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À quoi joue l’ESTAC avec Savinho ?
Être recruté par un club, mais ne jamais voir la couleur de sa pelouse, c'est ce qui risque d'arriver à Savinho. Arraché à prix d'or à l'Atlético Mineiro, le jeune Brésilien devrait filer directement en prêt au PSV Eindhoven sans passer par la case troyenne. De quoi interroger sur la politique en place du côté de l'ESTAC et plus globalement sur l'avenir des Aubois au sein du City Football Group.
La Ligue 1 n’a même pas encore repris qu’elle peut déjà se targuer d’être le championnat le plus passionnant à suivre en coulisses. Après Paris qui décide d’appeler Galtier, Lyon qui rapatrie ses anciennes gloires ou Marseille qui voit Sampaoli faire ses valises, voilà désormais que Troyes se met à recruter des pépites brésiliennes. Comme si ce championnat n’était pas déjà assez fou.
?? Savinho rejoint l’ESTAC et est prêté au PSV Eindhoven pour l’exercice 22-23. Le jeune attaquant brésilien (18 ans) pourra s’aguerrir la saison prochaine aux Pays-Pas afin de poursuivre sa progression ? https://t.co/uFJ5vCqc43#TeamESTAC? @Atlético pic.twitter.com/VEJqL2fS5i
— ESTAC Troyes (@estac_officiel) July 8, 2022
Tout juste majeur, mais sans le moindre poil au menton, Savinho s’apprête donc à débarquer pour faire des ravages dans les défenses du championnat de France. Enfin, pas tout à fait, puisque avant de découvrir le Stade de l’Aube – le fera-t-il réellement un jour ? -, l’ex-joueur de l’Atlético Mineiro ira passer son année en Erasmus du côté du PSV Eindhoven. Alors oui, sa signature fera sans doute moins le buzz sur les réseaux sociaux que l’annonce, plus ou moins douteuse, de la prolongation de contrat d’Adil Rami, il n’en reste pas moins que cette arrivée soulève pas mal de questions.
Cheval de Troyes
La première vient d’ailleurs assez directement : pourquoi est-ce qu’un club comme l’ESTAC irait claquer le plus gros chèque de son histoire sur un gamin brésilien afin de l’envoyer directement en prêt dans un club, sans faire injure aux Troyens, qui lui est supérieur ? « Troyes n’a aucun intérêt dans cette affaire, balance Luc Arrondel, économiste du football. Simplement maintenant que l’ESTAC fait partie du City Football Group, le club va rentrer dans une stratégie beaucoup plus globale et internationale. » Concrètement, l’équipe auboise risque en effet de subir les décisions de la galaxie qui est la sienne depuis bientôt deux ans. « Il y a une sorte de filière de formation. D’un point de vue industriel, on parlerait d’intégration verticale », poursuit ensuite le spécialiste des chiffres. Un processus qui consiste, pour une entreprise, à intégrer ce que faisaient les autres maillons de la chaîne de production dont elle faisait partie, fournisseurs ou clients donc. Ce concept permet à l’entreprise d’avoir un plus grand contrôle sur la valeur de celle qu’elle produit, ou du service qu’elle offre. Dans cette histoire, Troyes prend la place du fournisseur ou du client, les joueurs celles des produits, pendant que Manchester City, via le City Football Group, hériterait du beau rôle. Ainsi, les Citizens pourraient, par le biais de l’ESTAC, récupérer un nombre conséquent de pépites avant qu’elles ne prennent trop de valeur. Et les Skyblues ne s’arrêtent pas là. « Manchester City ne se bloque pas au niveau du recrutement(et des places d’extra-communautaires, parfois si chères, NDLR), ajoute Luc Arrondel. Ils le font par l’intermédiaire de Troyes et permettent à ce joueur d’essayer de se valoriser sur le marché néerlandais où il pourra, contrairement à l’ESTAC, jouer une Coupe d’Europe. » Et tout ça pourrait bien permettre au City Football Group, et pourquoi pas au club de Pep Guardiola, de se remplir les poches.
Galaxie football
« Il est possible qu’il y ait un jeu d’écriture comptable, Manchester City ayant toujours du mal à rentrer dans les clous du fair-play financier, même si celui-ci sera plus souple dans les années à venir, avance l’économiste. Avec le PSG, il s’agit des deux clubs les plus attaqués là-dessus parce que leurs revenus commerciaux ne sont pas toujours déconnectés de leurs propriétaires. » Cette méthode pourrait donc bien être un moyen, qui demeure légal pour le moment, de faire rentrer du cash dans la machine City Football Group. Une galaxie détenue à plus de 77% par Newton Investment and Development LLC. Si le nom de cette société n’est pas particulièrement connue, celui de son propriétaire devrait raviver certaines mémoires puisqu’il s’agit du Sheikh Mansour bin Zayed Al Nahyan, l’ancien propriétaire de Manchester City. Difficile alors d’imaginer son ancienne écurie ne pas vouloir profiter de cette internationalisation du groupe sans en tirer profit. « La partie émergée de l’iceberg, c’est vraiment la multipropriété, on voit bien les différents propriétaires qui possèdent plusieurs clubs, achève Luc Arrondel. Ce qui est encore plus intéressant, c’est de voir qu’avec l’arrivée des fonds d’investissement, les imbrications qu’il peut y avoir entre les différents fonds et à travers les structures de propriété des différents clubs se multiplient. On s’aperçoit désormais que, comme les entreprises, tout ça est de plus en plus imbriqué. » Ainsi, l’ESTAC se retrouve dans la position de la jeune startup ambitieuse et dynamique qui se voit dicter sa conduite par le grand groupe qui vient de la racheter. Reste désormais à savoir ce que le conseil d’administration souhaite réellement en faire : un club de football ou un vulgaire pied-à-terre en Europe.
Par Florian Porta