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1979, l’Iran, le foot et la révolution

Par Adrien Candau
1979, l’Iran, le foot et la révolution

Il y a à peine plus de quarante ans, le 11 février 1979, le régime impérial des chahs d'Iran tombait sous le coup d'une révolte populaire sans précédent et était remplacé par une république islamique qui allait transformer en profondeur la société iranienne. Le football, dont la popularité a explosé lors des années 1960 et 1970, mettra des années à se remettre du choc. Récit d'un âge d'or pré-révolutionnaire, d'une longue dégringolade puis d'une inévitable renaissance.

C’est une révolution qui n’aura finalement duré qu’un peu plus d’un mois. Du 7 janvier au 11 février 1979, la rue iranienne s’embrase pour renverser la dynastie impériale des Chahs. Et aboutir à la création d’une République islamique, toujours solidement en place aujourd’hui. Un mois et quelques jours qui ont radicalement transformé le destin d’une nation, mais aussi plongé le football iranien, paralysé par un régime religieux qui lui est peu favorable, dans un trou noir sportif de plus d’une décennie.

Chah balance en Iran

Peu avant la révolution, le football iranien semble pourtant à son apogée. Sans doute parce que le pouvoir en place voit alors d’un bon œil le développement d’un sport qui lui permet de rayonner à l’international, comme de réaffirmer ses liens avec l’Occident. Retour en 1941 : cette année-là, Mohammad Reza Pahlavi monte sur le trône et s’adjuge ainsi le titre de chah, soit le monarque à la tête de l’Iran. Au programme du nouveau souverain : Une politique intérieure laïque et autoritaire et une rhétorique nationaliste survitaminée. Mais aussi un vaste plan de réformes qui comprendra entre autres une politique de partenariat économique privilégiée avec les États-Unis et l’Europe, une révolution agraire qui se veut favorable aux agriculteurs modestes ou encore un renforcement des droits et rôles des femmes au sein de la société. « À cette époque-là, l’Iran est la grande puissance régionale qui assume ses relations avec l’Ouest. Le pays est alors dans le camp occidental » , confirme Christian Bromberger, ancien directeur de l’Institut français de recherche en Iran.

Le régime veut afficher un visage moderniste, relativement tourné vers l’extérieur, et le football, sport international par excellence, a de l’espace pour gagner progressivement en popularité. Rapidement, le régime du chah chapeaute alors la Fédération de football iranienne : « La FIFA réclamait l’indépendance de la Fédération, mais du temps du chah, les présidents de l’organisation étaient issus de familles proches du régime, déroule Christian Bromberger. Par exemple, de 1972 à 1979, c’est Kambiz Atabay qui est à la tête de la Fédération. Il finira par devenir le secrétaire à New York de l’épouse du chah, quand celle-ci sera partie en exil aux USA après que le régime impérial a été renversé à la suite de la révolution islamique. »

L’âge d’or

En 1972, un championnat national – la Coupe Takht Jamshid – voit même le jour. En parallèle, certains militaires proches du régime se retrouvent aux manettes des plus grosses formations du pays. À l’image du Taj Téhéran, l’un des deux grands clubs de la capitale. « Le général Khusravani, un militaire ayant des liens étroits avec le régime, était le propriétaire du Taj (renommé Esteghlal Téhéran après la révolution, N.D.L.R.) » , précise Houchang Chehabi, enseignant en relations internationales à l’université de Yale et auteur d’Une histoire politique du football en Iran. De fait, le football de club iranien se structure, gagne en popularité et finit même par se politiser alors que le Taj entretient une rivalité grandissante avec l’autre grande équipe de Téhéran, Persepolis.

« Schématiquement, le Taj est le club du Nord de la capitale, plus bourgeois et aristocratique, précise Bromberger. Persepolis, c’est la formation populaire par excellence. Ça se reflétait aussi dans le jeu pratiqué par les deux équipes : le Taj avait une tradition de jeu de passes élégant et sophistiqué, alors que Persepolis assumait un style beaucoup plus direct. » Les années 1970 voient également l’émergence de sections féminines dans certains clubs, notamment au sein du Taj. Une évolution reflétant la politique d’un pouvoir iranien qui octroie entre autres aux femmes le droit de vote en 1963 et tente de faciliter leur accès à l’éducation. Mais le plus grand symbole de l’explosion de la popularité du football en Iran reste bien entendu les performances inégalées de la sélection : en 1968, la Team Melli remporte sa première Coupe d’Asie des nations avant d’enquiller deux autres succès dans l’épreuve (en 1972, puis en 1976).

La chute

Le football iranien plane sur son petit nuage, mais la révolution islamique de 1979 va brutalement lui rappeler qu’il reste étroitement dépendant des évolutions politiques du pays. Voilà désormais les conservateurs islamiques aux manettes de l’État, et le football n’a pas précisément leurs faveurs. Les clubs sont nationalisés, et le championnat national est supprimé au profit de ligues provinciales. Le sport n’est plus globalement pas une préoccupation prioritaire du nouveau gouvernement islamique, alors que l’Iran entre en conflit armé avec l’Irak de 1980 à 1988.

C’est que les Mollahs conservateurs entretiennent une méfiance toute particulière vis-à-vis du football, et des passions qu’il est susceptible d’engendrer : « Pour le nouveau pouvoir en place, le football est un symptôme de l’occidentalisation du pays et est associé à une débauche d’argent…, rappelle Bromberger. Ce qui gêne aussi les mollahs, c’est le côté débridé de la foule, les insultes… L’un des slogans favoris des supporters des clubs iraniens, c’est « Shir-e samavar dar kun-e davar« . Soit littéralement « Le robinet du samovar dans le cul de l’arbitre« . Bref, ce sont des choses qui n’entrent pas franchement dans le cadre de la stricte morale islamique. »

Renaissance

En 1989, l’élection du modéré Hachemi Rafsandjani à la présidence de l’Iran va néanmoins contribuer à desserrer l’étau des religieux sur le football. La même année, le championnat national est rétabli – il deviendra même professionnel en 2001 –, alors que les conservateurs adoptent progressivement une position plus modérée à l’égard du sport roi. La victoire de l’Iran face aux États-Unis en phase de groupes de la Coupe du monde 1998 par deux buts à un est même présentée comme un immense succès patriotique par le guide suprême de la révolution, Ali Khamenei. « Ce soir, le puissant et arrogant adversaire a senti le goût amer de la défaite » , dégaine-t-il après la rencontre.

« Désormais, lors de certains grands matchs, une prière est prononcée avant de jouer, ajoute Bromberger.On a aussi d’immenses photos de Khamenei affichées en haut des tribunes des stades. Donc disons qu’il y a une tentative de greffer au sport une forme de symbolisme religieux, associé au pouvoir en place. » Comme si le régime des mollahs avait fini à son tour par comprendre qu’il gagnerait plus à tenter d’instrumentaliser à sa façon le football, plutôt que d’essayer de minimiser son rôle et sa popularité en Iran.

Dans cet article :
La comparaison de gros beauf de l'entraîneur de Gijón
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Par Adrien Candau

Propos de Christian Bromberger recueillis par AC, ceux d'Ali Khamenei issus du numéro 156 de So Foot

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