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Alain Giresse : « C’est difficile de ne pas se souvenir de Gernot Rohr »

Propos recueillis par Mathias Edwards
5 minutes
Alain Giresse : « C’est difficile de ne pas se souvenir de Gernot Rohr »

En première division, Alain Giresse a disputé douze Bordeaux-Marseille. Onze avec les Girondins, un du côté de l'OM. Mais entre l'horrible blessure de Daniel Jeandupeux en 1977, et son retour gâché en 1987, « Gigi » ne garde pas que des bons souvenirs de ces affrontements.

Quel est votre meilleur souvenir d’un Bordeaux-Marseille disputé au Parc Lescure ?Les meilleurs souvenirs contre Marseille, ce sont des matchs de Coupe de France. Des Bordeaux-Marseille en championnat, je n’en ai pas disputé tant que ça (onze, tout de même, ndlr), parce que Marseille a passé quelques saisons en deuxième division. Et puis avant l’arrivée de Bernard Tapie à l’OM, ce n’était pas un problème de jouer contre Marseille.

Revenir à Bordeaux me rendait mal à l’aise. (…) Je n’ai pas abordé le match comme il se doit. Et la saison suivante, j’ai refusé de le jouer.

Celui de la saison 1984-1985, que vous remportez 4-1, était pas mal…Oui, bon… Cette année-là, on a été champions en battant tout le monde à domicile. Ce 4-1 contre Marseille, il est passé comme une lettre à la poste.

Finalement, le seul Bordeaux-Marseille que vous disputez durant la période qui oppose Claude Bez à Bernard Tapie, c’est celui de la saison 1986-1987. Et vous défendez les couleurs de l’OM. Il s’agit de votre pire souvenir de Bordeaux-Marseille ?Pour des raisons personnelles et morales, c’est le match le plus désagréable que j’aie eu à jouer. Je l’ai mal vécu. Revenir à Bordeaux me rendait mal à l’aise. Je me disais que j’étais professionnel, que je devais le faire. Et je ne l’ai pas fait tranquille, serein. Je n’ai pas abordé le match comme il se doit. Et la saison suivante, j’ai refusé de le jouer.

Lors de ce fameux match d’avril 1987, vous avez été particulièrement maltraité par la défense bordelaise…(Il coupe) Pas par la défense. Par un joueur.

Vous pensez à Gernot Rohr ?C’est difficile de ne pas s’en souvenir. (Le défenseur allemand des Girondins avait été expulsé dès la 22e minute après une agression sur Alain Giresse, ndlr.)

Vous en avez reparlé avec lui, depuis ?Non. On s’est croisés, mais on n’a jamais parlé de ça. Pour quoi faire ?

Savoir s’il avait reçu des consignes ?Consignes ou pas, peu importe, il n’y a que le résultat qui compte, ce qu’il s’est passé. Je l’ai subi de plein fouet, c’est tout ce que je retiens.

Peut-être qu’un jour, j’irai au fond des choses. Là, j’ai juste entrouvert la porte de la cave, pour la première fois.

Lorsque vous quittez les Girondins pour l’OM, Claude Bez vous insulte dans la presse. Comment réagissez-vous, après avoir tant donné à Bordeaux ?C’est une grosse incompréhension entre Claude Bez et moi, qui est à l’origine de mon départ à Marseille, puis des excès qui ont suivi. Cela m’a touché, c’est sûr.

Quel genre d’incompréhensions ?Des incompréhensions par rapport à la fin de saison 1985-1986. Je trouvais que je ne méritais pas certains reproches. Mon traitement ne correspondait pas à mon comportement vis-à-vis des Girondins.

Qu’est-ce qui vous était reproché ?(Il hésite.) Un manque d’implication vis-à-vis du club. Peut-être qu’un jour, j’irai au fond des choses. Là, j’ai juste entrouvert la porte de la cave, pour la première fois.

Allez, Alain. Entrons dans cette cave.Non, pas encore. Le temps fait mûrir les choses, et permet de parler sans excès, ni attitude revancharde.

Quels souvenirs gardez-vous de la dernière défaite bordelaise, en octobre 1977 ?Nous, les Bordelais, on se souvient plus de la grave blessure de Daniel Jeandupeux que de la défaite, qui est totalement passée au second rang. La blessure de Daniel avait été affreuse. Affreuse. Vous vous souvenez, quand le tibia de Djibril Cissé était sorti ? Eh bien là, c’était pareil. Le tibia sortait, oh la la… Je n’ai pas pu m’approcher.

Au moment où le Marseillais Marc Berdoll blesse Daniel Jeandupeux, vous entendez le son de la jambe qui se brise ?Oui. J’étais à une vingtaine de mètres. Lorsque j’ai vu le tibia, je me suis dit : « Non, tu ne peux pas y aller. » C’était au-delà de mes forces.

Dans quel état étiez-vous, après le match ?Dans le vestiaire, nous étions complètement abasourdis. Daniel Jeandupeux était déjà à l’hôpital. On ne faisait pas la gueule parce qu’on avait perdu, on ne pensait qu’à se renseigner sur l’état de Daniel. D’ailleurs, nous sommes directement allés à l’hôpital, le soir même.

Quelles sont les principales différences entre les Bordeaux-Marseille de votre époque, et ceux d’aujourd’hui ?À ce moment-là, les équipes n’étaient pas ce qu’elles sont devenues. Dans un premier temps, Bordeaux s’est hissé au sommet du foot français dans les années 1980. Puis, cela a été au tour de Marseille dans les années 1990. Donc lors de la montée en puissance de l’OM, c’était une opposition entre les deux meilleures équipes du pays. Et tout cela était amplifié par une rivalité excessive entre deux présidents à forte personnalité.

Les joueurs d’aujourd’hui ne sont pas conditionnés pour maintenir à tout prix une invincibilité. Ceux que cela concerne, ce sont les supporters, qui vivent l’histoire de cette rivalité au travers de cette invincibilité.

Vous pensez que cela a été trop loin, entre Tapie et Bez ?Vous vous souvenez, quand le président Bez est arrivé à Marseille dans sa Cadillac ? Il y avait une volonté de provoquer. Ils s’invectivaient en coulisse, cela allait au-delà du terrain.

Pour conserver cette invincibilité, Bordeaux peut-il être tenté de jouer pour ne pas perdre, plutôt que pour gagner ?Non, parce que les joueurs changent souvent. Ceux d’aujourd’hui ne sont pas conditionnés pour maintenir à tout prix une invincibilité. Ceux que cela concerne, ce sont les supporters, qui vivent l’histoire de cette rivalité au travers de cette invincibilité. Ce soir, Bordeaux voudra l’emporter, et Marseille ne pas perdre. Mais sans rapport avec cette histoire d’invincibilité bordelaise.

Les supporters bordelais savent tout de même faire comprendre aux joueurs qu’il s’agit d’un match particulier, non ?Oui, comme les supporters stéphanois avant un derby. Chaque joueur, quand il arrive dans un club, est mis au courant que tel match est particulier.

Dans votre boule de cristal, vous voyez cette invincibilité bordelaise durer encore combien de temps ?Là, vous vous adressez au Bordelais que je suis. Tout ce que je peux vous assurer, c’est que plus le temps passe, plus on approche de la fin de cette invincibilité. C’est inéluctable.

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