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Alain Gadoffre : « Après son but en or, Trezeguet cherche tout de suite la communion »
Le 2 juillet 2000, aux environs de 22h15, à Rotterdam, David Trezeguet claquait le but de sa vie. Une volée du gauche qui donnait la victoire (2-1) à la France en finale de l'Euro, face à l'Italie, en prolongation. Photographe pour Onze Mondial à l'époque, Alain Gadoffre était là, près du poteau de corner, pour immortaliser ce moment mythique.
En tant que photographe français, comment as-tu vécu ce but en or de Trezeguet ?Je n’ai même pas vu le centre de Pirès ! Quand je suis sur Trezeguet, il a déjà marqué. De mémoire, la seule photo où on le voit vraiment frapper a été prise derrière le but, soit par un photographe, soit par un appareil en télécommande. Je suis tellement dans ma mission que je ne crie pas de joie quand Trezeguet vient vers moi. Pourquoi il vient là ? Je ne sais pas. Il aurait pu se tourner directement vers ses copains, vers Pirès, mais il vient vers moi. Il enlève tout de suite son maillot. Je le vois arriver, je fais plusieurs photos. Il y a Thierry Henry qui suit Trezeguet et explose de joie, les bras en l’air. Ensuite, il y a ses copains qui font un amoncellement, près des panneaux de publicité. Là, Trezeguet est quasiment à deux mètres de moi.
Sur le coup, est-ce que tu réalises à quel point c’est un moment ultime à immortaliser ?Sincèrement, non. Tout ce que je me dis, c’est : « J’espère qu’il ne va pas trop s’approcher, qu’il ne va pas me dépasser. » (Rires.) Parce que je n’étais pas équipé à ce moment-là pour faire des clichés au grand angle – si par exemple il avait enjambé les publicités et qu’il était venu au contact des spectateurs, comme l’a fait Zidane en 1998. Rotterdam, c’est un stade particulier pour les photographes, car il n’y a pas beaucoup de place. Contrairement au Stade de France en 1998, il n’y a pas de piste d’athlétisme autour du terrain.
Techniquement, comment tu t’y es pris ?Il y a sa frappe, que je rate. Là, je suis au 400 mm – c’est-à-dire un téléobjectif assez puissant. Je rate la frappe, mais instinctivement, je change de boitier – on en a deux autour du cou – et là, je me mets au 70/200, qui est un petit zoom. J’ai la chance en changeant de boitier de ne pas perdre le cadrage et de le suivre. Étant donné qu’il est face à moi dans sa course, je fais plusieurs clichés de cette séquence. Ce que j’aime sur cette photo ? C’est l’impression de proximité. Il est peut-être à moins de dix mètres. Il y a l’expression de Trezeguet et la joie d’Henry, qui crie. On peut penser que Trezeguet est solitaire, mais on voit aussi qu’il y a déjà un coéquipier qui le suit.
Qu’est-ce que tu vois dans la célébration ? C’est une délivrance. On a l’impression qu’il pleure sur la photo. Trezeguet, il ne se contrôle pas. Il n’a rien préparé. Quand il a frappé, il ne s’est pas dit qu’il allait retirer son maillot deux secondes après. C’est instinctif. Aujourd’hui, les joies sont moins spontanées, mais si ça avait été Mbappé dans cette situation, je pense qu’il serait parti aussi dans un délire de la même façon. C’est tellement jouissif que les mecs ne contrôlent plus rien.
Est-ce que tu as croisé son regard ?Sincèrement, non. Il ne voit pas vers qui il se dirige. D’une part, parce que nous les photographes, on est à moitié masqué derrière notre téléobjectif. Et puis, c’est l’instinct ! Il aurait très bien pu partir dans l’autre sens. J’ai l’impression qu’il regarde derrière moi, qu’il cherche le regard des spectateurs pour communier avec eux. Il ne cherche pas la caméra ou les photographes, il cherche tout de suite la complicité, la communion. Après, il se retourne, et ses copains arrivent…
Qu’est-ce qu’ils se disaient ?Je n’ai rien entendu. Il y avait du vacarme. Les spectateurs étaient vraiment dans notre dos, ça gueulait dans tous les sens. Ces instants, je ne les apprécie pas. Je les apprécie après coup. Sur l’instant, je stresse parce que ça ne passe pas deux fois. Et je me projette déjà sur la suite. Je prépare mon matos et je cours pour aller me préparer à la remise de la coupe.
La spécificité de ce moment, c’est que c’est un but en or. Le match est terminé. Il n’y a pas de coach qui vient lui dire de se concentrer pour les dernières minutes à jouer. Pour les Italiens, c’est mort. D’ailleurs, on les voit au fond de la photo. Il y en a un qui se prend la tête dans les mains. C’est une délivrance d’un côté, un cauchemar de l’autre. Parce que les Italiens s’y voyaient…
Pourquoi est-ce que tu étais à cet endroit-là ?Pfff, il n’y a rien de rationnel là-dedans. Sur le but de Wiltord, je suis au même endroit. Une fois qu’on a choisi une position, on ne peut pas changer. Sauf à la mi-temps, éventuellement. À l’époque, je travaillais pour Onze Mondial. On était trois photographes pour le magazine. Il y en a un en face de moi, sur le but de Barthez. Et le troisième était le long de la touche, côté Pirès.
Comment as-tu découvert les photos ?À l’époque, on n’était pas en numérique. On était en argentique. Mais je savais ce que j’avais fait. Je n’avais pas de doute. J’avais peut-être cinq, six clichés sur toute sa course. Je savais que j’en avais au moins une de bien. De mémoire, je crois qu’on est rentré dans la nuit en voiture pour boucler le magazine le lendemain ou le surlendemain. Elle a été utilisée, ça c’est sûr, dans quel format, je ne sais plus.
Est-ce que tu en as parlé avec Trezegol ?Pour avoir travaillé pour Onze Mondial pendant vingt ans, Trezeguet, je le connaissais à Monaco et je l’ai suivi ensuite quand il est parti à la Juve. Mais quand je l’ai revu quelques mois après, avec Lilian Thuram, pour un sujet magazine, on n’en a pas reparlé. C’était pas non plus un garçon très expansif. Je ne lui ai même pas dit : « Grâce à toi, j’ai fait une très bonne photo parce que tu es venu vers moi »… Mais j’ai eu beaucoup de chance, ce soir-là.
Propos recueillis par Florian Lefèvre