- Italie
- Scandale du Calciopoli
10 choses à savoir sur Calciopoli
Voilà près de neuf ans que le scandale Calciopoli a explosé, et c'est aujourd'hui que l'on devrait enfin connaître le verdict final. La Cassation s'exprimera sur une affaire remplie de contradictions et qui a plombé le football italien.
Calciopoli. Une affaire qui démarre le 2 mai 2006 avec la publication d’écoutes téléphoniques dans la presse papier. Le ton est donné. Des fuites, des inexactitudes, des contradictions, des mensonges. Un imbroglio qui dure depuis neuf ans entre justice sportive et ordinaire. Un bordel sans nom, même si le sobriquet de « Farsopoli » lui a été attribué, non sans raison. Malgré tout, le verdict de la cassation ne devrait rien changer. Bien que concernant également d’autres dirigeants de club (Lazio, Fiorentina, Milan, etc.), ce procès devait prouver que la Juventus bénéficiait bien d’avantages illicites pour remporter des titres, et que Luciano Moggi utilisait son pouvoir pour conditionner le monde du football italien. Dix ans, c’est dur à résumer ou à rattraper. On va donc se contenter des faits. S’ils stipulent que sept personnes ont été condamnées à de la prison ferme pour association de malfaiteurs visant à la fraude sportive, ils racontent également plein d’autres choses. Accrochez-vous.
Il n’y a jamais eu de matchs truqués
Entrons directement dans le vif du sujet. Il n’y a aucune preuve de matchs truqués dans l’affaire Calciopoli. C’était déjà le cas dès le procès sportif (bâclé en un mois) en 2006, cela a été confirmé plus tard par la justice ordinaire qui a écrit noir sur blanc : « La saison 2004-05 est régulière » . La saison suivante, elle, n’a même jamais fait l’objet d’enquête. Par ailleurs, deux membres clés de l’association de malfaiteurs n’officiaient plus. Il s’agit de Paolo Bergamo et Pierluigi Pairetto, « désigneurs » d’arbitres (moyennant un tirage au sort et des grilles pré-établies), qui avaient passé la main en 2005. Il n’y a également aucune trace de corruption. La justice ordinaire parle de tentatives de fraude non réussies (et plutôt alambiquées). Rappelons que deux titres ont été retirés à la Juve (également rétrogradée en Serie B), le premier laissé vacant, le second attribué à l’Inter.
La Juventus est blanchie depuis un moment
Une belle contradiction, la Juve acquittée, son ancienne direction non. Motif : Moggi utilisait son pouvoir bien au-delà de ses compétences de directeur général, et surtout aucun résultat n’a été altéré. Une décision qui a permis à la Vieille Dame d’être plutôt en position de force pour les épisodes suivants. Toutefois, on a la sensation qu’il s’agissait surtout de couper la poire en deux, et de ne faire porter le chapeau qu’à Luciano Moggi et sa tête de parfait bouc émissaire.
Des mensonges qui durent
Cette affaire a généré plusieurs légendes dont la consistance a pourtant été démentie depuis longtemps. Si elles perdurent, c’est aussi à cause d’une presse (pas seulement sportive) qui se plaît à orienter son lectorat. Calciopoli, c’est avant tout une histoire de coups de téléphones entre les dirigeants et les désigneurs arbitraux. Coups de fils totalement autorisés et même encouragés par la Fédération afin de faciliter le dialogue. Et surtout, la Juve n’avait pas l’exclusivité de ces appels, voire des dîners amicaux. Ce sont les rapports avec les arbitres qui étaient totalement interdits. Autre chose, Moggi n’a jamais « séquestré » Gianluca Paparesta après la rencontre Reggina-Juventus en 2005. Le parquet de Reggio Calabre ayant classé l’affaire sans suite depuis des années.
Une association de malfaiteurs bancale
Moggi & Giraudo (ex-dirigeants de la Juventus), Mazzini (ex-vice-président de la fédé), Pairetto & Bergamo (fameux désigneurs), De Santis, Racalbuto, Dattilo & Bertini (arbitres) composent donc l’association de malfaiteurs. Nombre de ces accusés ont renoncé à la prescription, car persuadés de pouvoir prouver leur innocence. Un gang qui a perdu 11 membres en cours de route, tous acquittés, souvent trop tard pour que les arbitres concernés reprennent leur carrière. La thèse accusatoire bat de l’aile depuis des années, si bien qu’avant chaque sentence (1re et 2nde instance), cela sentait l’acquittement pour tous. C’est souvent le cas dans les rendus, pas dans les sanctions. Les deux se contredisent fortement. Sur les 30 fraudes sportives, 8 sont encore debout. De nombreux chefs d’accusation sont tombés, d’autres restés sur pied, mais avec plusieurs accusés acquittés. Enfin, un chiffre éloquent : sur la saison 2004-05, la Juventus obtenait 1,89 point en moyenne avec les arbitres qui ont finis dans ce procès (acquittés ou pas), et 2,63 avec les autres.
Une enquête remplie d’erreurs
Malgré les sentences qui confirmaient partiellement leurs requêtes, les enquêteurs ont reçu de nombreuses critiques, notamment dans les rendus de justice de 1re instance. L’enquête y est décrite à sens unique et visant à ne poursuivre que les méfaits de Moggi, négligeant les autres cas suspects. Des écoutes pourtant signalées comme importantes ont été totalement délaissées par le ministère public, elles pouvaient changer le cadre de la situation. Un procès justement entièrement basé sur ces écoutes dont il est parfois difficile de déceler le réel ton de la discussion. Plusieurs théories comprennent des erreurs grotesques qui mériteraient un best-of, sur les joueurs avertis, l’horaire des appels, les scores. Le colonel Auricchio a avoué ne pas avoir regardé les matchs et avoir utilisé les analyses arbitrales de la Gazzetta dello Sport (la fameuse « Moviola » ), jugée comme journal le plus impartial.
La théorie des cartes SIM, dernière rescapée
Deux des principales théories de l’accusation ont été récusées : celle sur les cartons jaunes « télécommandés » (pour faire suspendre un joueur qui affrontait la Juve le match suivant) et celle du tirage au sort truqué des arbitres. C’est pratiquement tout le procès sportif qui est contredit. Le dernier pan est celui des cartes SIM étrangères, qui ne figurait pas parmi les éléments qui ont envoyé la Juventus en Serie B. Moggi n’a jamais nié qu’il allait en acheter en Suisse, et les dépenses figuraient même dans les bilans financiers du club, il avoue tranquillement en avoir donné une à Bergamo (nous y reviendrons). En soi, cela ne constitue en rien un acte criminel. Reste à en savoir l’usage. Problème, l’accusation y ajoute plusieurs arbitres. Un moyen de magouiller sans se faire choper ? S’ensuit une reconstruction remplie d’inexactitudes entre les possesseurs virtuels. Pourtant, ces cartes SIM auraient simplement pu être mises sur écoute. Chose faite pendant un moment, mais elles étaient inactives.
Le travail fondamental de la défense de Moggi
Moggi a réussi à se procurer (légalement, hein) les 180 000 écoutes de cette affaire et a engagé une équipe pour toutes les passer au peigne fin. Un travail titanesque qui leur a permis de dénicher de nombreuses conversations qui les dédouanaient selon eux, et qui, surtout, mettaient dans le pétrin d’autres équipes absentes de ce procès. Le tout changeant le cadre de cette affaire. Beaucoup d’accusés en ont profité. La Juventus a récupéré le tout pour constituer un dossier et le fournir au parquet fédéral. La justice sportive jugea bon d’attendre la prescription (à un jour près !) probablement pour éviter de « remuer la merde » . Car l’accusation était de fraude sportive. L’Inter et le Milan, notamment, risquaient très gros.
La contre-offensive
Ce n’est qu’une des nombreuses initiatives entreprises dans le sens inverse. Suite aux nouveaux faits qui ont émergé, la Juventus a également demandé la révocation du Scudetto 2006 attribué trop hâtivement à l’Inter. En réponse, la Fédération s’est déclarée… incompétente. Une enquête est en cours sur les modalités de l’enquête de Calciopoli. Une mise en examen du ministère public pour une manipulation de preuves pourtant évidente n’a débouché sur rien. Il reste celle concernant un faux témoignage. La Juventus ne lâche pas l’affaire, une demande de dédommagements de 443 millions d’euros plane au-dessus de la Fédé depuis cinq ans, et elle peut utiliser l’article 39 du code de la justice sportive, qui permettrait la révision du procès sportif.
Un nouveau Calciopoli ?
Ces dernières années, des députés italiens ont demandé au gouvernement à ce qu’une enquête soit ouverte pour découvrir si un second Calciopoli n’était pas en train de se tramer. C’était suite aux polémiques arbitrales accompagnants les victoires de la Juventus. Cette info résumerait presque à elle seule cette affaire. En fait, rien n’a changé en Italie. La Vieille Dame est revenu au sommet de la Serie A et l’écrase comme elle n’avait jamais fait dans son histoire. Presse et adversaires colportent les théories de complots. Et pourtant, Moggi n’est plus là. Pis, les dirigeants bianconeri se trouvent dans l’opposition, que ce soit en matière de politique fédérale ou au sein de la Ligue. Pendant ce temps, les omnipotents Claudio Lotito (président de la Lazio) et Adriano Galliani (dirigeant du Milan) sont au sommet des institutions. Pourtant, leurs noms figuraient dans les registres et écoutes de Calciopoli. Moggi et Giraudo, eux, ont été radiés à vie du football italien. Si ce procès tente de prouver coûte que coûte que les deux hommes pouvaient compter sur beaucoup d’amis, on en déduit surtout qu’ils avaient beaucoup d’ennemis pour se faire éjecter aussi facilement.
Un procès pour en cacher un plus gros ?
On finit en beauté. Les zones d’ombre étant tellement nombreuses, de multiples théories sur la naissance de cette affaire circulent. Il y a eu ces mêmes années un important procès aux dépens de Télécom pour espionnage industriel. Moggi et l’arbitre De Santis en ont notamment été victimes (ainsi qu’un Vieri particulièrement énervé), d’où l’utilisation de cartes SIM pour le premier. Le groupe Télécom-Pirelli étant à l’époque dirigé par Tronchetti Provera, actionnaire historique de l’Inter. D’autres soutiennent que c’est une branche des Agnelli qui aurait tout fait pour foutre le duo Moggi-Giraudo dehors. Enfin, il y a le cas de Franco Baldini, opposant historique de Moggi, et proche d’Auricchio, chef de l’escouade de carabinieri qui a opéré. Dans une conversation avec Mazzini, l’ex-dirigeant de la Roma évoque « le grand chambardement » qu’il est en train de préparer. Ironie du sort, il revient dans la capitale en 2011, embauche Zeman, autre ennemi public de Moggi, le vire de ses propres mains et s’en va après une saison déficitaire. Cette fois, sans l’alibi de la mainmise de Moggi sur le football italien. Et il n’est pas le seul dans ce cas.
Par Valentin Pauluzzi