Delmotte : On nous passe une vidéo où nos familles nous adressent un message. Ça m’a mis les poils. On a été chamboulés, heureusement qu’il y avait ensuite une grosse demi-heure de bus pour aller au stade, ça nous a permis de replonger dans le match.

Warmuz : En arrivant à Gerland, ça sentait le soufre et la poudre…

Santini : C’est la folie dès l’arrivée du bus. Après il y a l’échauffement, l’hommage de Coupet à Caveglia. J’en ai connu des grandes soirées à Gerland, mais là c’est juste au-dessus de la demi-finale de Coupe de la Ligue face à Nantes la saison précédente. C’était énorme.

Dix minutes avant le match, j’ai appelé ma femme, je lui ai dit qu’on ne serait pas champions, je ne le sentais pas. Autant je suis très optimiste, mais je ne sentais pas mes mecs. Il y avait de la peur.

Govou : Je n’ai jamais vu Gerland comme ça et je ne l’ai jamais revu ainsi. On entre sur le terrain à l’échauffement, le stade est plein, c’est le feu. Ça m’a galvanisé comme un dingue. On savait d’où on venait, c’était une chance extraordinaire de remonter autant de points pour arriver à cette finale.

Warmuz : Les Lyonnais avaient mis chaque détail de leur côté. Le moindre brin d’herbe avait été coupé au millimètre pour que le ballon tourne du bon côté, ils avaient enlevé la poussière dans les bureaux, prié à Notre-Dame de Fourvière.

Wallemme : On pense aussi jouer sur l’ambiance, car ils n’ont jamais été champions, ils sont chez eux, ils veulent absolument gagner ce titre. On pensait les Lyonnais stressés et capables de céder mentalement comme un tennisman qui rate la balle de match.

Carrière : El-Hadji Diouf passe devant nos supporters et leur fait un doigt d’honneur. Il venait sûrement de se faire allumer par eux. Je suis avec David Linarès et je lui dis que c’est bon pour nous. El-Hadji on le craignait, on savait qu’il avait besoin de se mettre dans une atmosphère conflictuelle, mais là, j’ai trouvé que ce n’était pas un bon signal de sa part.

Martel : Dans le vestiaire, j’ai senti beaucoup de joueurs fébriles. Je ne vais pas citer de noms, mais je sentais cette atmosphère. Un silence de mort. J’essaye de réveiller les mecs avec mes mots, ça ne marche pas. Dix minutes avant le match, j’ai appelé ma femme, je lui ai dit qu’on ne serait pas champions, je ne le sentais pas. Autant je suis très optimiste, mais je ne sentais pas mes mecs. Il y avait de la peur.

Muller : Ceux qui sont tout le temps habitués au haut niveau résistent mieux à cette pression. Dans mon groupe, j’avais quelques joueurs qui n’avaient jamais connu ces moments-là.

Martel : Il y a aussi quelqu’un qui a dit « si on fini deuxièmes, c’est bien quand même ». Il ne faut jamais dire ça dans le sport…

Je n’ai jamais vu Gerland comme ça et je ne l’ai jamais revu ainsi. On entre sur le terrain à l’échauffement, le stade est plein, c’est le feu. Ça m’a galvanisé comme un dingue.

Santini : Durant la semaine, les joueurs avaient lu les Lensois dans la presse qui disaient : « Un nul nous suffit. » On sentait la fébrilité de leur côté. Mais il n’en reste pas moins qu’ils avaient un vrai potentiel offensif avec Moreira, Sibierski, Diouf et des joueurs de tête comme Bak et Coly. De mon côté, dans mon discours, je n’avais pas besoin d’en rajouter. Sans dire qu’on revenait de très loin, j’ai juste rappelé aux joueurs qu’on était prêts pour ce type de rencontre. Nous en avions fait des dizaines et des dizaines depuis 1997.

Carrière : Bien sûr que ton cerveau parfois veut partir en mode « si on gagne, il se passera ça ». Et c’est là où la force collective est importante. Elle dissipe le doute. Je vois des Lensois fébriles et chez nous des gars comme Sonny avec son expérience, Violeau, Delmotte, sûrs d’eux. Dans leur regard, tu savais que ça allait le faire.

***

Le match d’une vie

Martel : Le premier quart d’heure, c’est catastrophique…

Carrière : Je suis sur le banc et je vois Sidney, après sept minutes seulement, accélérer. Il a une force exceptionnelle ; des mecs tombent, lui reste debout.

Govou : C’était compliqué de me mettre à terre ce soir-là. (Rires.) Je vais chercher le ballon assez bas sur une passe de Bréchet, je me retourne. Il y a Coulibaly que je pousse un peu de mon bras gauche, il me tacle, mais je continue. J’aurais peut-être pu tomber, mais je continue et je frappe. Et Guillaume Warmuz glisse.

Warmuz : C’est sûrement le seul but de ma carrière que je prends en glissant. Et ça arrive au pire moment. J’ai la responsabilité entière. La frappe n’est pas dingue, j’en ai arrêté des plus dures, mais je suis surpris, je fais un mauvais appui… Quatre ans plus tôt, peu avant que l’on soit champions, on gagne à Metz. Ce soir-là, sur un corner messin, je vais la chercher très loin au point de penalty, je relance et on marque. Je suis l’acteur premier du but. Là, c’est la même chose, mais à l’inverse. Et sur le deuxième, c’est compliqué aussi.

Muller : J’ai du mal à reconnaître mon équipe. On n’était pas habitués à prendre trois buts à chaque match. D’un point de vue défensif, quand on va jouer le titre à l’extérieur, ce n’est pas possible de livrer ça. Le premier quart d’heure est un cauchemar. On devait éviter de mettre l’OL en confiance.

Les gens ne voient que le but, mais à ce moment-là, il y a eu une satisfaction un peu égoïste du coach qui a préparé ça depuis des mois.

Warmuz : Les choses sont déjà tranchées, et j’ai peur que ça fasse beaucoup plus, que ça s’enchaîne. En face, il y avait des artistes. Sonny a souvent marqué contre moi. Nous, on est apathiques, on se prend deux crochets de boxeur.

Santini : Ce but de Violeau vient d’un schéma que l’on répétait sur deux, trois ballons à chaque entraînement. En cas de débordement, beaucoup de défenses se précipitent dans les 6 mètres ou au point de penalty. Je souhaitais donc qu’un des milieux axiaux soit là pour le deuxième ballon, et Philippe Violeau est au rendez-vous. Il n’avait pas fait ça en 33 matchs et il le fait ce soir-là. Les gens ne voient que le but, mais à ce moment-là, il y a eu une satisfaction un peu égoïste du coach qui a préparé ça depuis des mois.

Muller : Quand on revient à 2-1, la possibilité d’égaliser est flagrante. L’espoir est de nouveau très important.

Govou : J’ai un petit moment de peur, je sentais la pression monter.

Wallemme : On a deux trois, situations que l’on négocie mal, dont une avec Daniel (Moreira) et l’on sent que ça se crispe côté lyonnais, pendant que nous, on joue déjà notre va-tout. Mais derrière, il y a ce troisième but….

Martel : En plus, c’est Pierre (Laigle, NDLR), formé à Lens, qui tue son ancien club, mais il a joué son rôle, c’est normal.

Santini : Au retour de vestiaire, on devait repartir le pied au plancher. Ce troisième but, on ne le programme pas, mais il arrive très vite.

Warmuz : Vu comment le but se produit, je comprends qu’on ne pourra rien faire ce soir-là.

Wallemme : Dès le départ, on délaisse cette zone gauche, et Pierre prend l’espace. Le connaissant, je savais qu’il n’allait pas me dribbler. Dès qu’il arme, je tacle, c’est contré et ça passe au-dessus de Guillaume.

Il y avait toujours une petite partie de nous qui disait qu’on allait revenir. J’aurais aimé que le match dure encore des heures, des jours, des semaines, parce qu’on jouait le titre, quand même.

Warmuz : Parfois, il y a des matchs qui sont dingues et où on perd le fil, mais ce sont des épiphénomènes. Là, la logique était lyonnaise.

Carrière : Les Lensois ont la tête dans le seau.

Muller : La dernière demi-heure est très difficile. Je souhaite qu’elle dure plus longtemps parce qu’il y avait toujours une petite partie de nous qui disait qu’on allait revenir. J’aurais aimé que le match dure encore des heures, des jours, des semaines, parce qu’on jouait le titre, quand même.

Carrière : Derrière, on doit faire tourner. Dès que j’entre, je me fait choper par Ferdinand Coly. Entorse de la cheville droite. Je finis le match, mais il n’a clairement pas fait le voyage pour rien. (Rires.)

Delmotte : Malgré la maîtrise, les minutes ne passent pas. Le chrono, tu as l’impression qu’il est au ralenti.

Santini : J’étais serein, mais il fallait calmer un peu tout le monde. Deflandre, Foé, tous ceux-là étaient descendus sur le banc. À chaque coup de sifflet de Gilles Vessière, ils pensaient que c’était la fin du match. À partir de la 80e, je ne vais pas dire que c’était gagné, parce qu’on pouvait avoir encore un expulsé ou un blessé, mais ça sentait bon. J’ai aussi permis à Flo Laville de fouler le terrain pour qu’il puisse aussi participer à ce match merveilleux.

Govou : Je sors, et à 5 minutes de la fin, Sonny se lève déjà, on se tape dans les mains, on sait que c’est purement impossible que ça nous échappe. J’ai envie de sauter partout, je suis excité. J’attends juste le coup de sifflet final pour qu’on s’embrasse tous, qu’on parte en folie.

Wallemme : C’est assez étrange ces dernières minutes. C’est plié, mais on ne pense pas à la satisfaction de terminer deuxièmes, même si, en début de saison, on n’est pas programmés pour ça. Au coup de sifflet, il y a beaucoup de pensées dans le cerveau, l’ancien Stéphanois qui se dit qu’il aurait pu faire un coup à Gerland, la déception…

Muller : On devient le spectateur du bonheur des autres. Je fais la bise à Jacques et je rentre aux vestiaires.

***

Champagne et douche froide

Govou : Tout le monde est dépassé par les événements, ça devient un bon bordel, le terrain envahi, le podium. Une communion totale, c’est juste top. Toute ma famille et mes potes d’enfance sont là.

Santini : Avec mon adjoint Alain Olio et un supporter emblématique qui nous a quittés, René, qui était aveugle et suivait tous les matchs à côté de nous, on s’est vraiment congratulés. Ça a duré quelques secondes, mais c’était très intense. J’ai conservé une photo de ce moment que j’ai toujours avec moi. J’ai aussi eu une énorme pensée pour mon papa décédé quelques semaines plus tôt… Il aurait tellement aimé être là. Vingt ans après, j’en suis encore ému.

Carrière : Je ressens cet énorme complexe de n’avoir jamais été champion, notamment vis-à-vis du voisin Saint-Étienne. Ce soir-là, c’est la délivrance de tout un peuple. Les choses vont très vite. On partage pas mal dans le vestiaire, champagne avec Jean-Marc Chanelet, on est juste heureux. On n’était pas aussi talentueux que les années qui vont suivre, mais notre groupe était équilibré, avec une homogénéité dans l’état d’esprit.

Ma mémoire a presque volontairement voulu effacer tous ces moments d’après-match, c’était tellement triste. Il fallait tourner la page, sinon on n’allait plus vivre.

Santini : On fait monter Bernard Lacombe sur le podium, il avait aussi grandement contribué à ce titre. Depuis 1987, avec Jean-Michel Aulas, ils parlaient de ça. Tout le monde envahit le terrain, ça me rappelle l’époque des titres avec Saint-Étienne quand j’étais joueur.

Muller : C’est extrêmement difficile d’entendre la joie et la liesse des autres pendant que nous on est dans le vestiaire. Chacun a conscience de ce que l’on vient de rater. Ma mémoire a presque volontairement voulu effacer tous ces moments d’après-match, c’était tellement triste. Il fallait tourner la page, sinon on n’allait plus vivre.

Martel : Il y a un silence de mort, on va voir la presse pour assumer. En atterrissant à Lesquin, je suis vite rentré chez moi, je n’avais plus le cœur à rien. Ni d’ouvrir Bollaert comme on me l’avait proposé pour accueillir tout de même les joueurs au retour. J’ai sûrement mal fait, mais j’avais tellement les boules.

Warmuz : C’était fini et, au fond, c’était inéluctable. J’avais pas mal de potes lensois en face, je suis allé boire une bière et fumer un cigare avec eux, avec Pierre et Christophe pour partager un peu leur joie. Je m’entendais aussi avec Sonny et Greg. Ils m’ont bien accueilli : grâce à nous, ils ont été champions. Forcément, j’étais extrêmement déçu, cela n’enlève rien à ma tristesse. J’ai toujours dit que j’aurais préféré remporter ce titre que de disputer neuf Ligue des champions.

Muller : Je discute un peu avec les joueurs, mais il n’y a pas grand-chose à dire, la déception est énorme. Moins on en dit, mieux c’est. Ce n’était plus le moment de faire des commentaires sur la rencontre ou sur la saison. La déception la plus importante est aussi sur le fait de ne pas avoir pu apporter un grand bonheur à tout le peuple lensois.

Santini : Dans notre vestiaire, c’est tout le monde sous la douche, Jean-Michel Aulas aussi. C’est le souhait de tout président lorsqu’il gagne un titre. (Rires.) Le cigare ? C’était le deal avec les dirigeants lyonnais. En 2001, avec la Coupe de la Ligue, on l’avait fait. Des bulles aussi, mais pas de la San Pellegrino.

Govou : Je n’avais jamais vu le président comme ça, à finir dans le bain, noyé. À ce moment-là, je ne pense pas une seconde à la détresse des Lensois. Je n’ai pas dû y penser pour eux avant l’année suivante. (Rires.)

Delmotte : C’est l’une des plus grosses fêtes que j’ai pu faire dans ma vie de footballeur. Il y avait tellement de gens que tu aimais qui étaient là, c’était dingue. On avait déjà fait des troisièmes mi-temps ou des repas pendant la saison, mais là, c’est vraiment énorme.

Santini : Ensuite, on enchaîne avec le balcon de l’hôtel de ville, alors que ce n’était pas prévu, puis dans une discothèque sur une péniche, le Fish. Avec la folie, tout le programme a été décalé de deux heures.

Tu vois des mecs que l’on n’a jamais vus comme ça en soirée. Avec Éric, on ne se côtoyait pas forcément en dehors niveau soirées et là, on a tous fini bouillis avec très peu de lucidité dans les yeux de chacun. Je crois même que ça s’achève à l’aube.

Govou : Le Fish, c’est le feu, tu lâches tout. Tu te dis que tu t’es levé chaque matin pour ça. Tu vois des mecs que l’on n’a jamais vus comme ça en soirée. Avec Éric, on ne se côtoyait pas forcément en dehors niveau soirées et là, on a tous fini bouillis avec très peu de lucidité dans les yeux de chacun. Je crois même que ça s’achève à l’aube.

Carrière : Si je ne me trompe pas, on termine aux Halles avec Peguy (Luyindula) et Sidney, au Ricard, à 6 heures du mat’. Durant la saison, je faisais très peu de fêtes sinon j’avais tendance à me blesser rapidement. Quand il y avait une soirée entre joueurs, soit je n’y allais pas, soit j’étais très raisonnable. J’avais l’image d’un mec qui aime déconner, mais qui est très sérieux. C’est comme s’ils m’avaient découvert sur cette fin de soirée.

Delmotte : Et le lendemain, resto à nouveau. C’était comme un lendemain de mariage. La fête ne s’arrêtait jamais. Et après, on est partis plusieurs jours à Saint-Tropez.

Santini : Le début de semaine est compliqué pour moi. Dès le lundi, j’ai rendez-vous avec Jean-Michel Aulas dans son bureau de la Cegid, où je sais qu’on traite les dossiers brûlants. C’est notre relation interne, mais aujourd’hui encore personne ne sait pourquoi je n’ai pas continué. Ça a un peu entaché le titre. Sincèrement, ce groupe-là, sachant que Mahamadou Diarra allait nous rejoindre, je voulais continuer encore un ou deux ans avec. Quand on arrive à Saint-Tropez, où je descends avec ma voiture perso, je l’annonce aux joueurs, au moins c’était clair.

Carrière : Le titre, on est allés le chercher pour nous tous, pas forcément pour Jacques. Mais il a réussi à faire converger les intérêts de chacun vers un but commun, c’était forcément dommage que ça s’arrête ainsi.

Govou : À Saint-Tropez, c’est encore plus la fête, on n’a pas grand-chose à faire hormis manger et faire le tour des boîtes. Je n’ai même pas trop le temps de redescendre de tout ça, après, avec Brech’ on part au championnat d’Europe espoirs.

***

En ce temps-là y avait 20 ans

Martel : Ça reste une grosse déception. Si on prenait ce deuxième titre quatre ans après le premier, on était lancés. Même si la saison qui suit, on fait une belle campagne de Ligue des champions avec un groupe fou où l’on bat l’AC Milan, où on fait nul au Bayern Munich. Finalement, on a mis le pied à l’étrier à Lyon qui a enquillé sept titres d’affilée.

Muller : Sur le coup, je me suis dit que j’étais maudit, car en 1998, j’avais perdu le titre aussi à la dernière journée avec Metz. Avec le temps, la déception ne sera jamais oubliée. Mais depuis, Lens n’a plus jamais joué le titre. Ça revalorise notre saison. Ce qu’on a fait n’était pas courant.

Dans une carrière de joueur, il y a des chances, il ne faut pas les laisser passer. Un tel scénario ne s’est jamais produit, c’est aussi pour ça que ça reste gravé dans les mémoires.

Warmuz : Dans les semaines qui ont suivi, ça a été très dur, je cherchais à comprendre ce qu’il s’était passé, je me repassais le film sans cesse. Dans une carrière de joueur, il y a des chances, il ne faut pas les laisser passer. Un tel scénario ne s’est jamais produit, c’est aussi pour ça que ça reste gravé dans les mémoires. Pour moi, c’est un titre qui me manque, même 20 ans après. J’aurais dû être champion une deuxième fois avec Lens…

Santini : D’une manière générale, je pense à toutes mes années lyonnaises où je suis passé de simple observateur de match à la direction du recrutement, puis directeur sportif et entraîneur. Ce titre était aussi la face cachée de l’iceberg. Derrière, c’était le centre de formation, l’obstination de Jean-Michel Aulas, la détermination de tout un club. Avec Sonny, il y a quelques semaines, on a passé le match face à West Ham ensemble et on ne parlait que de ce premier titre. Enfin, même pas besoin de parler, les yeux parlent d’eux-mêmes, les émotions reviennent. On est tous liés.

Carrière : Il reste les liens qui nous unissent. On l’a dans les tripes, quand on se voit, on sait ce qu’on a traversé. Dans quelques jours, on doit fêter les 20 ans. On risque de finir sûrement à 6h du matin à refaire le monde…

Govou : C’est le plus marquant de mes titres à Lyon, il n’y a pas de doute. C’est mon premier, le premier pour le club. On m’en parle encore régulièrement. À Lyon, chacun se souvient où il était ce 4 mai 2002.

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Propos recueillis par Florent Caffery

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