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Antonio Dikele Distefano : « Avec le temps, l’Italie pourra avoir à son tour son Mbappé »

Propos recueillis par Andrea Chazy, à Paris
10 minutes
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Auteur du roman « Invisible » qui a inspiré la série Netflix « Zero », Antonio Dikele Distefano est un amoureux du ballon rond. Dans son livre, il raconte le quotidien d'un gamin italien d'origine africaine en quête d'identité. Une histoire inspirée de la sienne ainsi que de celles de ses amis où le foot est omniprésent. Avant un cours donné à La Sorbonne, le jeune auteur de 29 ans parle de sa passion, de Mario Balotelli et même des tribunes de Ligue 1.

À quel moment le football a-t-il fait partie de ta vie ?Immédiatement, puis un peu plus de manière passionnée vers 10-11 ans. Après, je dois dire que je n’aime pas parler de foot avec des fans dont la passion les rend aveugles. Celle où il y a toujours une explication arbitrale, où l’on supporte une équipe contre une autre car c’est comme cela… Je n’aime pas trop ce type de discussions. Je préfère échanger de manière objective, d’avoir une véritable analyse. Depuis un an, je suis moins le foot car je suis très pris à côté. Cette passion arrive avec George Weah et le Milan. J’ai toujours supporté Milan. Weah, Seedorf, j’ai toujours vu en ces joueurs ce que j’ai toujours voulu devenir finalement. Aujourd’hui, ces joueurs-là on ne les trouve plus. Je trouve que le niveau global du foot a baissé, même en Ligue 1. Je me souviens de l’Auxerre de Guy Roux, d’un Marseille d’il y a encore quelques années qui gagnerait tranquillement la Ligue 1. C’est pareil en Serie A avec la Fiorentina. La plupart des footballeurs présentés comme des phénomènes aujourd’hui ne l’auraient pas forcément été il y a quelques années.

Weah, Seedorf, j’ai toujours vu en ces joueurs ce que j’ai toujours voulu devenir finalement. Aujourd’hui, ces joueurs-là on ne les trouve plus.

Tu as grandi à Ravenne qui n’est pas reconnue comme une place forte du foot italien. Pour preuve, aujourd’hui l’équipe est en Serie D.Le Ravenna FC est un club qui a toujours été petit, du coup les gamins supportent majoritairement la Juve ou le Milan. Mais quand on était en Serie B, le plus haut niveau que l’on a atteint, tout le monde supportait Ravenne. Le stade là-bas est vétuste, mais les gens venaient au stade. C’est mon premier souvenir de stade, j’adore aller dans les enceintes me faire une idée sur des équipes. Le problème en Italie, c’est que les stades sont vétustes : le stade de Toulouse est meilleur que 60% des stades italiens. Aujourd’hui, j’ai très envie d’aller à La Meinau. Le stade est toujours plein, la passion à l’air extraordinaire là-bas.

Dans « Invisible » , le football est omniprésent. Pourquoi ?Tout simplement car le football a toujours été présent dans ma vie. Je n’arrive pas à imaginer une vie sans foot. Ces dernières années, j’ai beaucoup souffert à cause du Milan qui perdait sans cesse. Dans le livre, le foot est omniprésent car c’est une réalité pour les gens qui vivent dans des quartiers populaires. Tous espèrent devenir un jour footballeur professionnel. Je crois qu’il y a des étapes dans la vie : l’une des premières est celle de comprendre que tu n’as pas le talent suffisant pour y parvenir. Et de le comprendre rapidement pour y remédier. J’ai des amis, encore aujourd’hui à 29 ans, qui espèrent toujours devenir footballeurs professionnels. C’est pour cela que l’exemple de l’Argentine est le meilleur à mes yeux : là-bas, grosso modo, si tu n’es pas titulaire en première division à 17 ans, c’est fini. Cela devrait être la norme aussi en Italie, même si d’accord, tu as toujours des exceptions.

Ce livre est-il inspiré de ta vie ?Ce livre est né du fait que je ne savais pas quoi écrire. Alors j’ai demandé à mes amis de me raconter leurs histoires. Ce sont ces récits qui ont inspirés les personnages, ce sont des histoires vraies, mais romancées.

Il y a eu une « époque » Balotelli en Italie. Tous les Noirs étaient Balotelli et payaient en conséquence ses faits et gestes. Positifs comme négatifs d’ailleurs.

Cela veut dire que tes amis et toi, vous avez vraiment déjà été appelés « Balotelli » dans la rue ?Oui, bien sûr. Il y a eu une « époque » Balotelli en Italie. Tous les Noirs étaient Balotelli et payaient en conséquence ses faits et gestes. Positifs comme négatifs d’ailleurs. Lorsqu’il a brillé avec l’Italie à l’Euro 2012, on sentait l’air du changement : le héros italien était un garçon noir. Je me rappelle que mon père ne regardait jamais l’équipe nationale, mais que cet été là, il ne manquait pas un match. Pour te dire à quel point la situation était étrange : lors de l’Euro précédent en 2008, l’Italie avait battu la France. On était en voiture, les gens faisaient la fête dans la rue, et on a été alpagués ce jour-là car, dans les têtes, être Noir c’était être Français. Le championnat d’Europe suivant, tout le monde faisait la fête ensemble. D’un côté, Mario a peut-être un peu merdé. Tu fais toujours ce dont tu as envie dans la vie, mais lorsque tu es un gamin noir avec de l’exposition en Italie, tu ne peux pas faire ce que tu veux. Parce que ce que tu fais, ce n’est pas seulement toi qui le paye derrière. On le payait tous. Il n’a pas compris que son exposition n’était pas dûe à son talent parce qu’en Italie, il y a eu et il y aura des joueurs beaucoup plus forts que lui. Il était exposé car il était Noir, parce qu’il y avait du coup un nouveau public derrière ça.

Cela ne doit pas être facile quand même d’être Balotelli, non ?Certes, mais des caractères difficiles dans le foot, on en a vu énormément. Des gars qui gagnent énormément d’argent, qui font ce qu’ils veulent… Je pense que tu dois prendre conscience de la responsabilité que tu peux avoir. Tu as quand même la possibilité d’avoir un pouvoir médiatique et parfois même politique important.

Pour vous, jeunes italiens d’origine africaine, c’était un peu un « Why always me » permanent ?En France, vous avez l’œil plus « habitué » à cette mixité. Nous, nous étions les premiers. Les premiers enfants noirs dans les classes, les premiers enfants noirs dans les écoles de foot, dans tous les domaines nous étions les premiers. Les choses changent en Italie actuellement, et j’aimerais que l’Italie devienne un exemple à ce niveau là en Europe. Qu’elle arrête de subir des leçons d’autres pays pour lui dire comment s’y prendre alors qu’ils n’ont pas mieux fait qu’elle.

Cet été, l’Italie a vécu un été de folie avec des succès à l’Euro, à l’Eurovision, aux JO… Mais avec très peu d’athlètes issus de la diversité. Il y a encore du boulot ? Oui, évidemment. Mais après, au niveau de la représentation, cela correspond quand même davantage à la réalité si l’on compare à quelques années en arrière : les enfants d’origine africaine représentent par endroit, allez, entre 8 et 15% au maximum. Là où il faut travailler, c’est en permettant à des gamins de ne plus avoir de difficultés à s’inscrire dans un club de sport à cause de problèmes de papiers par exemple. Si tu réussis cela, l’exception n’en devient plus une. Et avec le temps, l’Italie pourra avoir à son tour son Mbappé.

C’est sûr, mais c’est par exemple dommage que Moise Kean n’ait pas fait partie de ce groupe italien vainqueur à l’Euro, non ?Oui, mais qu’a fait Moise Kean pour intégrer durablement cette équipe ? Pas grand-chose. Moi je ne lui veux que du bien, mais ne faisons pas non plus le jeu de ceux qui veulent de la représentation à tout-va et à tout prix. Je pense que Mancini est une personne extrêmement intelligente et avant-gardiste. Kean devrait déjà être l’attaquant de la Nazionale aujourd’hui. La question qu’il faut se poser, c’est pour quelle raison n’a-t-il pas été emmené à l’Euro ? Pourquoi est-ce que Giacomo Raspadori lui a été préféré ? Moi, je pense que Mancini ne calcule pas tout cela, et que si un gars a les armes pour partir à la guerre, il le prend. Quelle que soit son origine.

En 2006, on voyait cette équipe de France avec des joueurs noirs, on pensait que ce serait un meilleur endroit pour nous. Mais quand tu vis en France après, tu comprends que ce n’est pas aussi simple que ça.

Dans le livre, tu racontes qu’en 2006 cette bande de gamins italiens d’origine africaine supportait la France. C’était le cas aussi pour toi ?Quand Zidane marque sa panenka, on était sur une place et on a couru dans une rue adjacente avec mes amis pour exulter. On supportait la France car nous étions jeunes, nous voulions nous confronter à notre pays qui ne nous reconnaissait pas pour ce que nous étions vraiment, des Italiens. On voyait cette équipe de France avec des joueurs noirs, on pensait que ce serait un meilleur endroit pour nous. Mais quand tu vis en France après, tu comprends que ce n’est pas aussi simple que ça. La France était une forme d’idéal à ce moment-là mais je le redis, c’était avant tout pour se confronter à notre pays : vous ne nous voulez pas ? Ok, on supporte la France. C’était un mode de protestation.

Ce n’était quand même pas dur pour un enfant italien de ne pas fêter « comme les autres » une victoire dans un Mondial ?Je peux te dire que c’est la dernière fois où l’on a réagi de la sorte. À titre personnel, je me suis rapidement rapproché de cette équipe et l’Euro 2012 avec Mario a été très important. Et je peux t’assurer que cet été, toutes les places étaient pleines et qu’il y avait des gamins noirs mélangés aux autres, à fond derrière l’Italie. Le seul problème de cette victoire à l’Euro, c’est que cela peut laisser penser que le foot italien est de retour au premier plan, que tout est réglé. On sait très bien que c’est faux.

On voit qu’il y a encore du chemin à faire, notamment en tribunes : rien que cette saison, il y a eu les épisodes de racisme avec Koulibaly ou Vlahović…Je regrette un peu l’attitude des médias à cet égard qui font beaucoup de bruit autour de ces histoires dans l’espoir d’un changement. Mais le réel problème, c’est l’éducation personnelle de ces personnes. Il faut savoir que ces gens-là n’utilisent pas ces mots-là seulement au stade : c’est le cas également dans la vie de tous les jours. Si tu n’appliques pas une politique forte à tous les niveaux, notamment dans l’éducation et à l’école pour parler de diversité, tu auras beau dénoncer et virer les gens des stades, tu n’auras aucun changement. Les politiques pensent que les choses vont évoluer d’elles-même car l’homme lui-même évolue. Ce n’est pas aussi simple que cela.

Saint-Étienne, c’est un tout : je dois dire que j’adore leurs supporters, j’aime leurs couleurs et c’est un club qui a une histoire très importante. C’est un club assez malchanceux.

Il paraît que tu suis énormément le championnat de France. Depuis quand es-tu passionné par la Ligue 1 ?Mais depuis toujours, en fait ! Si tu regardes tous les grands championnats européens, une grande partie des talents qui font la différence viennent de votre championnat. On ne peut pas en dire autant de la Serie A ou de la Bundesliga. Et puis, j’ai toujours été un joueur assidu de Football Manager. Je prenais en permanence Rennes et surtout Saint-Étienne pour les faire gagner le titre, j’aime aussi prendre d’autres équipes qui ont su faire un exploit sur une année comme Montpellier, Bordeaux ou Lille…

En préambule de l’interview, tu me parlais de Saint-Étienne. Tu as un rapport particulier avec ce club ?C’est un tout : je dois dire que j’adore leurs supporters, j’aime leurs couleurs et c’est un club qui a une histoire très importante. C’est un club assez malchanceux. Mais sur Football Manager, c’est un rituel de prendre les Verts pour les faire regagner un titre. Cette saison, j’aime toujours Saint-Étienne, mais je me suis également intéressé à Lens et Angers.

Pourquoi ?Je trouve qu’Angers a une belle équipe, cela fait au moins trois ans qu’ils jouent un bon football. C’est très difficile de gagner chez eux, c’est une équipe très étrange, mais qui fait un super début de saison. Lens, c’est l’ensemble du projet qui est intéressant. C’est le club qui peut être la surprise d’ici cinq ans. La Ligue 1 regorge de talents que l’on connaît ou que l’on connaîtra au niveau international : Romain Faivre de Brest, Seko Fofana de Lens qui est passé par l’Udinese… C’est un beau championnat.

Dans cet article :
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Propos recueillis par Andrea Chazy, à Paris

À lire : Invisible, d'Antonio Dikele Distefano, traduit de l’italien par Marianne Faurobert, aux éditions Liana Levi, octobre 2021.

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