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« À la fin des matches, je sens les coups que j’ai pris »

Propos recueillis par Romain Duchâteau
11 minutes
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Si la plupart des championnats européens n’ont pas encore repris leurs droits, la Pologne a déjà débuté sa saison 2016-2017. Une habitude que connaît bien Nabil Aankour, joueur franco-marocain évoluant au club de Korona Kielce depuis 2014. Formé à Bastia, le jeune attaquant savoure ses premiers pas en tant que professionnel au pays de Lewandowski et Krychowiak.

Tu es né à Temsamane, au Maroc, mais ta carrière prend sa source au Sporting Club de Bastia. Comment t’es-tu retrouvé là-bas ?Vers l’âge de quatre ans, je suis venu en France. Ma famille a toujours vécu en Corse et mon grand frère joue dans un club amateur, l’Étoile filante bastiaise. C’était en quelque sorte mon modèle, donc je me suis aussi inscrit au club. J’y ai joué environ sept années et c’est à quatorze ans et demi que j’ai rejoint le Sporting. Il me voulait déjà plus jeune et avait contacté assez souvent mon père. Mais comme dans mon club amateur il y avait une ambiance familiale, j’étais resté et on avait réussi à monter jusqu’en quatorze ans nationaux avec notre équipe. Ce n’est qu’après que je suis parti.

Quels souvenirs gardes-tu de tes trois années de formation en Corse ?Franchement, je n’en garde que de bons souvenirs. C’est à ce moment qu’on découvre en fait, qu’on voit les joueurs qui évoluent au-dessus de nous. Et en les voyant, on se dit qu’on aimerait bien être là-haut nous aussi… À partir de quinze ans, j’ai commencé à me dire qu’il fallait que je bosse pour arriver à ce niveau. Plus les années passent et plus tu te dis que c’est proche. J’ai beaucoup appris grâce à de nombreux coachs, ça m’a permis de gagner plus d’expérience. Puis en Corse, que ce soit à Bastia ou à Ajaccio, c’est petit. Et ceux qui jouent au foot, on se connaît quasiment tous. On joue et franchit les étapes ensemble. Personne ne te dira qu’il regrette ces années de formation…

Cependant, tu n’es jamais parvenu à intégrer l’équipe première. Ça reste un regret pour toi de ne pas avoir atteint cet objectif ?Bien sûr. C’était comme une petite défaite pour moi, si on veut… Ça m’a permis de grandir, de forger davantage mon mental, mon caractère, de me dire que ce n’était pas fini. Les coachs de l’époque ont fait leur choix. Mon contrat de stagiaire arrivait à son terme et comme j’ai vu que je n’avais pas de chance d’intégrer le groupe professionnel ni de disputer un seul match, je m’y attendais. Je savais qu’ils n’allaient pas me prolonger et me faire signer. Je ne suis pas du genre à me dire : « Si j’avais fait ça de telle façon, etc. » Non, ce qui est arrivé est arrivé. Si c’était à refaire, je referais exactement la même chose. Je n’ai aucun regret. Ce sont des épreuves qu’il faut prendre comme telles. Je suis assez posé. Depuis, je me fixe des petits objectifs, progressivement. Je prends les choses étape par étape.

Ce qui m’a aidé, c’est que le coach parlait français. Ça a facilité les choses. Puis il y avait aussi Olivier Kapo et Boliguibia Moussa Ouattara, un Ivoirien, avec lesquels je parlais français.

Et c’est pourquoi tu as fait le choix de rejoindre le club polonais de Korona Kielce, en juillet 2014…J’ai eu quelques contacts en France, mais j’ai fait le choix de rejoindre la Pologne en raison du discours tenu par l’un de mes agents d’origine polonaise. Elle connaît très bien le football polonais et m’a tout très bien expliqué, je savais à quoi m’attendre. Le projet qu’on m’a vendu m’a plu. Ça m’a tout de suite intéressé. L’Ekstraklasa, la première division ici, me permettait d’avoir une bonne visibilité. Et le championnat est plutôt pas mal, c’est de bonne qualité.

Cela ne t’a pas effrayé de partir à l’aventure à seulement vingt et un ans ?Pour être honnête, non. Depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours été dans les écoles sportives. En 6e-5e, je suis resté à Bastia pour le sport-études. Mais pour la 4e et la 3e, il fallait aller à Ajaccio. Je ne redescendais que le week-end pour voir mes parents. Cela m’avait déjà un peu préparé d’une certaine manière. On a toujours cette appréhension de savoir comment ça va être, comment les gens vont t’accueillir, etc. Mais de là à avoir peur, non. Juste de l’appréhension. Je ne connaissais pas encore le monde professionnel, c’était tout nouveau.

Justement, quand tu signé ton premier contrat pro, on imagine que tu as dû être fier…Ah oui ! C’était la première marche pour moi. C’est là que tout a commencé. Dans ma tête, je ne l’ai pas pris comme : « C’est bon, j’ai réussi. » Au contraire, pour moi, ce n’était que le début. Je devais encore plus bosser. Le premier contrat, ce n’est pas le plus important. C’est ce qui suit derrière.

De quelle manière s’est déroulée ton acclimatation à l’Ekstraklasa, le championnat polonais ?Je me souviens avoir reçu de bonnes critiques au début de ma première saison. J’avais fait une bonne première partie de saison. En fin de saison, j’ai reçu quelques mauvaises critiques, car je n’ai pas énormément joué. Après, on m’a bien accueilli. Je n’ai pas eu de souci au club ou même en dehors. Ce qui m’a aidé, c’est que le coach parlait français. Ça a facilité les choses. Puis il y avait aussi Olivier Kapo et Boliguibia Moussa Ouattara, un Ivoirien, avec lesquels je parlais français. Ça m’a permis de m’intégrer auprès de tout le monde.

En Pologne, les stades ont été rénovés, d’autres ont même été totalement reconstruits à l’époque de l’Euro 2012. Ils sont vraiment tops. Celui du Legia est toujours bondé, blanc et noir.

Le championnat polonais reste largement méconnu dans l’Hexagone. Tu es l’un des deux seuls Français à y évoluer et tu entames ta troisième saison, quel regard portes-tu sur son niveau ?Je trouve que c’est pas mal. Il y a quatre-cinq équipes qui dominent vraiment le championnat : le Legia Varsovie, le Lech Poznań, le Lechia Gdańsk. Quand tu vas jouer contre elles, tu sais que ce sont de bonnes équipes et que ça va être de gros matchs. Elles jouent bien au ballon et tu sais que ça va être difficile de l’avoir. Ensuite, il y a les autres équipes. Mais parce que le championnat n’est pas connu, on pourrait croire que c’est faible. Je situerais le championnat polonais entre la deuxième partie de Ligue 1 et la première partie de la Ligue 2. C’est assez physique quand même.

Avec ton profil de joueur (1m72) et ton poste sur le terrain (soutien d’attaquant), tu arrives quand même à t’épanouir malgré le défi physique auquel tu fais face ?Non, ça va (rires). En fait, je suis petit mais trapu. Je ne suis pas fin. Après, je prends des coups. Beaucoup de coups, même. À la fin des matchs, je sens les coups que j’ai pris. Mais ça ne me dérange pas. J’ai baigné dans la mentalité corse, donc aucun problème (rires). Ça dépend aussi des équipes, car elles ne jouent pas toutes sur le physique. C’est un championnat ouvert avec beaucoup d’étrangers. Il y a des Espagnols, des Brésiliens également dont Guilherme qui évolue au Legia et qui est très bon.

Quel genre de club est Korona Kielce ? Cela ne doit pas forcément être évident d’exister dans l’ombre du Legia Varsovie, Lech Poznań ou Wisła Cracovie, qui ont un palmarès fourni…Il y règne une ambiance presque familiale. Ce n’est pas aussi familial que dans un club amateur parce que c’est un club professionnel, c’est normal. Mais tout le monde s’entend bien, que ce soit les joueurs, le staff, les gens qui bossent au marketing. Côté sportif, cette année, on a perdu beaucoup de joueurs. Et de ce que j’ai pu voir depuis que je suis là, c’est qu’il y a énormément de nouveaux qui intègrent le groupe. Malgré ça, on s’en sort plutôt pas mal. C’est un point positif, car, quand tu perds la moitié de tes joueurs, ça peut être compliqué. Mais, ici, ils ont cette mentalité de se donner à fond sur le terrain. Ils ne lâchent rien, ils vont au charbon.

Quid de l’ambiance dans les stades ? C’est plutôt animé ou feutré ?À domicile, quand on peut compter sur nos supporters, c’est incroyable. Je m’en rends compte quand il y a des arrêts dans le match, comme lorsque le ballon sort en touche. C’est là que je prends conscience de l’ambiance qu’il y a autour. Au pays, les stades ont été rénovés, d’autres ont même été totalement reconstruits à l’époque de l’Euro 2012. Ils sont vraiment tops. Celui du Legia est toujours bondé, blanc et noir. C’est incroyable. Même dans des petits clubs, comme les promus, il y a du bruit alors que les stades ne sont pas très grands.

Même si on était en stage et souvent à l’hôtel, on a pu ressentir un énorme engouement autour de l’équipe nationale polonaise à l’Euro 2016. C’était assez incroyable, très fort. J’avoue avoir été surpris.

L’adaptation à la vie polonaise et ses coutumes ainsi que l’apprentissage de la langue n’ont pas été trop compliqués à appréhender pour toi ?Je ne vais pas mentir, la langue, c’est dur… Vraiment dur. Quand on me parle, je comprends. Mais quand s’agit de parler moi-même, c’est plus compliqué. J’arrive à dire quelques trucs quand même, pas de belles phrases complètes (rires). Ce n’est pas bien de le dire, mais je connais par exemple ce que signifie « kurwa » , qui veut dire « putain » . Ils le disent souvent ici (rires). Heureusement, les gens parlent aussi anglais, donc c’est plus simple. Sur le terrain, tout ce dont j’ai besoin de savoir en ce qui concerne les consignes et les tactiques du coach, je comprends. C’est l’essentiel, tout comme le fait que j’arrive à communiquer avec les gars sur le terrain.

D’ailleurs, Kielce, ça ressemble à quoi comme ville ?Je pensais que c’était une petite ville, mais il y a quand même 200 000 habitants. Je suis quelqu’un de tranquille, qui ne sort pas beaucoup. C’est le foot, la maison, et de temps en temps un resto avec les potes. Et cette ville correspond à mon style de vie. Ça me permet de me concentrer sur mon objectif. Au bout de deux ans, je me suis rendu compte qu’il y avait pas mal de choses à faire. Puis il y a Cracovie juste à côté, c’est pas mal. Avec ce qu’a subi la Pologne durant les deux grandes guerres, on pourrait penser que le pays est encore marqué. Mais pas du tout, tout est nickel. Je me sens bien là-bas.

Cet été, les coéquipiers de Robert Lewandowski ont signé une performance historique en se hissant jusqu’en quart de finale de l’Euro, leur meilleur parcours dans la compétition. Comment le peuple polonais a-t-il vécu cela au pays ?On a senti un énorme engouement autour de l’équipe nationale. Chaque voiture qu’on a vue avait un drapeau du pays dessus. Même si on était en stage et souvent à l’hôtel, on a pu le ressentir. C’était assez incroyable, très fort. J’avoue avoir été surpris par cet engouement, je ne pensais pas que ça allait être autant.

En mars dernier, tu as obtenu la nationalité française. C’est une démarche personnelle que tu tenais absolument à faire ?Cela faisait un moment que je voulais la nationalité française, j’avais engagé les démarches depuis quelque temps. Mon grand frère l’avait fait avant moi. Je suis né au Maroc, mais la plus grande partie de ma vie, je l’ai faite en France. Je me sens autant Marocain que Français. Tous mes amis se trouvent en France, c’était une décision logique pour moi. En même temps, cela a permis au club d’être plus libre en ce qui concerne les joueurs car, avant, je n’étais pas considéré comme un joueur de l’Union européenne. En aucun cas ce n’est le club qui m’a demandé de faire ça. Désormais, je suis franco-marocain, c’est une fierté !

À bientôt vingt-trois ans, tes plus belles années sont encore à venir. As-tu déjà une idée sur la suite à donner à ta carrière ?Comme tous les joueurs, j’ai l’ambition d’évoluer dans un bon club. Mais comme je t’ai dit, je me fixe des petits objectifs. Je n’essaye pas de voir trop loin, de ne pas brûler les étapes. Je veux faire une bonne saison et après je verrai. Je procède ainsi chaque année. Après, bien sûr, je rêve d’évoluer dans l’un des grands championnats européens. Cela me permettrait d’être tranquille, d’avoir une stabilité. Ce serait l’objectif final on va dire. C’est dans un coin de ma tête…

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