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Aleksander Čeferin : « À mes yeux, Andrea Agnelli n’existe plus »
Dans le cadre de l'entretien qu'il a accordé à So Foot (à retrouver dans le numéro 187 du magazine, en vente partout depuis le 3 juin), Aleksander Čeferin est notamment revenu sur l'épisode de la défunte Superligue. Vraiment défunte ? Cela reste à prouver. En attendant, le patron de l'UEFA n'oublie rien et ne pardonnera pas à tout le monde. À commencer par le président de la Juventus, Andrea Agnelli.
Enfant, vous vouliez devenir capitaine de bateau. Aujourd’hui, à défaut d’écumer les mers, vous êtes à la barre d’un navire baptisé UEFA. Comment vogue-t-il en ce moment ?Franchement, bien. C’est un beau navire, puissant. Nous avons été attaqués par un sous-marin il y a quelques semaines, mais finalement, c’est nous qui avons coulé le submersible.
Ce fameux sous-marin, piloté par les grands clubs européens… Avez-vous essayé d’empêcher qu’il fasse surface comme ce fut le cas récemment ?Honnêtement, on ne savait pas exactement ce qui était en train de se passer. On recevait de temps en temps des menaces de scission, des documents sur le sujet ont fuité… Mais on n’a pas pris ça très au sérieux. Andrea Agnelli, qui était alors le président de l’ECA, était membre de notre comité exécutif et nous assurait continuellement qu’il n’y avait vraiment pas de quoi s’inquiéter. Surtout que de notre côté, nous avions organisé plusieurs rencontres avec les clubs pour leur présenter la nouvelle réforme de la C1, réforme que les douze clubs frondeurs ont votée. Sauf que le jour suivant, ils dévoilaient leur projet fantomatique.
Vous ne vous êtes jamais douté de rien ?Vous pouvez avoir des soupçons, mais quand les gens qui font partie de votre bureau opérationnel vous jurent que, « Non, non, tout ça, c’est des conneries », difficile de ne pas les croire…
Comment avez-vous réagi face à cette trahison ?Dans cette affaire, on peut classer les protagonistes en trois catégories. Je mets Andrea Agnelli dans la première. Là, c’est personnel. À mes yeux, cet homme n’existe plus. Je pensais que nous étions amis, mais il m’a menti droit dans les yeux jusqu’à la dernière minute du dernier jour, en m’assurant qu’il n’y avait pas de quoi s’inquiéter. Alors que la veille, il avait déjà signé tous les documents nécessaires au lancement de la Superligue. Dans la deuxième catégorie, je place un groupe de dirigeants que j’estimais assez proches de moi et dont je regrette qu’ils ne m’aient pas dit à l’avance ce qu’ils prévoyaient de faire. Enfin, dans la dernière catégorie, il y a les dirigeants avec qui je n’avais pas de contacts privilégiés. Je ne les blâme pas, mais ils devront eux aussi subir les conséquences de leurs actes. À travers cette compétition, tous ces dirigeants voyaient un moyen d’assurer pour leurs chapelles respectives une place immuable au sommet du football européen. Je sais de source sûre que leur idée première était d’arrêter de participer aux compétitions de l’UEFA, tout en restant dans leurs championnats nationaux respectifs. Mais avec une équipe B, étant donné qu’ils auraient disputé leur propre compétition européenne avec l’équipe A. Ensuite, l’idée était de sortir des championnats nationaux dans un second temps, pour jouer uniquement des matchs européens chaque week-end.
Vous pensez que les enjeux de cette Superligue allaient au-delà du football ?Absolument. En fait, c’était un combat sociétal qui se jouait en toile de fond et c’est précisément pour cela que les réactions ont été aussi brutales. Est-ce que douze milliardaires ont le droit de débouler comme ça et nous priver de notre sport ? Est-ce que l’argent achète tout ? Le football est bien plus qu’un simple jeu, il fait partie intégrante de nos nations, de nos cultures et de nos sociétés. C’est pour ça que leur lecture de la situation était complètement à côté de la plaque. Par la suite, je leur ai demandé : « Comment n’avez-vous pas réalisé que vous marchiez dans la merde ? » Je veux dire, avec tous leurs conseillers, tout l’argent que ces clubs peuvent mobiliser… Finalement, je pense que c’est une bonne chose que tout ça soit arrivé, parce que cette menace qui planait dans l’air a disparu et qu’il sera désormais plus simple de parler des mécanismes de solidarité avec ces clubs. Nous avons livré un combat difficile, ces 48 heures ont été complètement dingues, mais maintenant, ça a le mérite d’être clair : ils n’essaieront pas de retenter le coup. Je pense que nous sommes tranquilles pour les 10-15 prochaines années. Ensuite, on ne sait jamais. Mais là, je ne serai plus dans le football.
Propos recueillis par Adrien Candau et Julien Duez, à Nyon