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  • Un jour, un transfert
  • Épisode 34

Ahn Jung-hwan à Metz : le choc des mondes

Par Timothé Crépin
7 minutes
Ahn Jung-hwan à Metz : le choc des mondes

Cet été pendant le mercato, So Foot revient chaque jour de la semaine sur un transfert ayant marqué son époque à sa manière. Pour ce 34e épisode, retour en 2005. Ou quand le FC Metz a cru réussir un gros coup en attirant Ahn Jung-hwan. L'histoire va très vite devenir un fiasco.

Fin de journée paisible sur le lac Majeur en cet été 2005. Nous sommes du côté italien du lac. Carlo Molinari est en vacances. Le président historique du FC Metz prend un peu de repos après avoir vu son club obtenir un second maintien de suite dans l’élite. 16 heures, le téléphone sonne. Au bout du fil, Philippe Gaillot. Le directeur sportif est très embêté : Ahn Jung-hwan, pire cauchemar de l’Italie lors de la Coupe du monde trois ans plus tôt, s’apprête à enfiler la tunique des Grenats. L’accord entre toutes les parties est trouvé, malgré d’âpres négociations. Molinari déroule la soirée qui l’attend. « Gaillot m’explique :« Le joueur est là, on est tous d’accord, mais il exige votre présence pour la signature du contrat. »J’ai dit :« Oh, pétard ! »  » Branle-bas de combat : Molinari saute dans sa voiture, direction la Lorraine, 550 kilomètres plus loin. « J’arrive à 23 heures précises au Novotel de Metz, continue-t-il. Gaillot, Joël Muller, l’entraîneur, et Ahn m’attendent. En dix minutes, c’était réglé. Tout était prêt. Il fallait juste que je sois là. À minuit, le temps de boire un café et un coca-cola pour ne pas m’endormir sur la route, me voilà reparti. Il m’a fait faire 1100 kilomètres. À 5h30, je suis de nouveau sur le lac Majeur. Je ne peux pas oublier ce gars. »

Le 13 juillet, c’est donc un petit événement en France : l’arrivée de l’auteur du but en or terrible qui a fait chuter la Nazionale lors du Mondial 2002. Viré quelques jours après cet exploit par le président de Pérouse, son club, l’accusant d’avoir « ruiné le football italien », Ahn s’était réfugié au Japon depuis quelques saisons. Avant donc de retenter sa chance en Europe, à Metz, pour un contrat d’un an. Avec la ferme intention de briller. « J’ai bien sûr l’ambition de marquer le plus de buts possible, espère-t-il lors de sa présentation. Et ainsi permettre au club de gagner des places au classement afin qu’il soit reconnu au sein de l’élite. J’ai surtout envie de découvrir ce championnat et de marquer mon passage au FC Metz. »

Vous envoyiez un parpaing à rebond, ça lui collait au pied à la réception. Il était très élégant, avec un centre de gravité bas, donc il était vif, rapide sur les premières foulées. Et avec une grosse frappe. Il avait un QI football intéressant.

Joue-la comme Beckham

Si la signature fait légèrement parler dans l’Hexagone, elle fait l’effet d’une énorme bombe en Asie où l’ancien attaquant de Yokohama est une immense icône. « Dans le vestiaire, on nous avait dit qu’ils avaient fait signer une star internationale, détaille Mehdi Meniri, ancien défenseur de la maison grenat. Je me suis dit :« Putain, Metz ne prend que des joueurs nationaux ou internationaux, et là, une star ! »On apprend que c’est le Coréen qui a éliminé l’Italie à la Coupe du monde. » Sébastien Renouard, Grégory Proment et Laurent Agouazi découvrent alors le phénomène marketing : « Le Beckham asiatique, c’est comme ça qu’on nous l’a présenté, rigole Meniri. Sa femme, c’était Miss Corée du Sud d’il y a quelques années. C’était dire qu’on avait vraiment une star, avec cette vie-là, à la Beckham. » « On le regardait dans des pubs pour du shampoing alors qu’on le voyait tous les jours, s’étonne encore Stéphane Borbiconi, autre Grenat de l’époque. On rigolait. » Sportivement, Ahn symbolise surtout une nouvelle ambition du FC Metz. Carl Medjani : « Le club avait pris cinq ou six internationaux lors de ce mercato. Mais, lui, c’était le fer de lance. »

Les débuts d’Ahn sont (très) bons. Et même spectaculaires. Le 23 juillet, à six jours de l’ouverture de la saison de Ligue 1, Ahn marque son premier but en amical face à Lokeren. Mehdi Meniri s’en souvient parfaitement : « Il entre et au bout de vingt minutes, il nous met un but à la Jay-Jay Okocha contre Bordeaux ! On s’est dit :« Putain, on a tiré le gros lot ! »  » Rebelote au Parc des Princes : pour la première journée, Metz sombre à Paris (1-4), mais Ahn y va de son pion, tout en sang-froid pour ajuster Lionel Letizi après avoir été servi en retrait. Tout ça cinq minutes après son entrée. « Techniquement, c’était très, très propre, dépeint Borbiconi. Vous envoyiez un parpaing à rebond, ça lui collait au pied à la réception. Il était très élégant, avec un centre de gravité bas, donc il était vif, rapide sur les premières foulées. Et avec une grosse frappe. Il avait un QI football intéressant. »

La cuisine de cette maison ne lui convenait pas, alors on a acheté une nouvelle cuisine. On lui a obtenu un chauffeur qui devait parler anglais au minimum.) On a fait tout ce qu’il voulait pour qu’il soit bien. Son comportement de diva, c’était insupportable. 

« Il était étonné qu’on ne lave pas sa voiture pendant l’entraînement »

Son but au Parc n’est suivi que d’un second, à Sochaux, en décembre. Très vite, l’aventure messine vire au fiasco. Le fonctionnement du Sud-Coréen au quotidien en interpelle plus d’un. Car ce n’est pas qu’Ahn Jung-hwan qui débarque à Metz, mais la multinationale Ahn Jung-hwan. « Il avait son cuisinier, son chauffeur, son traducteur… À chaque fois, ils étaient quatre ou cinq autour de lui, même dans le vestiaire, jure Borbiconi. Ce n’était pas seulement un joueur. Il était un peu étonné qu’on ne lave pas sa voiture pendant qu’on était à l’entraînement. » Carl Medjani n’en revient encore pas : « Ce qui nous avaient un peu choqués, c’est le traducteur. Étant plus jeune, il avait un tel respect pour le joueur que, des fois, c’en était limite gênant. Il faisait tout, quitte à lui porter sa bouteille d’eau, ses chaussures… On n’avait pas l’habitude. Il a fallu qu’on se fasse à ça. » Molinari et Metz apprennent donc à faire avec les caprices de leur star, et tentent de la satisfaire en lui rendant la vie la plus agréable possible. L’actuel vice-président du FCM liste tout ce qui a été fait. « On lui a trouvé la maison qu’il voulait à l’extérieur de la ville. La cuisine de cette maison ne lui convenait pas, alors on a acheté une nouvelle cuisine. On lui a obtenu un chauffeur qui devait parler anglais au minimum. On avait reçu sa famille comme il le fallait… On a fait tout ce qu’il voulait pour qu’il soit bien. Son comportement de diva, c’était insupportable. »

Il disait qu’en Corée du Sud, c’était normal. Le fait de lui porter son sac, de lui laver ses chaussures… Cela faisait partie de la culture coréenne.

Deux mondes si différents

Pas franchement sur la même planète que le club et la ville de Metz, Ahn se coupe très vite du groupe. Le lien ne se fait jamais. Les seules fois où Meniri et consorts parviennent à échanger avec lui, ce sont lors des mises au vert où le Sud-Coréen n’était pas accompagné de tout son staff personnel. « On en discutait avec lui, il se lâchait un peu, narre Meniri. On parlait avec un anglais approximatif. Lui parlait bien italien. Il disait qu’en Corée du Sud, c’était normal. Le fait de lui porter son sac, de lui laver ses chaussures… Cela faisait partie de la culture coréenne. » En janvier, exfiltration express : direction Duisbourg, où cela ne se passera pas bien mieux. S’il n’était sûrement pas au bon endroit au bon moment, Ahn Jung-hwan n’était surtout pas prêt pour jouer le maintien (Metz sera relégué à l’issue de la saison) et s’arracher pour le club selon ses anciens partenaires. Stéphane Borbiconi explique : « Vous êtes une star, vous arrivez à Metz, vous jouez le maintien, on vous dit qu’il faut mettre le bleu de chauffe… Pas mal de joueurs lui reprochaient un manque d’investissement. Il ne s’est pas inscrit dans la durée, il ne s’est pas accroché. Il a senti que la saison allait être compliquée. »

Il n’y avait surtout pas cet ADN local, indéniablement nécessaire, selon Borbiconi : « Metz est une très belle ville, mais le club a la réputation de travailler fort, avec une mentalité un peu germanique : travail, rigueur, humilité. Nous, c’était ça, lui n’était peut-être pas perdu, mais… » Dix-huit matchs, dix titularisations, deux buts et un transfert star qui a fait pschiiit. « Tous ces efforts pour rien du tout », peste encore Carlo Molinari, qui a toujours eu une question restée sans réponse : « Le fait d’exiger ma présence, sachant que j’étais quand même assez loin, est-ce que ce n’était pas pour éventuellement partir sans honorer son contrat, car il n’avait plus envie de venir ? » Et de conclure, toujours bien amer : « Niveau impact, c’était assez spectaculaire. Mais on aurait mieux fait de prendre l’attaquant de Hauconcourt, un amateur en Moselle. » À croire qu’il n’a toujours pas digéré ses 1100 kilomètres avalés en à peine douze heures.

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Par Timothé Crépin

Propos d'Ahn Jung-hwan issus de conférence de presse. Ceux de Stéphane Borbiconi, Carl Medjani, Mehdi Meniri et Carlo Molinari recueillis par TC.

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