- Coupe de France
- Quarts
- Granville-OM
Anthony Fournier : « On a passé le réveillon à la Badoit »
Parce que la Coupe de France regorge de belles histoires, celle déjà écrite par Granville (CFA2) a tout d’un conte de fées. Au sein de l’équipe normande, Anthony Fournier savoure cette singulière aventure. Avant un rendez-vous de gala attendu par toute une région contre l’OM, le fils de Laurent se raconte. Un parcours où il est question du PSG, d’expériences belges et même de poésie.
Comment prépare-t-on un quart de finale de Coupe de France contre l’OM quand on est un club de CFA 2 et désormais le Petit poucet de la compétition ?Étonnement, plutôt sereinement en fait. Je pensais qu’il y allait avoir beaucoup plus de pression mais à part les caméras et les nombreux journalistes qui sont autour du terrain, on prépare ce rendez-vous comme d’habitude. Assez sereinement. Le coach ne veut pas changer : beaucoup de ballons, beaucoup de jeu. Après, bien sûr, on regarde aussi les matchs de l’adversaire qu’on va affronter. Mais je pense que mercredi (l’interview a été réalisée le lundi 29 février, ndlr), comme on part au vert, ce sera un peu différent. C’est drôle parce que le coach ne voulait apparemment pas trop jouer en Coupe de France car ça coûte trop d’énergie pour le championnat après. Au final, on s’est qualifié pour les 32es, on a battu Laval, Sarreguemines, Bourg-en-Bresse. Donc on espère continuer hein (rires).
C’est la première dans son histoire que Granville atteint un tel stade en Coupe de France. La ferveur et l’engouement ont dû être palpables dans la région dernièrement…C’est assez dingue. Déjà, en ce qui concerne la billetterie, quand on est allé à Leclerc mardi, dès cinq heures du matin il y avait la queue dehors. On ne pensait pas remplir le stade en plus parce que les places sont assez chères (le match se joue au Stade Michel-d’Ornano qui appartient au Stade Malherbe Caen, ndlr). Et, au final, la billetterie a explosé en six heures. Nous, ça nous fait plaisir. On remplit le stade ! (rires). Puis dans les vitrines des commerçants, on voit que nous, des posters du club ou des autocollants. Sur les réseaux sociaux également on peut voir qu’il y a un engouement, donc c’est cool. C’est génial de savoir que tout le monde est derrière nous. C’est une belle expérience à vivre.
Jusqu’à la mi-décembre, vous étiez leaders et invaincus en CFA 2 avant d’éprouver davantage de difficultés depuis. Est-ce devoir composer avec la CDF a été quelque chose de compliqué à appréhender pour le groupe ?Oui, sûrement. Inconsciemment peut-être qu’on ne s’en est pas rendu compte. Par exemple, on a perdu nos deux matchs avant les grosses affiches de Coupe de France. À Brest la première fois (3-1, 16 janvier) et contre Saint-Brieuc le week-end dernier (1-2, 20 février). Au niveau du jeu, on a toujours eu la maîtrise du ballon. Mais en ce qui concerne l’engagement, c’était moins bien que d’habitude. Donc, inconsciemment, peut-être qu’on joue différemment, qu’on a la tête à la Coupe. Mais c’est humain aussi.
Mais votre folle épopée a été marquée par un triste incident. Quelques heures après la qualification acquise contre Bourg, le gardien Clément Daoudou a été agressé par trois personnes et a terminé à l’hôpital avec un bilan clinique lourd (visage tuméfié, fracture du nez et de la pommette)…Ça nous a touché moralement, mais surtout choqué. Il y avait beaucoup d’incompréhension, on n’était pas trop au courant de ce qu’il s’était passé. Et le lendemain, quand on l’a vu à l’hôpital, c’était assez impressionnant. On était surtout vraiment choqué. C’est un mec qui parle beaucoup, qui est très important dans le groupe, un gars bien. Il nous a tout de suite rassuré sur son état moral et physique. Parce que nous, on croyait carrément qu’il était paralysé et dans le coma. Je ne sais pas si c’est l’orgueil ou autre chose, mais il a tenu à rassurer tout de suite. Puis il est ensuite venu rapidement nous supporter contre Laval (0-1, 13 février). C’est lui qui a fait le cri de guerre. Ça nous a tous touché, mais on est un groupe soudé et on a tous été autour de lui.
Cet événement a justement dû encore plus renforcer la cohésion de votre équipe. Ton capitaine Mathias Jouan, qui a joué la finale 2012 avec Quevilly, dit d’ailleurs : « Ce n’est pas des potes que j’ai, c’est des frères de foot » . Cette année, c’est vraiment assez spécial. J’ai rarement vu ça dans un club de foot. On s’entend tous super bien, que ce soit sur le terrain ou en dehors. C’est très agréable de pouvoir vivre des aventures comme ça. Sur le terrain, on a tous le même objectif. Bien sûr qu’on est déçu quand on ne joue pas, mais si quelqu’un joue à ma place par exemple, j’ai envie qu’il fasse une bonne prestation et qu’il permette à l’équipe de gagner. On a aussi passé le réveillon du Nouvel An tous ensemble parce qu’on devait préparer le match face à Laval, le 2 janvier (victoire 2-1 en 32es de finale de Coupe de France, ndlr). Du coup, pour se mettre dans les meilleures conditions, on a passé le réveillon à la Badoit et une seule coupe de champagne. Et à 1h du matin, tout le monde était rentré ! Mais on s’est bien rattrapé le 2 après avoir battu Laval. Je ne l’avais jamais vécu. Ça faisait bizarre pour des amateurs de faire cela mais c’était pour la bonne cause.
Puis la Coupe de France, j’imagine que c’est quelque chose qui doit te parler puisque ton père Laurent en a remporté deux avec le PSG (1993 et 1998), non ?Pas par rapport à mon père. La Coupe de France, quand on est joueur de CFA-CFA 2, c’est toujours quelque chose d’important. On peut se confronter au monde professionnel alors qu’on a l’habitude de jouer à des niveaux inférieurs. Tout le monde aime la Coupe de France parce que ça permet de véhiculer des valeurs que le football perd un peu maintenant. Voir les clubs amateurs affronter les « puissants » , je pense ça fait un peu rêver les gens. Après, les titres remportés par mon père, je les ai vécus aussi parce que j’étais au stade quand j’étais gamin. Et c’est vrai que c’est impressionnant. Puis je connais bien Alain Roche qui est le recordman de l’épreuve (5 Coupes de France soulevées avec Bordeaux et le PSG, ndlr). On en parle entre nous, c’est assez marrant.
Ton père a été joueur et est désormais entraîneur. Gary, ton frère cadet, évolue en Thaïlande. Le foot, c’est un monde dans lequel tu as baigné tout petit ?Oui, vraiment. Déjà, j’ai toujours voulu faire ça. Mes premiers souvenirs, je les ai ballon au pied. J’ai réussi en plus à partager cela avec mon père et mon petit frère, donc c’est génial. Quand mon père a arrêté sa carrière de professionnel à Bastia, on est revenu à Paris. Il nous a entraîné dans notre petit club à Feucherolles en U13 et nous a suivi ensuite jusqu’au bout. Il nous disait : « Vous passez votre BAC, après vous faites ce que vous voulez » . Il nous a toujours soutenu.
Ton parcours a débuté au centre de formation du PSG où tes coéquipiers étaient Mamadou Sakho, David N’Gog ou encore Younousse Sankharé. Si eux ont signé professionnels, toi non. Comment expliques-tu cela ?Déjà, ils étaient meilleurs que moi ! (rires). Je n’avais clairement pas le niveau pour passer professionnel à l’époque. C’est sûr. J’ai joué avec les 18 ans nationaux et je me suis entraîné avec la CFA. Physiquement, je n’étais pas prêt. Dans la tête, j’étais moins mature également. Surtout, je pense que j’ai été trop respectueux et que je n’avais pas trop mon caractère. Je me cachais un petit peu. Si c’était à refaire, j’aurais aimé être le joueur que je suis maintenant. Mais, bon, c’est avec l’expérience qu’on progresse et qu’on devient ce que l’on est. C’est comme ça, c’est la loi des centres de formation…
Ensuite, en France, tu as connu essentiellement la CFA 2 et la CFA (Issy, Roye, Colombes, Pacy-sur-Eure et Pacy Menilles). Après connu un club de l’envergure du PSG, le changement a dû être radical pour toi…Certainement. Après, personnellement, j’aime le foot de toutes les façons. J’étais content d’aller jouer pour Issy-les-Moulineaux après le PSG. Ce qui changeait, c’est surtout que tu passes dans un monde de Seniors avec des gars qui travaillent et s’entraînent le soir. Ce ne sont donc pas du tout les mêmes conditions. Mais c’est une autre forme de football et on peut aussi progresser là-dedans. C’est complètement différent du monde professionnel. En plus, quand tu ne signe pas pro à la fin de ta formation, tu te poses plein de questions : « Est-ce que je vais reprendre mes études ? Est-ce que je vais continuer dans le foot ? » Moi, j’ai fait les deux. J’ai fait des années d’ostéopathie, j’ai passé mes diplômes d’entraîneur et je joue au foot en même temps. Ça m’a permis de voir autre chose.
De 2013 à 2015, tu as également fréquenté la D2 et D3 belges. Tu gardes de bons souvenirs de ces expériences ?La première année, malgré un club qui était miné par des difficultés financières et qui a malheureusement déposé le bilan, je me suis éclaté. J’ai fait une année pleine avec vingt-cinq matchs, je me suis amusé avec un groupe de très bons joueurs dont certains sont en D1 maintenant et un coach qui me faisait vraiment confiance. Ça m’a permis de me faire repérer et de signer un contrat dans un autre club de D2 belge. Malheureusement, du côté flamand, ça s’est moins bien passé (rires). Je regrette un peu cet épisode-là. Mais ça reste de belles expériences, j’ai vécu dans une belle ville, à Bruxelles.
Là-bas, tu disais apprécier ton aventure car tu n’étais pas considéré comme le « fils de » . C’est toujours quelque chose qui t’a animé de vouloir en quelque sorte t’émanciper de ton père, de te faire un prénom ? En France, c’est vrai qu’à chaque fois que j’étais sur un terrain ou que je rejoignais un club, il y avait tout le temps cette comparaison. Au PSG, j’ai débuté arrière droit alors que je n’ai pas les qualités pour jouer à ce poste. Tout ça parce que mon père jouait à droite ou des conneries comme ça. Ou certains disaient : « Tu es là parce que Laurent Fournier est ton père » . En Belgique, ils mentionnaient que j’étais son fils mais les gens me voyaient vraiment comme Anthony, le joueur français qui venait jouer en Belgique. J’ai fait plutôt des bonnes prestations. Ça m’a surtout dérangé quand j’étais plus jeune. Comme je n’avais pas trop de caractère, je ne me rebellais pas. Je ne voulais surtout pas faire de bruit, pas dire que j’étais prétentieux par rapport à mon père. Désormais, je connais mon niveau et mes qualités. Je suis très fier de ce qu’a réalisé mon père. J’apprécie surtout l’homme qu’il est et les valeurs qu’il m’a transmises.
En dehors des terrains, tu as connu la galère en Belgique en logeant dans une chambre d’étudiant à 300 euros par mois et en faisant la route avec des coéquipiers pour faire des économies…Ça forme aussi. Le foot, c’est parfois compliqué. À Granville, on a de la chance parce qu’on est payé à l’heure et que ça se passe bien. Mais dans certains clubs, on est payé en retard, voire pas payé du tout. Malgré tout, c’était notre métier. Il fallait quand même se montrer et se débrouiller avec le peu d’argent. J’avais travaillé en France donc j’avais de l’argent de côté. Se débrouiller, ça forge aussi un homme. Surtout quand tu fais le choix de vouloir vivre de ta passion, de tout tenter pour le foot. Quand tu arrives à t’en sortir, tu peux vraiment kiffer.
Et depuis que tu es arrivé à Granville en juillet dernier, est-ce que tu arrives à vivre essentiellement grâce au foot ?Ça fait deux-trois ans que je vis grâce à ça. Je suis éducateur des U13 à côté et j’ai eu la chance de pouvoir passer mes diplômes assez tôt. J’adore ça et ça me permet d’être à la fois payé en tant que joueur et éducateur.
Tu te vois encore dans le milieu du ballon rond après ta carrière de joueur ? Car après avoir été surveillant dans un collège et entamé des études d’ostéopathie, tu as déjà passé tes diplômes d’entraîneur BE1 et BE2 comme tu l’as dit…Je pense avoir la fibre éducative. C’est un réel projet que j’ai en tout cas à moyen ou long terme de travailler avec les jeunes ou de me parfaire là-dedans. Et si j’ai la fibre pour les Seniors et que j’arrive à les entraîner, pourquoi pas. Je veux vraiment rester dans le milieu du foot, c’est ce que je veux faire. Je suis passionné à propos de l’aspect technique et tactique mais aussi en ce qui concerne les à-côtés : les relations humaines, faire progresser les gens, voir comment fonctionne un club. J’aime bien tout cela aussi.
Récemment, tu affirmais au Parisien : « À mon âge, je ne rêve plus » . Qu’est-ce que tu voulais dire à travers cette formule ? Ç’a été mal retranscrit en fait (rires). Le journaliste a mal repris, j’avais dit que je ne rêvais plus de gagner la Coupe du monde ou d’aller en Ligue des champions mais que je rêvais toujours de devenir professionnel et de vivre de mon métier. Ça peut être en Ligue 1, en Ligue 2 ou en National, le plus haut possible serait le mieux. Maintenant, je sais que j’ai des lacunes et des qualités. Si on me donne ma chance et que j’enchaîne les bonnes prestations, ça pourrait peut-être arriver un jour. Donc il me reste des rêves sinon j’arrête !
Pour finir, il se dit que tu as lu un petit poème pour le jubilé de ton père au Parc des Princes, le 21 mai 2000. Tu te souviens de quel poème il s’agissait ?C’est moi qui avais écrit ce poème. Ça faisait un truc du style : « Papa footballeur, Papa bonheur. Sur le terrain, tu as fait des exploits qui m’ont rempli de joie et fait battre le cœur. Je suis fier de toi papa et souhaite être à la hauteur de ton exemple. Avec mon frère et ma sœur, nous te souhaitons à toi et à maman beaucoup de bonheur. Nous vous aimons. Merci » . Mon père a pleuré après cela. On avait fait un pari pour son jubilé et je lui avais dit qu’il allait pleurer. Il m’avait répondu : « Mais t’es malade ! » Et il avait les larmes aux yeux, les yeux tout rouges. Je lui ai donc dit : « Ah, tu vois que tu as pleuré ! »
Propos recueillis par Romain Duchâteau