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AM La Scampia : « À Marseille, tant que tu es humain, on t’accepte »
AM La Scampia ne veut pas dévoiler son âge, mais le fait qu'il parle de « libero » donne un sacré indice. À l'occasion de la sortie de son premier album, le rappeur marseillais cause de sa passion pour Maradona, l'OM et la cuisine napolitaine, mais aussi des South Winners, des ciseaux de Mamadou Niang et de la casquette d'Oliver Kahn. À table !
D’aussi loin que tu te souviennes, comment as-tu découvert le foot ?J’étais super petit… Déjà, quand tu es de Marseille, tu es pour l’OM. Au-delà de ça, c’est mon père qui m’a inculqué cette passion. Il était fou de Rabah Madjer et Diego Maradona, et avait été gardien de but en Algérie, mais ne me l’avait jamais dit, car il ne voulait pas que je joue gardien. Il voulait que je sois attaquant. Alors que moi, j’aimais les gardiens. Ils avaient des tenues extraordinaires, avec les gros pantalons en mousse et tout. Et ils avaient la hargne. Oliver Kahn avec sa casquette, Schmeichel, Köpke… Et la folie de Barthez, quand en 1998 il tombe sur Ronaldo ! Bon, il y a aussi eu Stéphane Porato qui nous a causé pas mal de déboires. On n’a pas trop compris pourquoi Courbis l’a mis à la place de Köpke, mais c’est pas grave. À Marseille, tout le monde aime Courbis, c’est un personnage du foot français au même titre que Guy Roux ou Loulou Nicollin. C’est des mecs qui ont vécu pour le foot.
Il y a encore des personnages comme ça en Ligue 1 ?Oui, il y a Jorge Sampaoli ! Et puis on a connu Bielsa, qui était un stade au-dessus. Mais de façon générale, aujourd’hui les personnages les plus hauts en couleur sont ceux qui n’écoutent qu’eux-mêmes, comme Guardiola. Et en France, on n’a pas vraiment d’entraîneurs de classe internationale, mis à part Zidane et Deschamps.
Il faut avoir une grande gueule pour plaire aux Marseillais ?Il faut surtout mouiller le maillot, même si tu es limité. C’est super important. Parce qu’en tribunes, on est le 12e homme et on mouille le maillot. Il faut qu’on ressente que sur le terrain, c’est pareil. En ce qui concerne l’entraîneur, on veut quelqu’un qui ait conscience qu’il ne fait pas que diriger l’équipe de foot. Quelqu’un qui prenne Marseille dans son ensemble, qui comprenne que la défaite du week-end va jouer sur l’économie de la ville la semaine suivante. Les gens vont être attristés, moins sortir, etc. À Marseille, on aime la folie, ce côté un peu loco.
Tu as grandi à Gignac-La-Nerthe, à 10 minutes des quartiers nord de Marseille, mais tu as ensuite beaucoup bourlingué. D’où te vient cette bougeotte ?Je suis un vagabond de naissance, ma mère m’a toujours cherché dehors, depuis que je suis tout petit. Mes collègues me parlent tout le temps de ça. J’ai besoin de découvrir les choses. À partir de 17-18 ans, je suis parti à Barcelone, Genève, puis l’Italie. J’ai commencé par le Vatican, et ensuite Pise, Rome, Naples et le nord qui m’a moins plu que le sud. J’ai découvert plein de culture et que le foot était universel. Par exemple, j’ai vécu la Coupe du monde 2018 à Genève, une ville cosmopolite de ouf, dans les bars avec des Sierraléonais, des Péruviens, des Italiens… Dans la vie, il n’y a pas grand-chose qui me retient quelque part. Si je me sens bien quelque part, j’y retourne. C’est pour ça qu’après avoir fini mon album à Naples, je suis revenu à Marseille. Marseille, comme le dit le film du même nom, c’est comme un aimant. Tu es obligé d’y revenir. Tout en sachant très bien dans quelle ville je vais aller pour enregistrer mon prochain album. Mais ça, je le garde pour moi.
Qu’est-ce qui te plaît à Naples ?La ferveur et la bonne cuisine. Naples me rappelle le Marseille des années 1980, très humain. Là-bas, si tu as faim, il y a toujours quelqu’un qui va te donner à manger. Ils ont du respect pour celui qui a peu. Et comme les Marseillais, les Napolitains se sentent mis à l’écart et se considèrent napolitains avant d’être italiens. « Un Napoletano e un Napoletano », comme ils disent. Il y a beaucoup de similitudes entre les deux peuples. D’ailleurs, les Napolitains me demandent souvent pourquoi la Curva B est affiliée avec les supporters parisiens alors qu’ils sont comme nous. Mais nous, les Marseillais, on a déjà une amitié avec la Sampdoria, avec qui cela se passe très bien.
Tu es membre d’un groupe de supporters ?Je suis chez les South Winners, depuis que les Yankees ont été dissous. La première fois que mon père m’a amené au stade, j’avais 5 ans. Mais mon premier vrai souvenir, c’est un 5-1 contre Troyes avec un ciseau de Mamadou Niang. En 2010, j’ai fêté le titre toute la nuit et j’ai raté l’entretien d’embauche que j’avais le lendemain. C’était pour travailler à la mairie, un bon boulot en plus ! Mais j’ai l’OM dans le sang.
Comment est perçu Jorge Sampaoli à Marseille ?C’est la simplicité, c’est ce qu’on aime. Tu peux le croiser à la pizzeria en train de rigoler avec les supporters. À Marseille, tant que tu es humain, on t’accepte. Le sourire communique beaucoup de choses, et Sampaoli l’a bien compris.
Marseille a des similitudes avec Naples, mais aussi avec l’Argentine, en généralisant. Tu es d’accord avec ça ?Oui, au Vélodrome il y a beaucoup de drapeaux argentins et de références à Maradona et Boca Juniors, un club que j’aime beaucoup et que je suis. On a la même ferveur, et surtout le même amour du foot. Là-bas, la musique et le foot prennent énormément de place dans les familles, comme chez nous. Ma mère ne suis pas particulièrement le foot, mais quand l’OM joue, elle demande si on a gagné. Et je pense qu’en Argentine, ça se passe de la même façon. Les rouleaux de papier-toilette dans les tribunes aussi !
Tu es un énorme fan de Maradona. Comment es-tu tombé amoureux de lui ?Diego, je l’ai découvert sur les VHS qu’achetait mon père. Comme lui, je suis capable du pire comme du meilleur, et très vite, mes potes m’ont dit que je lui ressemblais. Dans la rue, on m’appelle Maradona ou « La Scamp’ ». J’entretiens cette familiarité avec les gens, comme le faisait Maradona. Et puis comme moi, les Argentins ont besoin de passer le relais, comme quand Bielsa va entraîner des gamins de Leeds pendant ses vacances. Maradona appelait souvent Mourinho après que ce dernier avait perdu un match, pas après ses victoires. Parce qu’il savait que c’était plus important. Ce n’est pas tout le monde qui est là pour te soutenir quand ça va mal.
À quel poste t’es-tu révélé, sachant que ton père ne voulait pas que tu joues gardien ?J’ai débuté libero, avant de monter attaquant. J’ai mis mes buts de loin ou sur pied levé sur corner, à la Zlatan, même si je ne l’aime pas trop. Puis je me suis cassé le bras deux fois et j’ai dû arrêter le foot. J’ai joué au Marignane-Gignac FC, à l’ES Vitrolles et j’ai fini au FC Côte Bleue. Ce qui me plaît dans le foot, c’est la cohérence de groupe. Quand un groupe est cohérent, il peut aller au bout. Et c’est vrai pour toutes les choses de la vie. Au début, quand je jouais, je ne comprenais pas que c’était un sport collectif, j’étais super mauvais joueur. J’ai mis longtemps à comprendre qu’on ne peut pas gagner tout seul, et c’est pareil dans la musique. J’interprète, j’écris, mais je ne peux pas gagner tout seul. J’ai besoin de former une équipe de gens compétents dans leurs domaines respectifs pour aller au bout des choses.
La saison prochaine, l’OM va retrouver la Ligue des champions. Vous vous êtes beaucoup fait chambrer après le zéro pointé en 2013 et l’élimination dès la phase de poules en 2020. Comment tu crois que ça va se passer cette fois-ci ?Déjà, je voudrais remercier les Lensois d’avoir marqué à la dernière seconde contre l’AS Monaco. Mais ça a été une saison hyper compliquée parce que l’OM est capable de tout. C’est pour ça que je ne mise jamais sur eux. Ils sont imprévisibles ! Je sais que les Parisiens nous attendent au tournant en Ligue des champions pour nous chambrer, d’ailleurs ça commence déjà, donc j’attends un recrutement. Il faut renforcer l’équipe sans la chambouler parce que les choses se construisent sur la durée. Il faut faire en sorte de conserver les jeunes comme Saliba ou Guendouzi, Payet a encore une ou deux années dans les pattes, Milik aussi. Mais il nous faut plus de joueurs d’expérience. Je n’attends pas que l’OM aille en quarts de finale, ce qui serait magnifique, mais j’exige qu’ils se battent sur le terrain.
Dans quel secteur l’équipe a besoin de renforts ?Sampaoli ne veut gagner les matchs qu’avec des milieux, mais c’est compliqué ! Moi, je prendrais des latéraux. Tagliafico ce serait bien, et faire revenir Azpilicueta. Il est vieux, mais il a sa place avec son expérience. Et il nous faudrait un tueur devant, parce que Bamba Dieng est jeune, et on ne sait pas si Milik va rester. Un mec qui se retourne face à la cage, genre Falcao à l’ancienne. Darwin Núñez, du Benfica (et qui a signé entre-temps à Liverpool, NDLR), correspondrait bien.
La saison dernière, l’OM a enfin gagné à Bordeaux, ce qui n’était pas arrivé depuis 1977. Tu as fêté ça comme un trophée ?Je faisais partie des gens qui ont accueilli les joueurs à l’aéroport. C’était super important de briser cette malédiction, parce qu’à chaque fois qu’on allait à Bordeaux, il y avait une angoisse, un nuage au-dessus de nous qui voulait dire qu’on n’allait encore pas gagner. Je suis dégoûté que Bordeaux et Saint-Étienne soient descendus parce qu’ils vont manquer à la L1. Mais je suis ravi qu’Auxerre soit remonté, c’est la D1 à l’ancienne, on adore, comme Lens.
Tu suis le football algérien ?Forcément, parce que mon père a joué à la JSK (Jeunesse sportive de Kabylie) lorsque l’Algérie est devenue indépendante. Donc ça a été mon premier maillot, en taille L alors que j’étais tout petit. Je le mettais très souvent, j’étais très fier. Et je suis énormément la sélection. Quand je les regarde jouer, je retrouve l’esprit du foot de quartier. Et ça fait plaisir de voir du beau jeu. Regarder la sélection de ton pays d’origine procure beaucoup de sensations à tous les binationaux. Moi, il y a la France et l’Algérie qui me font vibrer. Quand Mahrez met son coup franc en demi-finales de la CAN contre le Nigeria, c’est extraordinaire.
Propos recueillis par Mathias Edwards
Triste Fête, l'album d'AM La Scampia, est disponible partout.