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Adieu Maurizio Zamparini, roi de Sicile et collectionneur d’entraîneurs
Mythique président de Venise et de Palerme, Maurizio Zamparini s'est éteint ce 1er février, à l'âge de 80 ans. Connu pour avoir viré un nombre incalculable d'entraîneurs, il a également replacé Venise et Palerme sur la carte, et a offert au football quelques joueurs d'exception, à l'instar de Cavani, Dybala ou Pastore. Retour sur une vie sacrément bien remplie.
Les coups de fil avec Maurizio Zamparini se passaient pratiquement toujours de la même façon. Ils commençaient par un sec : « C’est qui ? » Une fois les présentations faites, il prévenait, toujours sur un ton presque agacé : « Faites vite, je n’ai que quelques minutes. » Un accueil en forme de bluff : en réalité, il répondait à toutes les questions, avec disponibilité, envoyait quelques punchlines bien senties (parfois presque borderline), et ne raccrochait jamais avant la fin. Ce qui résume assez bien le personnage. Un bonhomme sulfureux, complètement taré, mais terriblement sympathique et humain. De ceux qui auront assurément marqué le football italien, et qui vont cruellement lui manquer.
Le Mange-Entraîneur
Résumer Maurizio Zamparini en un article paraît pratiquement impossible. Peut-être que, pour synthétiser son œuvre, il faudrait donner un chiffre. 66. Le nombre de trophées qu’il a remportés ? Pas du tout. Il s’agit du nombre de changements d’entraîneurs qu’il a effectués, en 32 années passées dans le football. Soit plus de deux par an. C’est simple, le Zamp’ s’était forgé un surnom, celui de « Mange-Entraîneur ». L’apogée a eu lieu lors de la saison 2015-2016, lorsqu’il était le président de Palerme. Il est alors entré dans les almanachs en changeant huit fois d’entraîneur en une seule saison, ce qui constitue un record dans l’histoire de la Serie A. Et ce qui est dingue, c’est que personne n’osait jamais l’envoyer chier. De nombreux entraîneurs chevronnés, à l’instar de Delio Rossi, Francesco Guidolin, Davide Ballardini, Walter Novellino, ou encore Gian Piero Gasperini, se faisaient virer comme des malpropres, puis revenaient dès que Zamparini les rappelait. « Beaucoup d’entraîneurs savent qu’accepter l’offre de Zamparini représente un gros risque, mais ils sont attirés par le contrat, souvent de deux ans, nous expliquait il y a quelques années Franco Cammarasana, correspondant en Sicile de la Gazzetta dello Sport. Si cela se passe mal, ils ont un salaire assuré pendant deux ans, et peuvent donc attendre tranquillement une autre opportunité. En revanche, s’ils sont rappelés par Zamparini, ils sont obligés de revenir entraîner le club rosanero. »
Impulsif, Zamparini virait son coach après un mauvais résultat, mais, à tête reposée, il était pris par les remords. En 2012, par exemple, il avait licencié Stefano Pioli avant même que le championnat ne débute. Quelques mois plus tard, le coach, aujourd’hui à l’AC Milan, cartonnait avec Bologne et Zamparini faisait dans la finesse pour exprimer ses regrets : « Pioli ? Je m’en mange le deuxième testicule de l’avoir laissé partir. Le premier, je l’ai déjà mangé. » Idem pour Luigi Delneri, viré en 2006. « Le virer a été une énorme erreur de ma part », avait-il assuré, affirmation à laquelle le coach à la moustache avait répondu : « Zamparini est un président particulier, qui pense qu’il faut tout changer quand on ne gagne pas un match. »
Cette relation amour/haine avec ses entraîneurs, Zamparini l’a entretenue tout au long de sa carrière. Un livre entier ne suffirait pas pour compiler tout ce qu’il a pu dire à propos des coachs qui sont passés sur les bancs des clubs dont il a été le président. Parmi ceux qui en ont pris pour leur grade, on trouve Francesco Guidolin, Delio Rossi ou encore Serse Cosmi. Guidolin s’était fait atomiser après une défaite 4-0 face à la Roma en 2006. « J’ai honte de ce Palerme. Cela me rappelle un 5-1 encaissé face à l’Udinese il y a deux ans. À l’époque, comme ce soir, l’entraîneur adverse était Luciano Spalletti. Spalletti a démontré qu’il était un grand entraîneur, Guidolin non. Il a un excellent effectif, mais il gère mal les choses et j’ai surtout l’impression qu’il veut être l’acteur principal de cette équipe. Or, c’est lui qui la détruit. » Delio Rossi, lui, s’est reçu un uppercut verbal en 2011, après une cinglante défaite 0-7 contre l’Udinese. « Rossi a 1% de chances de rester à Palerme, essayez donc de parier. C’est une équipe détruite, il a saboté mon Palerme. Rossi a gâché cette équipe. Je lui avais dit pourtant de régler le problème de la défense, et il ne l’a pas fait. Il a enlevé Muñoz qui est pourtant le meilleur défenseur. C’est un bon à rien. On ne peut pas jouer de cette manière. » Quant à Cosmi, appelé justement en 2011 pour remplacer Delio Rossi (puis viré à son tour et remplacé par… Delio Rossi), il a pris la foudre après un 0-4 dans le derby contre Catane. « Cosmi dit que je lui ai ordonné de laisser Miccoli sur le banc ? C’est totalement faux. Je lui ai seulement demandé pourquoi il avait décidé de ne pas faire jouer Pastore. Jamais je n’ai demandé à exclure Miccoli, c’est mon capitaine. Ce que dit Cosmi, c’est la vengeance d’un mec qui s’est fait limoger. Des déclarations pleines d’amertume dont il aurait pu se passer vu que je l’ai payé 500 000 euros pour cinq matchs. » Que du bonheur.
Álvaro, Luca, Javier, Paulo…
Évidemment, Zamparini, ce ne sont pas que des clashs avec des entraîneurs, même si ces derniers ont souvent défrayé la chronique. Ce sont aussi des success stories sportives, comme celles de Venise et de Palerme. Après s’être fait la main avec Pordenone, en Serie C2 (1986-1987), Zamparini rachète donc le Venezia Calcio, qu’il fusionne avec l’équipe de Mestre (c’est d’ailleurs à ce moment là que le orange est ajouté comme troisième couleur, après le vert et le noir). Le club est alors en quatrième division, et le but est de le ramener en Serie A. Zamparini accomplira cette mission en douze ans. Au terme de la saison 1997-1998, Venise, entraîné par Walter Novellino, accède à l’élite. Et alors que l’équipe se dirige tout droit vers un retour immédiat en Serie B, Zamparini a la lumineuse idée d’aller demander à Massimo Moratti le prêt d’Álvaro Recoba pour six mois. Un transfert qui va tout changer, puisque Recoba et son pote Pippo Maniero vont parvenir à sauver Venise au terme d’une deuxième partie de saison folle.
Mais c’est surtout à Palerme, à partir de juillet 2002, que Zamparini va écrire sa légende. L’équipe vient de remonter en Serie B, et comme il l’avait fait à Venise, le bon Maurizio promet un retour dans l’élite au plus vite. Et comme il est un homme de parole, deux ans plus tard, Palerme retrouve la Serie A après 31 années d’absence, ce qui vaudra au bonhomme d’être nommé citoyen d’honneur de la ville. Mais son Palerme ne va pas se contenter de faire de la figuration. Loin de là. Dès son retour en première division, lors de la saison 2004-2005, l’équipe rosanera joue les premiers rôles, avec une sixième place synonyme de qualification en Coupe UEFA. Dans cette équipe, on trouve notamment Luca Toni, Fabio Grosso, Simone Barone, Andrea Barzagli et Cristian Zaccardo, qui seront tous champions du monde avec l’Italie quelques mois plus tard. Zamparini s’entoure alors de deux directeurs sportifs virtuoses en la présence de Rino Foschi, de 2002 à 2008, puis de Walter Sabatini, jusqu’à la fin de l’année 2010. Son Palerme va ainsi, lors de la décennie qui va suivre, révéler de nombreux joueurs de premier plan, comme Fabrizio Miccoli, Edinson Cavani, Javier Pastore, ou encore Paulo Dybala, pour ne citer que les plus illustres.
Zamparini rêvait de jouer la Ligue des champions, son équipe passera trois fois à deux doigts de concrétiser ce rêve : en 2006 (cinquième à deux points du Chievo), 2007 (cinquième à trois points du Milan) et en 2010 (cinquième à deux points de la Samp).
« La Superligue ? Qu’est-ce que c’est que cette merde encore ? »
Depuis 2018, Zamparini s’était éloigné de la planète football. Il avait quitté la présidence de Palerme en 2017, et revendu officiellement le club fin 2018, après mille rumeurs de revente à de potentiels investisseurs saoudiens qui ne sont finalement jamais arrivés.
Cette prise de distance ne l’empêchait pas de continuer à envoyer quelques coups de savate à ses successeurs, ou à donner son avis – toujours bien tranché – sur le football (« Allegri est en train de détruire Dybala », avait-il dit à propos de son ancien poulain). Récemment, il avait notamment réagi au projet de Super League dans la presse italienne : « La Super League ? Qu’est-ce que c’est que cette merde encore ? Encore une invention des riches pour favoriser les riches. Qu’ils la fassent ! Qu’ils aillent bouffer entre eux, on se portera mieux ! » Simple, efficace.
En octobre dernier, Maurizio Zamparini avait également connu un terrible drame. Le plus jeune de ses cinq enfants, Armando, 22 ans, est décédé à Londres des suites d’un malaise cardiaque. Une tragédie dont le Zamp’ ne s’est émotionnellement jamais remis. Fin décembre 2021, il a été opéré d’urgence d’une péritonite infectieuse aiguë à l’hôpital d’Udine. Transféré à Cotignola, en province de Ravenne, il s’est éteint dans la nuit du 1er février, à l’âge de 80 ans. Que les anges qui vont l’accueillir soient prévenus : Zamparini serait bien capable de les virer eux aussi.
Par Éric Maggiori