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« 190 substances indiquent un potentiel cancérogène »
Quel est l'impact réel des granulés des terrains de foot synthétiques sur notre santé ?
Vasilis Vasiliou est toxicologue et professeur d’épidémiologie à la Yale School of Public Health. Il travaille depuis plusieurs années sur l’impact des granulés des terrains de foot synthétiques sur notre santé. Salmaan Inayat-Hussain est toxicologue, spécialiste des mécanismes de toxicité, en particulier de ceux du benzène. Ils ont dirigé une étude à paraître dans les semaines qui viennent qui fait l’inventaire des substances nocives contenues dans ces petites billes noires (en utilisant notamment un programme informatique prédictif appelé ADMET Predictor). Ils ont obtenu ce résultat hallucinant : 190 substances répondaient aux critères de seuil indiquant un potentiel cancérogène. Ils s’expliquent ici.
De quoi sont faits ces granulés et qu’y trouve-t-on exactement ?Vasilis Vasiliou : C’est simple, ce sont de vieux pneus broyés.Salmaan Inayat-Hussain : Un pneu est le produit d’une pyrolyse de nombreux produits chimiques. Ensuite, pour fabriquer le granulé, d’autres produits chimiques sont utilisés. Tout cela explique que l’on trouve un très grand nombre de substances chimiques dans ces granulés. Nous avons trouvé dans notre inventaire plus de 305 substances, dont 190 répondaient aux critères de seuil indiquant un potentiel cancérogène, notamment des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), du goudron, du benzène et leurs dérivés.
Ces substances peuvent-elles entrer dans notre organisme ?Vasilis Vasiliou : En broyant le pneu, on augmente considérablement les risques d’exposition. Le risque d’exposition est des milliers de fois plus élevé au contact d’un granulé qu’au contact d’un pneu.Salmaan Inayat-Hussain : Nous sommes d’abord exposés aux substances contenues dans ces granulés par leur inhalation. Un très grand nombre de ces composés sont volatils ou semi-volatils, donc nous les inhalons surtout quand il fait chaud et/ou quand on joue dans une salle mal ventilée. Le deuxième mode d’exposition, c’est le contact direct avec la peau et le sang quand on se brûle en tombant. Les coachs disent que beaucoup de sportifs, notamment des gardiens de foot, continuent à jouer alors qu’ils se sont blessés et que leur blessure est pleine de granulés. Il y a aussi tout simplement l’ingestion de ces granulés.Vasilis Vasiliou : Tout à fait, si vous avez déjà vu des enfants sur ces terrains, vous savez qu’ils les avalent. Et même après un match, vous continuez à être exposé. Ces granulés sont collants et on ne s’en débarrasse jamais vraiment. Ils se retrouvent dans vos machines à laver et vos sèche-linge, où leurs substances vont pouvoir se diluer dans l’eau ou être chauffées à haute température et donc relarguer dans l’air certains composés. Il y a vraiment de très nombreux modes d’exposition.
Quels sont les risques pour notre santé ?Vasilis Vasiliou : Il y a de nombreux risques pour notre santé, et pas seulement le cancer. Tout le monde parle de cancer au sujet de ces terrains et de ces granulés, mais nous nous inquiétons aussi pour l’asthme, des réactions allergiques, beaucoup de maladies en fait.
Beaucoup de gens répondent : « De toute façon, tout donne le cancer ! » ou « De toute façon, je vis dans une ville très polluée, jouer une ou deux fois au foot sur synthé ne va pas changer grand-chose. » Qu’en pensez-vous ? Vasilis Vasiliou : Oui, c’est vrai, beaucoup de gens pensent comme ça. Il faut bien comprendre que ce problème s’ajoute à la pollution que vous subissez déjà. Vous êtes déjà en mauvaise posture à cause de la pollution de l’air. Et là, vous vous exposez à d’autres substances nocives en allant au stade. En matière de risque cancérogène, on sait bien qu’une seule molécule peut faire muter votre ADN et causer un cancer. Vous ne pouvez pas dire : « Bon, je suis déjà exposé à plein de polluants, ça ne change rien. » Si, ça peut tout changer ! Par ailleurs, on doit tous essayer de rendre l’air et l’environnement autour de nous moins pollué, on ne peut pas se résigner. Mais je comprends, même mes voisins laissent leurs enfants jouer sur ces terrains, alors qu’ils connaissent les risques. Salmaan Inayat-Hussain : On parle de produits qui ont un impact sur la santé publique au sens large, y compris sur beaucoup de gens qui ne savent pas qu’ils sont exposés. Pour certaines substances, il peut y avoir des impacts immédiats, mais pour d’autres, il peut y avoir des impacts en cas d’exposition chronique. Il va falloir du temps pour trancher, sûrement des années. Dans ces cas-là, l’Organisation mondiale de la santé est très claire, il faut chercher des alternatives plus sûres. Et elles existent.
Propos recueillis par Thibaut Schepman