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Anderlecht et le chef-d’œuvre des « Busby Babes »

Par Hayden Saerens
8 minutes
Anderlecht et le chef-d’œuvre des «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Busby Babes<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Aujourd’hui encore, malgré les nombreuses décennies découlées, le record tient toujours. Pour sa première participation à la Coupe d’Europe en 1956, Manchester United émiettait Anderlecht sur le score fleuve de 10-0, la plus large victoire de son histoire. Une représentation grandiose et aboutie. La plus belle jamais accomplie par les enfants de Sir Matt Busby.

Il a d’abord fallu vivre, ou plutôt survivre, pour affronter l’indicible. Non sans avoir failli quitter ce monde et après avoir reçu à deux reprises les derniers sacrements de la part d’un prêtre. « J’ai prié pour que la fin vienne rapidement » , reconnaîtra-t-il, longtemps après avoir admis l’inacceptable. Revenu de cet entre-deux incertain, Matt Busby n’a plus jamais été le même homme. Ses côtes et sa poitrine sont striées de cicatrices que le temps ne pourra jamais enlever. Des douleurs corporelles qui s’accompagnent d’une culpabilité indélébile et insoutenable. Celle d’être encore là, parmi le commun des mortels, après avoir perdu huit de ses enfants. Ceux que l’histoire appellera plus tard les « Busby Babes » , partis trop tôt, trop vite lors du drame de Munich. La mort a frappé Manchester United le 6 février 1958, quand l’avion BEA Elizabethan, qui ramenait l’équipe et ses accompagnateurs de Belgrade, a manqué sa troisième tentative de décollage sur la piste de l’aéroport de Munich. Derrière, c’est la vie qui a dû reprendre son cours. Il a fallu se relever, dans le silence du deuil et la sidération. Pour ne pas abandonner les morts, ni jamais les oublier.

Lorsque le manager écossais a reposé pour la première fois un pied dans son « théâtre des rêves » , regarder les vivants dans les yeux s’apparentait à une torture : « Se rétablir en Allemagne était une chose, faire face à Old Trafford en était une autre. Quand je me suis approché du terrain et que j’ai traversé ce pont le long duquel s’étaient entassés nos supporters par cinquantaine, hurlant leur soutien, j’arrivais à peine à lever les yeux. Je savais que les fantômes de ces gamins seraient toujours là, ils le sont toujours et ils le seront à jamais tant que ceux qui les ont vus traverseront ce pont. Pour toujours, ils verront ces fantômes rouges, jeunes, heureux sur la pelouse verte d’Old Trafford » . Comme une sorte d’héritage intemporel à ne pas galvauder ni ternir. Comme une dette intime et éternelle. En reprenant le fil de sa romance avec les Red Devils, Busby a honoré leur mémoire. Et rendu le plus bel hommage, dix ans plus tard, en se hissant sur le toit de l’Europe pour la première fois dans l’histoire du club anglais. Une soirée enivrante pour le coach iconique. Mais peut-être pas sa plus belle car ses « Babes » n’étaient pas là pour y participer.

Révolution et l’Europe en ligne de mire

Sa plus belle nuit, Sir Matt Busby l’a sans doute vécue le 26 septembre 1956. Au milieu des siens, ceux qu’il voulait voir grandir année après année. C’était un rendez-vous européen contre Anderlecht, transformé en un festival passé à la postérité. Un mémorable 10-0 et aujourd’hui encore la plus large victoire de Manchester United. La plus grande déroute dans l’histoire du club belge aussi. Le soir-même, le manager britannique l’évoquait d’ailleurs avec un sentiment de plénitude rarement atteint. « C’était le plus grand frisson que vous pouvez connaître dans une vie de football, confiait-il, presque exalté. C’était la meilleure démonstration d’un travail d’équipe que j’ai pu voir de la part d’une formation. Un football proche de la perfection que n’importe qui voudrait voir » . Pour prendre un peu plus la mesure de cet exploit, il faut remonter le temps. Se replonger à une époque où United dessinait les contours d’une nouvelle ère prometteuse.

Arrivé à la tête des Red Devils dans la foulée de la fin de la Seconde Guerre mondiale, Busby signe un contrat de cinq ans et établit une feuille de route sur autant d’années pour redonner de l’élan à un club qui ne cessait d’osciller entre la première et la seconde division. Sa politique menée conjointement avec son immuable adjoint, Jimmy Murphy, repose avant tout sur un contrôle absolu dans le domaine sportif. Aucune ingérence de la part des dirigeants mancuniens, une liberté totale dans la formation et sur le marché des transferts. Une révolution qui se traduit surtout par une volonté farouche de s’appuyer sur des jeunes et qui finit par porter ses fruits. En s’adjugeant la FA Cup (1948), la First Division (1952) et le Charity Shield (1952), United s’affirme sur la scène nationale. Et avec la création de la Coupe des clubs champions en 1955, Busby entend s’inviter sur l’échiquier européen.

Le poids de l’histoire

Problème, la Fédération anglaise s’oppose à ce que les formations du Royaume prennent part à la compétition, afin de ne pas nuire au championnat. Initialement convié pour la première édition, Chelsea ne peut concourir. Mais, auréolé de son titre de champion en 1955 et à force de persuasion, le Manchester de Busby finit par faire céder la FA, devenant le premier club anglais à participer à la Coupe d’Europe. « Il faut ouvrir les yeux. Le football est devenu un jeu mondial. Nous ne pouvons plus nous contenter de jouer entre nous, confiait l’Écossais. Le football n’appartient plus exclusivement à l’Angleterre, l’Écosse et les îles Britanniques même si c’est là que l’avenir du jeu réside » . L’histoire européenne des Red Devils débute ainsi, à l’occasion d’une double confrontation en tour préliminaire contre Anderlecht. Triples champions en titre et sept fois vainqueurs de leur championnat, les Bruxellois dominent sans partage chez eux. Sauf qu’à cette période, la Belgique représente l’inconnu pour les Anglais.

« Bruxelles semblait à un million de kilomètres, expliquait récemment Tom Clare, historien de United, au Daily Mail. Ce fut la même chose pour les joueurs. La première fois qu’ils apprenaient quoi que ce soit au sujet de leurs adversaires était à l’entrée avec eux sur le terrain ! » L’appréhension passée, United prend l’ascendant sur son vis-à-vis devant les 35 000 spectateurs du Parc Astrid, le 12 septembre 1956. Avec un groupe extrêmement jeune (20 ans de moyenne d’âge), dont faisait partie Duncan Edwards, considéré comme le plus grand talent à venir outre-Manche et « le seul joueur qui me faisait me sentir inférieur » dixit Busby. Manchester s’impose sans trembler grâce à des buts de Dennis Viollet et Tommy Taylor. Un baptême du feu européen réussi que le Guardian retranscrit le lendemain avec un certain lyrisme : « Ce fut un match joué dans une atmosphère d’une beauté inoubliable parce que la rencontre a commencé avec le terrain inondé d’une lumière argentée magnifique découpant la pelouse en deux parties : l’une ensoleillée et l’autre ombragée par la tribune. Il y avait un contraste magique entre clarté et obscurité. On se croyait au théâtre » .

« C’est un score de cricket, les gars se sont surpassés cette nuit »

La première pièce sur le Vieux Continent s’avère prometteuse. La seconde sera exécutée avec maestria. Deux semaines après le déplacement en terres belges, les Red Devils accueillent à leur tour la troupe de Bill Gormlie. Mais dans l’enceinte de son voisin City, Maine Road, et non chez eux à Old Trafford, car les projecteurs n’étaient pas encore installés pour éclairer la pelouse. Ce qui n’a pas empêché United de livrer un splendide récital. Déjà buteur à l’aller, Taylor – qui finira meilleur buteur au terme de la saison – claque son doublé avant que Whelan ne l’imite. Si Pegg et Berry se joignent aux festivités, le grand bonhomme de ce match s’appelle Viollet, auteur d’un quadruplé ce soir-là. « Nous étions tous très excités pour ce match retour et aussi un peu inquiets car on jouait loin de chez nous, reconnaissait Busby. Les conditions étaient un peu dérangeantes. Il avait beaucoup plu et le terrain était couvert de flaques d’eau. Il n’était toutefois pas nécessaire de s’inquiéter » .

« Les garçons ont gagné 10-0, un score incroyable qui laisse supposer qu’Anderlecht était une équipe faible. Mais ce n’était pas une petite équipe de Malte ou d’Islande, poursuivait-il. La Belgique est une nation forte de football et Anderlecht sont ses champions. Je dois dire que c’est un résultat qu’on retrouve plus dans les rencontres de cricket que de football. J’avais l’habitude de voir bien jouer les gars récemment, mais ils se sont surpassés cette nuit » . Parmi les hommes présents lors de cette soirée mirifique, seuls Busby, Viollet, Wood, Foulkes et Berry – qui ne rejouera jamais après – survivront au drame de Munich. Edwards, Byrne, Jones, Pegg, Taylor, Whelan et Colman n’auront pas cette chance. Bien des années plus tard, Sir Matt Busby rappellera à tous cette évidence incontestable : « En toute modestie, mon analyse des saisons 1955-1956 et 1956-1957 est qu’aucun club dans le pays ne pouvait rivaliser avec Manchester United » . Peut-être le plus bel hommage à ses « enfants disparus » . Des fantômes éternellement jeunes et heureux.

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