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- Les 0-0 qui ont marqué l'histoire
0-0 mémorables (4e) : Les minots s’amusent au Parc
Qui a dit que les matchs nuls sans but étaient forcément ennuyeux ou inutiles, voire les deux ? Voici cinquante raisons de penser le contraire, avec des rencontres privées de tremblement de filet qui ont pourtant marqué l'histoire du football. Numéro quatre : le Classique le moins spectaculaire de l'histoire, mais assurément l'un des plus mythiques.
#4 - PSG-OM, 2006
Paris Saint-Germain – Olympique de Marseille
Ligue 1 (J29), 5 mars 2006
« Il fallait trouver une solution, et la solution ne nous venait pas. Le directeur sportif de l’époque, José Anigo, a, par boutade, exprimé l’idée que face à ces Parisiens, il fallait seulement présenter une équipe des jeunes, de minots. Tout de suite, ça a fait tilt dans ma tête. » C’est avec la verve et la loquacité qui le caractérisaient que Pape Diouf narrait, il y a quelques années, comment tout a basculé en ce début du mois de mars 2006. Le Sénégalais n’a pris les rênes du club que depuis six mois à peine qu’il s’apprête à réaliser un coup de poker d’anthologie, alors qu’approche le premier déplacement dans la capitale de son règne à la présidence. Le rival parisien ne compte lâcher que la moitié des places en tribunes prévues aux Marseillais, et a prévu d’installer ses propres fans à la place ? Eh bien le Parc des Princes ne verra pas l’équipe cinquième de Ligue 1 (et ses stars Ribéry, Nasri, Niang, Maoulida, Pagis, Déhu, Lamouchi, Barthez, Luyindula…) à l’œuvre. Solidaire de ses supporters et malgré les pressions de Frédéric Thiriez et Canal +, qui sentent que la situation est en train de leur échapper, Diouf tranche : c’est la réserve qui ira au charbon contre Pauleta et compagnie.
« On n’y croyait pas »
« J’étais encore stagiaire, j’avais juste fait des entrées en coupes, se souvient avec des étoiles dans les yeux Mame N’Diaye, aujourd’hui éducateur des U12-U13 de l’AS Beauvais à 33 ans, après des passages au FC Libourne et à l’US Boulogne. Ils nous en avaient parlé une semaine avant, mais on n’y croyait pas. C’est à deux jours du match qu’ils nous ont confirmé la nouvelle. Albert Emon (alors entraîneur de la réserve) a pris le groupe, on a préparé le match en deux jours. C’est trop court pour préparer une réserve à affronter le Paris Saint-Germain. C’était un challenge. On voulait prouver qu’on pouvait être à leur place. » Le pied de nez est énorme, surtout qu’il se fait dans un contexte succulent. D’une part car à l’aller au Vélodrome, la présence de Clara Morgane et une émanation d’ammoniac dans le vestiaire parisien ont, selon la légende, animé un Classique remporté par les Phocéens grâce au « traître » Lorik Cana (1-0). Également parce que seulement deux unités et trois rangs séparent Franciliens et Provençaux au classement.
C’est donc une brochette de jeunots estampillés Commanderie et abonnés à la CFA2, accompagnés de six coiffeurs de l’équipe fanion (parmi lesquels Renato Civelli), qui grimpent dans le TGV de 8h31 le matin même du match. Jean-Paul Delhoume, qui a suivi l’OM partout pendant plus de 20 ans pour noircir les colonnes de La Marseillaise, est également à bord. « Il y avait 44 000 personnes au stade, et tout le monde était persuadé que l’OM allait en prendre six » , se souvient-il. Clairement, les visiteurs sont venus garer le bus. « On a défendu pratiquement tout le match, se marre N’Diaye. L’objectif principal était de ne pas perdre le match, on avait peur d’en prendre un paquet ! On jouait en 5-3-2, j’éclatais sur l’aile quand on avait le ballon, et quand on le perdait, je me recentrais. » Pour Guy Lacombe, aux commandes de l’équipe parisienne à l’époque, cette journée reste un petit cauchemar : « On ne savait pas si l’équipe première venait ou non. On l’a su à onze heures, pas avant ! Je me souviens très bien avoir fait deux plans de jeu la veille : un si une équipe venait, un deuxième si c’était l’autre. J’ai embrouillé mes joueurs, ça n’était pas ce qui fallait faire. Je connais Albert, j’ai travaillé avec lui. (Rires.) Je savais ce qu’il allait faire. Il fallait mettre le premier but… C’est un peu un match de Coupe de France, sauf que d’habitude, ces matchs, on peut les préparer. »
Le bouillon de Bernard Mendy
Coup de bol pour la formation qui arbore le mythique maillot 9 Télécom : le meilleur élément marseillais est dans la cage. Et en plus d’un Cédric Carrasso costaud après 18 rencontres passées dans l’ombre de Barthez, Vincent Gastine sauve son camp à la 38e minute en déviant la trajectoire d’une volée de Paulo César qui allait tout droit au fond des ficelles. Quelques minutes auparavant, le Brésilien a remplacé le pauvre Bernard Mendy, en grande difficulté face à Mame N’Diaye et rapidement conspué par le Parc. « J’étais sur son côté, et je lui mettais un peu le bouillon quand même » , rigole le bourreau, grand bonhomme de la rencontre et qui aurait même pu bénéficier d’un penalty s’il n’avait pas exagéré son plongeon face à Mario Yepes (22e). Globalement, les locaux sont à côté de leurs pompes, ce que Lacombe tente encore de comprendre aujourd’hui. « Quand les joueurs se sont aperçus que c’était l’équipe B… C’est un peu déroutant. Au niveau motivation, c’était très pénalisant. Bernard, il s’attendait à avoir Ribéry en face et s’était préparé à ça toute la semaine, il a dû se poser des questions… »
Malgré l’entrée de Jérôme Rothen en deuxième période et une flopée de situations plus ou moins chaudes, l’escouade de la capitale voit défiler les minutes et se montre impuissante. « À dix minutes de la fin, on était tous cramés, c’était dur, confesse N’Diaye. Il n’y avait qu’une seule équipe. Mais il y avait 0-0, il ne fallait pas qu’on lâche. » Puis viennent les trois coups de sifflet d’Alain Sars, la libération et l’extase. On raconte même que le Parc aurait salué la prouesse d’Alain Cantareil (capitaine d’un jour) et sa troupe, alors que les supporters de l’OM avaient boycotté la rencontre. « À la fin du match, les gens ont copieusement sifflé leur équipe, se remémore Delhoume. Et ils ont applaudi les Marseillais, qui eux étaient fous de joie au milieu de la pelouse, tout le monde s’embrassait. Je ne dis pas l’ensemble du stade, mais la plupart des gens ont respecté la performance. »
Boucherie, prime et récitation africaine
Dans les vestiaires, le bonheur : les archives d’OM TV au cœur de l’exploit sont d’ailleurs un fabuleux bonbon. Gastine fait observer à la caméra sa jambe droite en sang, charcutée comme il faut par Stéphane Pichot en guise de comité d’accueil, André Luís fait le show… José Anigo et Pape Diouf sont également de la fête : le président lâchera même une prime de victoire à ses poulains, alors que selon Delhoume, « il était pourtant très « contrat », par exemple il ne donnait rien en cas de deuxième ou troisième place en fin de saison » . Le soir à l’hôtel, tous ont droit à leur bizutage, N’Diaye se lançant dans une récitation africaine qu’il n’arrivera même pas à terminer. Le moment le plus mémorable de tout ce récit n’est même pas encore passé : à leur retour dans la cité phocéenne, les nouveaux héros de Marseille découvrent que des centaines de personnes sont venues les acclamer à la gare Saint-Charles, avec une chaude ambiance et beaucoup d’embrassades. Assez pour que N’Diaye ait « les larmes aux yeux » .
L’histoire est écrite, et rien n’effacera jamais ce souvenir. Ni la tentative de la Ligue de retirer le point aux deux formations, ni la revanche parisienne en finale de Coupe de France deux mois plus tard (2-1), ni même le destin anonyme de la quasi-totalité de ces minots, qui pour la plupart ne feront pas de vieux os sous la tunique olympienne. Seuls Cantareil, Mohamed Dennoun et Garry Bocaly auront l’opportunité de la revêtir de nouveau, tous quitteront le club dans les deux années suivant ce match, sauf Dennoun (trimbalé de prêt en prêt) et Bocaly, qui sera l’unique rescapé de la génération à réussir une carrière digne de ce nom (avec en point d’orgue un titre de champion de France avec Montpellier en 2012), même si inachevée. Car aujourd’hui à la trentaine passée, tous sans exception ont depuis longtemps fait une croix sur le foot de haut niveau, malgré d’éphémères apparitions en Ligue 1 et Ligue 2 pour certains, et des tentatives en D1 danoise, grecque ou marocaine pour d’autres ; ce 5 mars 2006 reste donc l’apogée sans lendemain d’une équipe passée à la postérité. Ça mérite bien un hommage digne de ce nom à celui sans qui tout cela ne serait jamais arrivé, et c’est Jean-Paul Delhoume qui s’y colle : « Pape Diouf n’a malheureusement jamais eu de trophée, il en méritait. Ce match-là, c’est un peu son titre à lui. »
PSG (4-4-2) : Letizi – B. Mendy (P. César, 31e), Rozenhal, Yepes (Rothen, 46e), Pichot – Landrin, É. Cissé, M’Bami, C. Rodríguez (Pancrate, 70e) – Pauleta, B. Kalou. Entraîneur : Guy Lacombe.
Marseille (5-3-2) : C. Carrasso – Bocaly, Civelli, André Luís, Pradié, Cantareil – Delfim, Gastine (M. Diop, 63e), M. N’Diaye – Dennoun (Flachi 54e puis D. Ngom 81e), C. Giménez. Entraîneur. Albert Emon.
Par Jérémie Baron
Propos de MN, JPD et GL recueillis par JB, ceux de PD tirés de L'Équipe Enquête