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Pourquoi la Croatie du Mondial 1998 est une équipe de légende
Avant la finale du Mondial 2018, l’équipe nationale croate de 1998 a façonné un premier exploit international vingt ans plus tôt, en France. Un parcours réalisé à la suite de l’effondrement de la Yougoslavie, par une équipe en quête de reconnaissance internationale et bien aidée par quelques paquets de cigarettes.
Elle aurait pu devenir, en juillet dernier, le plus “jeune” vainqueur de la Coupe du monde, avec seulement 26 années d’existence. Indépendante de la Yougoslavie le 8 octobre 1991, la Croatie dispute le tout premier match international de son histoire face aux États-Unis, neuf jours plus tard à Zagreb. Et s’impose 2-1. Cinq années plus tard, les Vatreni (Enflammés, en VF) disputent le premier Euro de leur histoire et s’inclinent en quarts de finale. Mais les bases sont posées. « La guerre de Croatie s’est terminée en novembre 1995, huit mois après nous jouions le championnat d’Europe, se souvient Miroslav Blažević, sélectionneur national de l’époque. Quand vous parliez de football à mes joueurs, ce n’était pas difficile de leur demander le maximum, car ils savaient d’où ils venaient. » Parmi eux figurent alors certains des meilleurs joueurs au monde : Zvonimir Boban (Milan), Robert Prosinečki (ex-Real Madrid et Barcelone), Davor Šuker (Real Madrid) ou encore Alen Bokšić (Lazio).
« Utiliser la souffrance liée à la guerre »
Le 15 novembre 1997, d’héroïques Croates décrochent un match nul 1-1 lors du barrage retour de Coupe du monde face à l’Ukraine de Shevchenko et, grâce à la victoire 2-0 au match aller, se qualifient pour le premier Mondial de leur histoire. Attaquant du FC Valence entre 1996 et 2000, Goran Vlaović faisait partie des vingt-trois joueurs sélectionnés pour le tournoi. « Notre génération avait une fierté très prononcée, et le sentiment commun était de démontrer l’existence et le savoir-faire de la Croatie, se souvient l’avant-centre. Il fallait utiliser la souffrance liée à la guerre de façon positive et donner de la joie à nos concitoyens. » Membres du groupe H en compagnie de l’Argentine, du Japon et de la Jamaïque, les hommes au maillot à damier connaissent déjà la méthode à suivre.
« Gagner le trophée, c’est un désir, un rêve, reconnaît Vlaović. À vrai dire, nous ne pouvions pas l’envisager comme le faisaient les équipes déjà sacrées championnes du monde. Notre objectif principal, c’était de passer la phase de poules. Ensuite, il fallait attendre une aide divine… » Avant de passer aux prières, les Croates se qualifient au bout de deux journées grâce aux succès sur la Jamaïque à Lens (3-1) et le Japon à Nantes (1-0). Non sans mal. « La température était hyper élevée, et les Japonais très endurants et accrocheurs, se rappelle Vlaović. Si tu regardes en détail, le Japon avait eu une grosse occasion pour ouvrir le score juste avant le but de Davor Šuker. Si je devais garder un match en mémoire, ce serait celui-là, car nous nous sommes arrachés pour préserver notre avance. » Plus sereine pour son avenir avant d’aborder le choc contre l’Albiceleste, la Croatie s’incline (0-1).
Vittel, tabac et claque à l’Allemagne
Peu importe, les Croates savent que leur cohabitation au centre des Vosges va se poursuivre dans un climat chaleureux. « Quand je suis malheureux à cause d’une raison ou d’une autre, je me rappelle ce Mondial et je retrouve le sourire, confie Blažević. Je garde en mémoire l’accueil que nous avions reçu à Vittel et le séjour que nous y avions passé, dans une région agréable et dotée de grandes richesses. » Nommé citoyen d’honneur de la ville, Blažević fermait toutefois les yeux sur une pratique fréquente au sein de son groupe à l’époque : la consommation de cigarette. « Je n’ai jamais su identifier les fumeurs, car quand ils le faisaient, c’était en cachette. Je n’étais pas d’accord avec cela, mais je crois que cette habitude permettait à certains d’entre nous de se sentir plus libres et détendus. »
Un péché mignon qui n’empêche pas les principaux intéressés de vaincre la Roumanie en huitièmes de finale à Bordeaux (1-0), puis l’Allemagne, pourtant championne d’Europe en titre, dans une rencontre à la saveur de revanche (3-0). « Quand j’analyse ce quart de finale et celui que nous avions perdu deux ans plus tôt, nous avions mieux joué en 1996, évoque Vlaović, auteur du deuxième but. En cela, la beauté du football réside dans son incertitude : tu ne vas pas forcément perdre quand tu joues mal, ou gagner quand tu joues bien. »
« À mon avis, Thuram était dopé »
Sensation du dernier carré en compagnie du Brésil, des Pays-Bas et de la France, la Croatie se sent pousser des ailes en demi-finales à Saint-Denis, sur l’ouverture du score de Šuker en tout début de seconde période. La suite, c’est un double épisode que tout le pays aimerait oublier. « C’était comme si nous avions marqué un but en or, sauf que ce n’était pas du tout le cas, analyse Vlaović. Dans la foulée, nous avons pris une douche froide. » Encore touché par cette défaite face aux Bleus grâce aux deux seuls buts inscrits par Lilian Thuram dans sa carrière internationale (1-2), Blažević crève son abcès. « Dès le départ, j’avais annoncé aux journalistes que nous allions en France pour gagner la Coupe du monde ! En Croatie, j’étais considéré comme un fou. Malheureusement, nous avons joué contre la France en demi-finales, et à mon avis, Thuram était dopé. »
Touchée mais pas coulée, la Croatie remporte le match pour la troisième place contre une grosse équipe batave (3-1) et rentre au pays avec une magnifique médaille de bronze. La meilleure manière d’être reconnue comme une nation à part entière sur l’échiquier mondial. « Cette performance a fait connaître un pays anonyme : de 3 % de personnes qui connaissaient la Croatie sur la planète, nous sommes passés à 30 %, synthétise Blažević. Ce succès allait au-delà du sportif, il était aussi politique. » De son côté, Goran Vlaović conclut sur la place de choix occupée par sa fameuse médaille. « J’ai un peu honte de le dire… Je ne sais pas où est passée ma médaille ! Depuis le temps, j’ai dû faire sept ou huit déménagements. Si je ne la retrouve vraiment pas, je vais demander à mon ancien coéquipier Zvonimir Boban de me faire une réplique. Il travaille à la FIFA, ça devrait pouvoir se faire. » Les bons contes font les bons amis.
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Par Antoine Donnarieix / Article paru initialement dans SO FOOT CLUB