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Match de légende (1e): Séville, c’est la vie

Par Simon Capelli-Welter
Match de légende (1e): Séville, c’est la vie

Numéro un de notre top 100 des matchs qui définissent le foot, Séville 1982, France-RFA. Évidemment. Merci à Michel Hidalgo dont on vous propose ici un passage du carnet de bord qu'il a tenu pendant cette Coupe du monde. Le débrief d'une nuit à Séville.

France – RFA (3-3, 4-5 tab)

Demi-finale de la Coupe du monde, 8 juillet 1982Stade Sanchez Pizjuán, Séville

« Aucun film au monde, aucune pièce ne saurait transmettre autant de courants contradictoires, autant d’émotions que la demi-finale perdue de Séville. » Une fois encore, la vérité sort de la bouche de Michel Platini. Aucun film, aucune pièce, aucune série. Pour approcher la puissance émotionnelle et dramaturgique de ce match, il faudrait le mesurer à l’expérience de l’existence. Voilà, ce match est celui qui définit le mieux le football, car le mieux pour définir ce match est de le comparer à la vie.

Les amours déçues, la faim et la peur Et souvent au fond de son cœurIl revoyait son enfance
Rêvait d’autrefois Tristement il y pensait
Et il se souvenait

À défaut de pouvoir le regarder : « J’ai eu du mal à le revoir une deuxième fois. Avec le temps, oui. […] Heureusement, il y a eu ensuite celle qu’on a gagnée en 98. » Michel Hidalgo a encore et toujours un peu du mal à parler de ce match, sans doute parce qu’il y a trop pensé : « C’est le match où j’ai ressenti le plus de sentiments de toutes sortes. Toutes sortes de choses. Le match où tout y était » . À relire en marquant fortement les pauses entre les points : « C’est le match où j’ai ressenti le plus de sentiments de toutes sortes. Toutes sortes de choses. Le match où tout y était » .

L’adversaire, allemand. Un carré magique, brésilien. Une finale au bout. De l’agressivité. Un bisou de Platini, sur le ballon. Une cuisse meurtrie, celle de Genghini. De la maladresse, bleu-blanc-rouge. Une prolongation, étouffante. Une séance de tirs au but, effondrée. Des pas d’élan. Deux pour Amoros et son chewing-gum dans la bouche. Un arbitre, inexistant. « Il n’a jamais su l’expliquer, l’arbitre, pourquoi il n’a pas sifflé. 26 ans après, il dit qu’il n’a pas vu la collision, qu’il était masqué par un joueur. »

Et surtout, oui surtout, un bourreau. Harald Schumacher. Et une victime. « Je suis obligé de penser à celui qui a tout subi, Battiston, à l’origine peut-être de notre défaite, enfin, à l’origine, je veux dire par là, via sa blessure. Il n’y a pas de sanction, et on perd un joueur qui était peut-être en train de marquer le but. Il aurait pu marquer le but de la victoire. »

Il aurait pu. Au lieu de ça, et sous les traits d’Harald Schumacher, la vie l’a fauchée en plein vol. C’est la vie. Séville.

« Je souffre encore aujourd’hui »

Pendant cette Coupe du monde 1982, Michel Hidalgo a tenu un journal de bord. Il l’a rangé dans un coffre de retour d’Espagne. Trente ans après, Karl Olive l’a convaincu d’aller les chercher dans le grenier pour publier les meilleurs extraits dans un livre intitulé Les Carnets de Michel Hidalgo. En voici un. Son débrief d’après-match. Car après un tel match, il n’y a plus rien à dire.

« Dans ce magnifique stade de Séville, je m’aperçois très vite que le cœur des 60 000 spectateurs bat majoritairement pour la France.

Sans hésiter, j’aligne la même composition que contre l’Irlande du Nord. Dans le vestiaire, silence de cathédrale. L’émotion est palpable jusque dans les regards. Entre eux, les joueurs se parlent, tranquillement, sereinement, pas de cris de guerre. Michel Platini prend la mesure de cette demi-finale. Même s’il est amoindri physiquement, il prend les choses en main. Dès notre arrivée à Sanchez-Pijuan. Quand Littbarski ouvre la marque, je ne panique pas. Les Bleus encore moins. Gigi me jette un regard. Pas d’affolement.

Les garçons restent concentrés et petit à petit, ils réagissent. Ils peuvent gagner ; ils veulent gagner. Avec ce football vif, astucieux, technique et collectif, respectant la liberté individuelle. Notre jeu n’est pas enfermé dans le carcan des consignes d’un match.

Sur notre égalisation, il y a tout. L’extérieur pied droit de Giresse sur le coup franc, la remise aérienne de Platini et la roublardise de Rocheteau, qui prend Stielike de vitesse.

À la mi-temps, j’insiste sur un seul point : « Pratiquez un jeu de même qualité. C’est votre rôle. Moi je suis responsable d’une défaite éventuelle. »

Il s’agit pour moi de faire tomber une pression éventuelle. Extraordinairement concentrés, Tigana, Trésor, Janvion arrangent leurs chaussures et boivent du thé. Au retour des vestiaires, le géant allemand vacille. Je trépigne intérieurement. Même les duels, nous les remportons. Bernard Genghini fait comprendre qu’il ne peut continuer. Il souffre d’une cuisse. Je le remplace par Patrick Battiston, placé juste devant la défense. Nous repassons à un milieu à trois offensifs.

Cela n’empêche en rien Patrick de jouer les coups à fond. À l’aveugle de son pied magique, Platini l’envoie nous offrir le second but. Tout le monde voit le ballon de Patrick filer à la gauche du montant allemand. Mais personne ne voit l’incroyable, l’intolérable faute de Schumacher. Sur le banc, loin de l’action, il nous faut quelques secondes pour mesurer l’ampleur de la blessure de Patrick. Je vois la main tendue de Michel vers Patrick sans vie sur la civière. En un instant, la demi-finale s’est arrêtée nette. Battiston prend le chemin de l’hôpital. Revenu à la hâte des vestiaires, le staff médical nous rassure. Patrick est en vie. Christian Lopez entre à sa place. Je n’ai pas le choix. Mes plans sont contrariés. Plus de remplaçant.

Les spectateurs de Sanchez-Pijuan sont désormais tous à l’unisson tricolore. Ils en veulent à Schumacher, qui n’a peut-être pas eu l’intention de faire mal à Battiston mais n’a rien fait pour l’éviter.

La France poursuit sa marche en avant. Et c’est encore de l’arrière que le plus beau manque de nous envoyer définitivement au paradis. Le gamin Amoros décoche une frappe décroisée de plus de vingt-cinq mètres. Le ballon rebondit sur la barre transversale.

Fin du temps réglementaire. Fatigués mais remontés, les joueurs sont affalés à se faire masser. Il faut récupérer. Non seulement, ils veulent remporter cette demi-finale mais désormais, ils ont un autre objectif : gagner pour Patrick.

Marius nous offre l’un des plus beaux buts de sa vie. Plus tard, il avoue dans le vestiaire que ce coup franc à droite de Gigi, cela lui rappelle ceux travaillés à l’entraînement à Bordeaux. Sa reprise de volée est pourtant un geste d’attaquant, … pas de libéro !

Je souffre encore aujourd’hui de ce qu’on nous a reproché ensuite. De ne pas avoir assez bétonné à 2-1. Mais nous restons fidèles à notre idéal parce qu’il faut rester soi-même. Qui peut oublier que nous sommes finalement la meilleure attaque de ce Mundial 82 avec 16 buts ? Alain Giresse ne tarde pas à invalider ces critiques. On ne marque pas en bétonnant !

Il reste dix minutes. Dix longues minutes. Du paradis, nous découvrons l’enfer. La beauté du sport tient en la possibilité de tels renversements dramatiques même si je souffre encore de cette voie royale inachevée. 3-3 à la fin du temps réglementaire. Quand Stielike manque son tir au but, je bondis intérieurement ; quand Didier Six manque le sien dans la foulée, je serre les dents. 4 tirs au but à 4 pour la première série. Personne ne se sent pour la suite. À l’exception du grand Max. Qui n’a pas plus envie que les autres mais Maxime a toujours pris ses responsabilités. On connaît la suite.

Aucun joueur international ne mérite ça. La carrière de Marius Trésor se termine sur cette nuit cauchemardesque. Lui, dont le (sou)rire est audible des kilomètres à la ronde. Ce soir-là, ses larmes inondent Madrid. Prostré dans le vestiaire, il est comme un gamin qui attend sa maman le premier jour de classe en maternelle.

Inconsolable. Tout autant que Didier Six, immobile dans sa tenue trempée. C’est tout habillé que nous l’envoyons à la douche après plus d’une heure sans geste ni parole. Que dire de l’équipe de France ? La vérité : « Vous avez donné du football français une image qui fait date, une image superbe, généreuse, offensive. Cette défaite, c’est votre plus belle victoire !«  »

16 ans plus tard, la plus belle victoire du foot français pourrait à l’inverse être vue comme sa grande défaite. En 1998, la France fut sacrée championne du monde, et a fêté cela comme un dépucelage. Pourtant, depuis 1982, elle l’était déjà. Et tant pis pour Schumacher.

Vidéo

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