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1970 et 1971 : ces premières Coupes du monde féminines que tout le monde a oubliées
La Coupe du monde féminine, en Australie et en Nouvelle-Zélande, connaît en 2023 sa 9e édition. Pourtant, avant que la FIFA ne reprenne l’organisation de la compétition en 1991, des premiers Mondiaux féminins avaient été organisés en 1970 et en 1971 avec un succès populaire inédit. Bienvenue dans un monde où les Danoises sont doubles championnes du monde.
Le football féminin connaît une internationalisation et une médiatisation croissantes, alors que pourtant son histoire est aussi ancienne que le football masculin. Faut-il rappeler que le premier match international masculin s’est déroulé le 30 novembre 1872, et qu’il a fallu attendre moins de dix ans pour qu’Anglaises et Écossaises emboîtent le pas, le 9 mai 1881 à l’Easter Road d’Edimbourg ? Les retours de la presse de l’époque attestent néanmoins d’une période encore misogyne, en se focalisant sur l’apparence des footballeuses et sur leur technique de jeu – si tant est que ces remarques aient disparu de nos jours. Il faut attendre la Première Guerre mondiale, période de l’histoire où les femmes acquièrent un nouveau rôle social, puisqu’elles sont amenées à occuper les tâches dévolues aux hommes qui étaient partis au front, pour voir le football féminin, tout comme les droits des femmes, s’émanciper. Ainsi, certains matchs concurrencent même le football masculin. C’est le cas le 26 décembre 1920 au Goodison Park de Liverpool où près de 53 000 spectateurs sont réunis pour assister au match entre les Dick, Kerr’s Ladies et les St. Helen’s Ladies. Cette popularité croissante attire certes les projecteurs, mais aussi les critiques de la part d’une société encore ancrée dans le patriarcat. Le 5 décembre 1921, la Fédération anglaise de football (FA) interdit tout simplement la pratique du ballon rond féminin pour « protéger les femmes » qui ne « sont pas physiquement capables de jouer au football ». D’autres pays vont suivre cet exemple, ce qui stoppe une première internationalisation du football féminin.
Une première « Coppa del Mondo » en 1970 en Italie
Il faut attendre l’émergence des mouvements féministes des années 1960-1970 pour voir un renouveau et que les différentes fédérations reconnaissent à nouveau ce sport. Le chemin est semé d’embûches, mais cette période de libération des mœurs donne un nouveau souffle à la pratique. En particulier grâce à la Tchécoslovaquie et l’Italie qui mettent en place plusieurs compétitions, notamment une première Coupe d’Europe en 1969 dont la sélection italienne termine championne. Des hommes d’affaires italiens, liés à l’entreprise Martini & Rossi, scrutent cette évolution d’un bon œil et, voyant un potentiel économique, commencent à sponsoriser les différents tournois. Ce qui permet d’accélérer la création de la Fédération internationale et européenne de football féminin (FIEF) en 1970. Pour marquer le coup, ces financiers projettent d’organiser une grande compétition. Et tant qu’à faire qu’elle soit la plus clinquante possible. C’est ainsi qu’est projeté d’organiser en juillet 1970 une « Coupe du monde » féminine en Italie, soit quelques semaines seulement après le Mondial 1970 masculin au Mexique.
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L’attention internationale est au rendez-vous, puisque ce sont 8 sélections (Angleterre, Autriche, Danemark, Mexique, RDA, RFA, Suisse) qui participent à cette « Coppa del Mondo ». Qui plus est, la compétition a lieu dans toute l’Italie, autour de sept stades, de quoi donner du relief à ce premier Mondial féminin. C’est le Danemark et l’Italie qui se retrouvent en finale, dans un stade olympique de Turin de 40 000 spectateurs, et les Danoises remportent la partie 2-0. Malgré ce premier Mondial plein de promesses, la FIFA reste campée sur ses positions et ne reconnaît pas la compétition.
Sponsors à gogo, poteaux roses et ferveur populaire : bienvenue au Mundial 1971 au Mexique
Face au succès de la première édition, une seconde Coupe du monde est organisée un an plus tard en 1971 au Mexique. Le nombre d’équipes qui veulent participer au tournoi augmente, et plusieurs groupes de qualification sont même organisés en Europe et dans les Amériques. Finalement, six sélections se qualifient pour ce deuxième Mondial « officieux » : le Mexique, l’Argentine, l’Angleterre, la France, l’Italie et l’équipe championne en titre, le Danemark. Face aux importants frais occasionnés par un déplacement au Mexique, les sponsors n’hésitent pas à payer le voyage, l’hébergement et les kits de chaque équipe. D’autres investisseurs (la marque de bière mexicaine Carta Blanca, la boisson gazeuse amincissante Dietafiel…) s’invitent dans la danse pour profiter de cette nouvelle part de marché à exploiter. Pour rendre l’événement attrayant, les organisateurs font le choix (douteux) de peindre les poteaux de but des stades en rose et affublent également le personnel du tournoi de tenues roses distinctives.
Sur le terrain en revanche, il n’y a pas d’artifice, et le match d’ouverture entre le Mexique et l’Argentine réunit, le 15 août 1971, 100 000 spectateurs dans le stade Azteca de Mexico. Les autres matchs ont aussi une belle audience comme France-Danemark avec 25 000 supporters. La joueuse anglaise Chris Lockwood se rappelle pour la BBC qu’elle « ne savait pas à quoi s’attendre. Nous n’avions joué que le petit tournoi de qualification en Sicile. Et tout à coup, nous étions au milieu de la fièvre de la Coupe du monde dans cet énorme tournoi mondial fastueux, organisé par des professionnels ». La finale Danemark-Mexique du 5 septembre 1971 bat tous les records, puisque c’est près de 110 000 spectateurs qui sont présents dans le stade Azteca. Soit autant que pour la finale Brésil-Italie de la Coupe du monde masculine de 1970. Néanmoins les supporters mexicains ne pourront célébrer le sacre de leur équipe, puisque le Danemark impose encore sa domination, grâce à un triplé de Susanne Augustesen, âgée d’à peine 15 ans, qui a pu faire le déplacement après avoir obtenu l’autorisation de ses parents.
Les sponsors ne financeront plus par la suite de telle compétition, bien que la pratique féminine progresse peu à peu dans le monde. Il faudra attendre 1986 et la prise de parole forte de la Norvégienne Ellen Wille en plein congrès de la FIFA pour qu’une Coupe du monde officielle soit créée. « Mon idée, c’était qu’il fallait prendre la FIFA par surprise : demander la création d’une Coupe du monde au micro, pour qu’ils n’aient pas le temps de se retourner, raconte-t-elle au Monde. Notre stratégie, c’était la provocation. Et c’était la seule chance que ça marche. » Et le culot fonctionne puisque cette première prise de parole d’une femme dans un congrès de la FIFA pousse son président João Havelange à organiser un Mondial « test » en Chine en 1988. L’expérience s’avère concluante, et, trois ans plus tard, en 1991, la FIFA organise la première Coupe du monde féminine officielle de football, une nouvelle fois en terre chinoise.
Par Kévin Veyssière