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1963, « Winter from Hell » et la petite mort du foot anglais

Par Albert Marie
7 minutes
1963, « Winter from Hell » et la petite mort du foot anglais

« L’hiver terrible » qui touche l’Europe entre 1962 et 1963 reste dans l'histoire comme le plus rude du XXe siècle. En Angleterre, les matchs sont reportés par centaines, et le championnat doit même s’arrêter pendant trois mois, de décembre à mars. Face à cette paralysie, les clubs sortent les très grands moyens pour continuer à jouer au football.

22 janvier 1963. Un mois que l’Angleterre est balayée par les tempêtes de neige, et Norwich reçoit Blackpool au 3e tour de la FA Cup. Prévue initialement le 5 janvier, la rencontre risque ce jour-là un onzième report, la faute à une météo qui n’arrête pas ses caprices blancs. Refusant de devoir une fois encore rentrer aux vestiaires sans avoir foulé le terrain, les locaux sortent des lance-flammes pour dégeler la pelouse d’un Carrow Road Stadium couvert d’un épais manteau de neige. « On était prêts à tout pour enfin jouer ce match » , raconte à l’époque le porte-parole du Norwich City FC à la West Lancashire Evening Gazette. « On s’est équipés de lance-flammes dans un ultime effort désespéré. Mais ça n’a servi à rien : aussi vite que la glace fondait, elle gelait à nouveau. On a aussi essayé les brise-glaces, mais ça n’a pas marché non plus. »

Cette année-là, le Royaume-Uni et une grande partie de l’Europe sont frappés par l’un des hivers les plus froids qu’ait connus le continent depuis 1740. Sols gelés sur 60cm, bourrasques à 190km/h, pics de froid à -30°C, boue et coupures de courant intempestives… Pas un temps à aller taper dans une balle, même pour des footeux. Alors, les compétitions nationales prennent du retard. Beaucoup de retard. Entamé au début de janvier 1963, le 3e tour de FA Cup est marqué par 261 reports, dont quinze pour la seule rencontre entre Lincoln City et Coventry City. Il ne sera bouclé que 66 jours plus tard, le 11 mars, lors d’un replay de Middlesbrough-Blackburn à Ayresome Park. La veille, la First Division, ancêtre de la Premier League, reprenait ses droits après près de trois mois d’une interruption forcée et quasi totale. Pour s’entraîner et continuer à jouer au foot pendant ces longues semaines amputées de matchs, les clubs anglais rivalisent d’ingéniosité, avec plus ou moins de bonheur.

Liverpool s’entraîne dans des lycées, Chelsea bloqué à Malte

Jeune promu en pleine progression cette saison-là, Liverpool loue des salles de sport dans les lycées du Merseyside et organise des matchs amicaux par-delà les mers, là où il est encore possible de faire rouler des ballons, en Irlande. Les boys de Bill Shankly vont jusqu’à enchaîner les allers et retours en avion à Dublin et se font les griffes sur des clubs locaux, dont celui du quartier de Drumcondra (1-5 avec un triplé de Ian Saint John, le 6 février 1963), en attendant le retour aux affaires plus sérieuses du championnat anglais. À Anfield, chaque matin, le jardinier et ancien gardien du club Arthur Riley dispose des braseros sur la pelouse en adressant des incantations à Chione, déesse des neiges.

À travers le pays, d’autres clubs s’obstinent à essayer de rendre leur terrain praticable par tous les moyens. Les dirigeants de Wrexham, au pays de Galles, font répandre 80 tonnes de sable sur leur terrain pour accueillir un 32e de finale de FA Cup dans un décor de plage brésilienne, perdu 3-0 face à… Liverpool. À Brighton, sur la côte Sud-Est, un membre du staff prend ses responsabilités et pense bien faire en déneigeant le terrain du club à l’aide d’un rouleau compresseur de béton. Le brave homme enlève la neige… et la pelouse avec. L’équipe de Brighton and Hove Albion ne pourra pas jouer pendant si longtemps qu’elle finira par suivre le club de hockey sur glace de la ville dans sa tournée en Europe centrale pour garder la forme. Elle sera reléguée en division 4 à l’issue de la saison.

Plus au nord, Bobby Collins, capitaine d’un Stoke City qui attend de pouvoir disputer son match de Cup face à Leeds après 12 reports, se souvient de l’amertume qui touchait l’effectif à chaque nouvelle annonce d’annulation : « On continuait de s’entraîner cinq jours par semaine et, chaque week-end, c’était une nouvelle déception. Les gars avaient tellement d’énergie en eux qu’ils priaient pour que le match puisse se jouer. » Plutôt que d’attendre un signe de la Providence, Coventry, Wolverhampton et le Manchester United de Matt Busby choisissent, comme Liverpool, un départ vers Dublin pour ne pas s’enrouiller. Ils y disputent des matchs amicaux qui brassent jusqu’à 20 000 spectateurs. Chelsea et son manager Tommy Decherty regardent, eux, vers le sud, et programment un match amical bien loin des neiges éternelles, à Malte, face à une sélection des meilleurs joueurs du championnat local. Mais pas le temps de rentrer au pays que les aéroports britanniques ferment, laissant les Blues, victorieux 4-0, cloués sur l’archipel. Un écueil frustrant, mais qui aura la vertu de souder un effectif finalement promu en première division en mai 1963.

Quand Armfield et Waiters faisaient du patin au Bloomfield Road

Parmi les moins chanceux, Blackpool. La station balnéaire du Lancashire, au nord-ouest de l’Angleterre, est particulièrement touchée par les intempéries. Conséquence, l’équipe de foot de la ville ne peut disputer le moindre match dans son stade de Bloomfield Road entre le 15 décembre 1962 et le 2 mars 1963. Paralysé par la glace, l’antre de Blackpool se transforme en patinoire géante. Alors, Jimmy Armfield et Tony Waiters, arrière droit et gardien du club, troquent leurs crampons pour des patins à glace. Le 8 janvier 1963, au cœur d’un stade congelé, les deux internationaux anglais, bonnet vissé sur le sommet du crâne, s’élancent sur la glace devant les photographes du Daily Mirror. Ils y retourneront deux jours plus tard, rejoints par Barrie Martin, Mandy Hill et d’autres joueurs du club. Une fantaisie qui va inspirer dans les ligues inférieures, puisque Halifax, modeste club de D3, mettra son terrain à disposition des habitants qui veulent venir y patiner, moyennant en échange un petit pécule.

Le football anglais est alors complètement à l’arrêt. Mais le pays tout entier s’active pour reprendre le contrôle de la situation, jusque dans les bureaux londoniens. Soucieuse de rattraper une partie du retard accumulé sur le calendrier du championnat et de la FA Cup, la Fédération anglaise autorise les clubs ne pouvant pas recevoir les rencontres sur leur pelouse à accueillir leurs adversaires en terrain neutre, n’importe où tant qu’il est possible d’y poser un pied sans s’enfoncer dans un demi-mètre de neige. En outre, les reports à répétition commencent à faire trembler les boîtes de paris, qui craignent de perdre des millions de joueurs et redoutent une faillite. Cet hiver-là, elles décident ainsi de s’unir pour créer le Football Pools Panel, une institution en charge de prédire les résultats des matchs reportés, afin de préserver l’industrie du pari. Le « comité » se compose de trois anciens internationaux anglais, Ted Drake, Tom Finney et Tommy Lawton, de l’Écossais George Young et de l’arbitre international Arthur Ellis. Chaque semaine, dès le 26 janvier 1963 où ils siègent pour la première fois, les cinq hommes se réunissent derrière les portes closes des Grand Connaught rooms de la Great Queen Street de Londres, avant d’annoncer les résultats – fictifs – de tous les matchs reportés en direct à la télévision, des milliers de parieurs suspendus à leurs lèvres.

Au milieu de ce bazar sportif généralisé en quête d’un semblant d’ordre, le dégel n’arrivera qu’au début du mois de mars. Dans le Livre d’or du football amateur du comté d’Essex de la saison 1962/63, le dirigeant local Sir Stuart Mallinson écrit : « Cette saison a été comme le dernier épisode d’une longue histoire dans laquelle le flegme et l’ingéniosité britanniques ont encore une fois triomphé de l’adversité. Avec patience et pas mal d’humour, les clubs se sont finalement adaptés. » Le 25 mai, avec trois semaines de retard, Manchester United remporte la FA Cup face à Leicester City, pendant qu’Everton fait main basse sur le titre de champion d’Angleterre en devançant Tottenham de six unités. Le Tottenham de Jimmy Greaves, auteur de 37 buts cette saison-là. La seule des grives à faire parler d’elle en hiver.

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