- 30 ans de la victoire de l'OM en Ligue des champions (3/5)
« Boli dans l’axe, Desailly au second poteau… Et but ! But de Boli ! »
La première mi-temps tant redoutée par des Marseillais forcément mis sous pression milanaise révèle ses deux héros : Fabien Barthez et Basile Boli. Le premier sauve la baraque en gardant par miracle sa cage inviolée et le second en inscrivant un but juste avant la pause qui donne aux siens un petit avantage qu’on espère alors décisif…
C’est parti ! Rudi Völler et Abedi Pelé engagent sous la pression immédiate des Golgoths milanais. Dès la 4e minute, Basile Boli donne le ton de cette finale en séchant Maldini, échappé sur l’aile gauche. Mais, attention danger ! Le coup franc tiré aux 16 mètres par Donadoni trouve la tête de Rijkaard qui passe juste au-dessus de la barre. Assumant son statut de favori, l’AC Milan signifie d’entrée à l’OM qu’il est là pour récupérer « sa » coupe après deux saisons creuses.
Les leçons de San Siro 1991
L’OM adopte une ligne défensive haute, avec Basile juste un peu décroché derrière. Le 6 mars 1991, déjà, face à Milan à San Siro, Goethals avait sacrifié Vercruysse et aligné une défense à cinq pour contenir Gullit et Massaro. Après le nul glorieux (1-1), Raymond avait dévoilé ses plans : « Faut attaquer Milan sur ses propres bases, hein ! Personne ne les avait fait reculer comme on l’a fait. Faut pas attendre Milan dans ses 30 derniers mètres, n’est-ce pas, hein ! Celui qui recule, il est mort, il perdra, hein ! » Mais la pression lombarde fait reculer les Phocéens, et à la 5e, une tête croisée de Massaro sur centre de MvB (Marco van Basten) passe non loin du poteau de Barthez. Marseille réplique aussitôt par une échappée axiale de Völler, lancé par Deschamps qui a récupéré le ballon sur un tacle rugueux : l’Allemand tire du gauche sur Rossi qui relâche sur Bokšić, contré in extremis par Maldini ! À la 8e, Massaro part seul au but, mais il est sifflé hors jeu : avec Baresi et Tassotti, Milan joue long dans le dos des défenseurs afin de passer par-dessus le bloc axial marseillais. Sur le direct TF1, le duo Roland-Larqué s’émeut à l’antenne quand un des pylônes lumineux rend soudain l’âme, lumières éteintes. Comme lors de l’OM-Milan de 1991 au Vélodrome… À la 9e, Bokšić est encore séché, et à la suite du coup franc direct, Milan joue mal la ligne, et Alen s’en va seul contre Rossi (1,94m), mais son lob mal ajusté passe au-dessus de la barre !
Et Milan repart fort avec un corner de Donadoni achevé par une tête puissante de Maldini au point de pénalty qui passe largement au-dessus. À la 13e, Di Meco colle une terrible semelle à Albertini dans le rond central. Car l’OM subit, contraint de vite se transmettre le ballon en jeu court. Quand ils le peuvent, les Phocéens allongent eux aussi, presque toujours vers Bokšić et Völler, pour passer au-dessus de l’axe central milanais également très encombré. Bien obligé : « Baresi, Maldini, Tassotti, Costacurta, c’était un mur, racontera Völler. Passer ces quatre-là, c’était pratiquement impossible. C’était toujours un problème de devoir les affronter, et il ne faut donc pas minimiser ce qu’on a fait contre eux. » Des deux côtés, on joue le hors-jeu en remontant très vite. Mais Marseille n’est pas au point : à la 17e, sur une diagonale de Tassotti, côté droit, Massaro déboule dans l’axe, seul, dans le dos des défenseurs. Lancé dans la surface, il tarde à tirer et, repris par Angloma, il centre en retrait en talonnade pour MvB qui pivote et tire du gauche au point de péno… et but ! Non : Barthez repousse de la jambe ! Panique à bord. Car dans la foulée, Donadoni centre dans l’axe profond sur Massaro qui s’échappe dans la surface et, vers le coin des 6 mètres, décoche une mine du gauche que Barthez écarte par miracle d’une main ferme ! Di Meco avait donné l’explication tactique des flottements défensifs de son équipe : « Sacchi avait révolutionné le Milan : gros pressing et bloc haut. Milan jouait la ligne, pour bien pratiquer le hors-jeu. Nous, on s’était inspirés de ça : on ne voulait pas reculer, sinon on était morts ! On pratiquait beaucoup le hors-jeu nous aussi, mais là en finale, on n’était pas bien rodé, parce qu’Angloma, un latéral droit, jouait ce soir-là dans l’axe, donc on n’était pas bien réglés. »
OM et Milan nient en blocs !
Basile recommence à souffrir du genou et de la cuisse gauche, ce qui altère ses capacités physiques : « Nous sommes dominés par cette grande équipe de l’AC Milan. Je me mets un peu en retrait, pour éviter tout choc violent. » Völler et Angloma viennent le réconforter… Les Provençaux se donnent de l’air en allongeant encore sur la tête de Bokšić, excellent dans le jeu aérien, et sur Völler. Ils piègent à nouveau les Milanais en hors-jeu sur les relances de Baresi, et tout derrière, Barthez sait temporiser longuement avant des dégagements lointains. Le gros de l’orage semble être passé. Tout comme la chance milanaise ? « Comme l’OM à Bari, c’est Milan qui rate les deux premières occases. Sur le banc, j’étais serein », se souvient Bernard Casoni, resté sur le banc. Boli y voit un signe favorable : « Fabien Barthez ! Il nous sort deux ou trois arrêts d’anthologie, et là on se dit : “Ou bien on touche la lune, ou bien on va au fond de la mer…” » Les Milanais s’énervent. Le jeu se durcit, et ça tacle sévère dans la bande médiane de part et d’autre du rond central saturé de gladiateurs : à la 22e, Deschamps est abattu par Rijkaard et Tassotti ! Le jeu bloqué laisse place à une succession de balles longues brisées par des hors-jeu : Van Basten, puis Bokšić, puis Massaro ! Di Meco chope à retardement le premier jaune de la partie à la 32e pour son tacle kill dead sur Albertini. Sur l’action qui suit, ce dernier, lancé seul sur une fine ouverture de MvB, est sifflé hors jeu. Le ralenti indique qu’il ne l’était pas. Massaro l’était, mais ne faisait pas action de jeu… Ouf !
Sur un nouveau lancement parti de bas, le même Massaro parti seul côté droit rate son contrôle, déclenchant l’ire de Jean-Michel Larqué, très critique sur le choix d’avoir titularisé le numéro 11 milanais… L’aride guerre de tranchées se renforce à partir de la 35e. Il ne se passe plus rien : on balance, on va aux duels, et les rares mouvements sont vite annihilés. Les deux blocs sont en place, figés. C’est des tribunes que vient l’animation avec ce chant des supporters marseillais qui reprennent en chœur sur l’air de Santiano le vibrant Hissez-haut les drapeaux !, qu’ils ont inventé deux mois plus tôt. Basile Boli se remet à souffrir atrocement du genou. Il songe à sortir ! Comme il l’avait révélé dans GQ, sa volonté de sortir déclenche la colère de Rudi Völler, warrior qui en a vu de plus rudes : « Ça ne va pas, non ?! Tu restes ! Il faut que tu t’accroches ! » Basile avait raconté la suite dans Paris Match : « Je m’étais accroché, mais après la 40e minute, la douleur était devenue intolérable. J’ai en effet demandé à sortir. Raymond Goethals secoue la tête : “Non, Baze ! Tapie ne veut pas que tu sortes.” » À l’image TV, on devine qu’alerté par talkie-walkie, Bernard Tapie a fait transmettre aussi au docteur Bailly son injonction de voir Baze rester sur le terrain. « J’enrage : “Mais je vais crever sur le terrain, moi !” Je traite Tapie de tous les noms, mais je retourne jouer », se résigne le numéro 4 marseillais…
Basile coupe à pic !
Le jeu reprend donc avec lui, et à la 42e, à la suite d’un débordement foudroyant de Pelé sur Maldini, côté droit, l’OM obtient son premier corner de la partie. « Beaucoup de finales ont été gagnées sur coups de pied arrêtés. On nous l’avait dit avant le match », rappelait Di Meco avec malice sur RMC Sport. Basile se souvient du conseil d’Abedi en début de match : « Ils sont tellement costauds, les Milanais, que je ne veux pas te voir au deuxième poteau, tu restes au premier. » Alors que Pelé s’apprête juste à botter le corner, à l’antenne, le duo de TF1 commente la suite : « Ce serait le bon, le très bon moment. » (Larqué) « Ce serait le moment exceptionnel, vous voulez dire… Abedi Pelé pour le tirer… » (Roland) « Boli dans l’axe, Marcel Desailly au second poteaaaaauuuu… ET BUT ! » (Larqué) « BUT DE BOLI ! But de Basile Boli sur ce corner ! Extraordinaire coup de tête de mon Basilou ! » (Roland) Une onde tellurique fait chavirer l’Ohème, de l’Olympiastadion jusqu’à la Canebière ! Les joueurs marseillais se congratulent avec chaleur en submergeant leur buteur, mais brièvement, sous l’ordre très ponctuel de l’arbitre suisse. Les Milanais accusent le coup, et c’est têtes baissées, sans entrain, qu’ils se dirigent au centre du terrain pour engager… Basilou avait rembobiné pour GQ, les yeux encore brillants, ce centre coupé au premier poteau lors d’une 43e minute qu’on devine à ce moment cruciale : « La balle arrive sur moi. Il y a Rijkaard et Baresi qui me retiennent complètement ! Et c’est là que je dis que les “génies du foot” étaient avec nous parce que c’est en redescendant que je prends le ballon de la tête (le haut de son crâne, NDLR). C’est Rijkaard et Baresi qui me “redescendent” quand la balle frappe ma tête ! Et puis là, la balle part ! Linéaire… Et je la suis, je la vois partir derrière moi, quand je redescends… Elle part vers l’histoire… Au fond ! L’épisode où j’ai demandé à sortir, c’était juste une minute avant l’action du but. Vous vous rendez compte ? Si j’étais sorti, eh bien, c’était fini. Je n’aurais pas marqué. »
Baze avait complété son récit pour Paris Match : « Après avoir posé le ballon, Abedi avait levé la tête lentement et planté ses yeux dans les miens. Je l’avais reçu cinq sur cinq. (…) Je m’élance et je sens qu’on agrippe mon short, mon maillot, mais je m’envole, galvanisé par la rage contre Tapie (sic). Après le but, j’ai trois secondes de folie sous la montée de l’adrénaline, je cours vers Pelé et je lui crie : “Pourquoi moi ? Pourquoi ce but ? !” J’ai l’impression que Dieu est à côté de moi ! » Le jeu reprend sur ce commentaire de Jean-Mimi qui claque comme une évidence : « Ce but a été vraiment marqué à la minute idéale. » Dans GQ, 20 ans plus tard, Franck Sauzée n’en pensait pas moins : « On a marqué devant notre virage, celui qui était bondé de nos supporters ! Un virage tout blanc ! C’est génial parce que c’est juste avant la mi-temps : on sait que là, c’est un moment stratégique. Que ça va nous permettre de nous reconcentrer à la pause et qu’au fond de nous, on est persuadés qu’on va la gagner, qu’on va aller au bout ! » Mais l’OM n’a alors accompli que la moitié du chemin quand Monsieur Kurt Röthlisberger siffle la mi-temps…
Lire la partie 1 : Le rêve Bernard Tapie
Lire la partie 2 : L’affrontement tactique entre Capello et Goethals
Lire la partie 4 : Une finale gagnée à l’italienne
Lire la partie 5 : L’héritage de l’OM 93
<iframe loading="lazy" title="OM-Milan AC 93" frameborder="0" width="500" height="375" src="https://www.dailymotion.com/embed/video/x50een?pubtool=oembed" allowfullscreen allow="autoplay"></iframe>
Par Chérif Ghemmour