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Anne-Christine Lang : « Faudrait-il interdire tous les spectacles en France le 13 novembre ? »
Ce jeudi, l'Assemblée nationale a adopté en première lecture la proposition de loi visant à sanctuariser la journée du 5 mai, en hommage au drame de Furiani. Si 85 députés ont voté pour, Anne-Christine Lang, députée LREM de Paris et soutien de Cédric Villani pour les élections municipales, a été la seule à faire le choix inverse. Une étonnante prise de position qui a réveillé un hémicycle loin d'être au complet. Explications.
Ce jeudi, 85 députés ont voté pour la proposition de loi visant à ne plus programmer de matchs de football professionnel en France le 5 mai. Pourquoi avez-vous voté contre ? Autant je pense qu’il faut commémorer, faire preuve de solidarité et de compassion avec toutes les victimes de Furiani, autant je pense que ce n’est pas au législateur de se mêler de ça. C’est simplement du ressort de la Ligue, de la FFF
et du monde sportif. On me dit qu’ils ont refusé d’interdire les matchs le 5 mai, mais je pense qu’il y a peut-être aussi d’autres moyens d’être un peu plus coercitif. Ce n’est pas sûr que jusqu’à présent on ait beaucoup essayé. Je ne connais pas très bien le dossier, car je ne suis pas footeuse, et je n’y connais pas grand-chose, mais j’ai quand même du mal à penser qu’on ne puisse pas être plus persuasif avec le monde sportif.
Mais justement, depuis vingt-huit ans, malgré de nombreuses tentatives de persuasion, les instances du foot n’ont jamais rien voulu savoir.Je connais bien moins le dossier que vous, et en effet, depuis vingt-huit ans, il y a sans doute eu des tentatives de persuasion. Mais je me dis aussi qu’il y a un moyen d’être un peu plus coercitif. Je crois comprendre que normalement, au départ, les députés étaient assez réservés sur cette proposition de loi, comme l’ont été tous les députés depuis des décennies d’ailleurs. Justement car ils considéraient que ce n’était pas de la responsabilité du législateur de donner son avis sur la façon de commémorer l’évènement tragique de Furiani.
Comment expliquez-vous que la majorité l’ait emporté alors ?Parce qu’il y a eu force débats et qu’au bout d’un moment, ils se sont laissés convaincre en se disant que ça leur semblait important de montrer toute leur empathie et leur compassion vis-à-vis de ce drame. Moi, j’ai tendance à penser qu’on n’est pas dans ce registre-là, qu’on ne peut pas légiférer sur des émotions et des compassions, ce n’est pas de notre responsabilité.
Ce sont aux autres acteurs, que ce soit le monde sportif ou les collectivités, d’organiser la façon dont ils souhaitent commémorer cet évènement, en partenariat avec l’ensemble des acteurs. L’idée que tous les joueurs portent un brassard ou qu’il y ait une incrustation sur les écrans le 5 mai, c’est plutôt une bonne idée. Il y a des tas d’autres façons d’avoir une pensée pour les victimes et d’expliquer le drame aux jeunes, plutôt que de devoir légiférer. Après, on peut multiplier les exemples : est-ce qu’il faut interdire tous les spectacles en France que le 13 novembre, en hommage aux victimes du Bataclan ? Voilà, après, c’est infini.
La LFP et la FFF ont toujours invoqué des problèmes d’organisation et de calendrier. Pourtant, lors du mouvement des Gilets jaunes, ils ont reporté des matchs la veille pour le lendemain, sans que ça pose de problème.Je ne savais pas que c’était cet argument qui avait été invoqué. Je pensais plutôt que c’était parce qu’ils considéraient que l’activité sportive devait se poursuivre, pour des raisons de calendrier, mais aussi pour des raisons financières ou de billetterie. Je ne connais pas les arguments qui ont été invoqués, mais encore une fois, je pense que c’est important de commémorer, d’être très empathique avec les victimes, les soutenir, et organiser des hommages tous les 5 mai, pas seulement en Corse.
Vous êtes la seule députée de votre parti à avoir voté contre cette proposition de loi. Pourquoi ?Parce qu’on a quand même un peu de libre arbitre,
on réfléchit, on lit la presse. J’ai lu un certain nombre d’articles, y compris certains disant qu’après l’histoire du congé pour le deuil d’un enfant, on était tétanisé à l’idée d’apparaître comme des gens inhumains qui manquent de compassion. Et par conséquent, il fallait absolument voter le texte Furiani. Voilà, ça m’énerve, c’est un peu fort de café. On ne va quand même pas voter un texte parce qu’on intériorise l’idée qu’on manque de compassion, et donc on vote un texte auquel on ne croit pas pour ne pas être considéré comme des personnes qui manquent d’humanité. On marche sur la tête quand même.
C’est un piège tendu par l’opposition ?Non, je ne pense pas. Mais étant donné les échéances électorales qui approchent, je pense qu’il y a un certain nombre de personnes qui pourront afficher ce texte comme un de leurs exploits parlementaires, une sorte de bataille remportée.
C’est la première fois que le parti corse Femu a Corsica voit l’une de ses propositions de loi adoptée. Si ce drame avait eu lieu ailleurs qu’en Corse, n’aurait-on pas mis moins de temps à statuer sur la question ? Non, ça ne change absolument rien à l’argumentation. Que ça se soit produit à Paris, en Corse, à Strasbourg, ou à Lille, ça ne change strictement rien. C’est une question qui a trait au rôle du législateur. Au bout d’un moment, on considère que ce n’est pas la peine de légiférer, qu’on ne peut pas le faire pour tout et n’importe quoi uniquement par passion et par compassion. Ce n’est pas notre rôle et ce n’est pas du registre de la loi.
Avez-vous discuté de cette proposition de loi avec Cédric Villani, qui avoue volontiers avoir du sang corso-grec dans les veines, et un ancêtre qui a été maire d’Ajaccio ? Pas du tout, car il n’était pas en séance aujourd’hui. Il n’a pas du tout été sur ce texte qui est une proposition de loi du groupe Libertés et territoires, et qui est quand même dans une niche. On s’intéresse à nos propres textes, et à nos propres activités, mais c’est vrai que les niches des autres, en dehors des gens qui sont vraiment permanenciers ou qui sont intéressés par le sujet, on a tendance à les regarder avec un peu moins d’attention.
Propos recueillis par Maxime Renaudet