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À Doha, les supporters prennent possession des lieux

Par Maxime Brigand et Andrea Chazy, à Doha
7 minutes
À Doha, les supporters prennent possession des lieux

Les rues de Doha se remplissent heure après heure de supporters de tout horizon, offrant un joyeux melting pot de fans authentiques ou non, d'influenceurs et de joyeux fadas.

Le problème, avec le Qatar, c’est les gouttes. Celles de sueur, d’abord, que les pics de chaleur font dégouliner des crânes luisants dès les premiers rayons de la journée. Arrivé dans la matinée de samedi à Doha, Darío, un Équatorien croisé avec un sac blindé sur le dos, souffle : « Je suis parti de Quito sous la pluie et je me retrouve sous une chaleur de barbecue ici. Je pense qu’il va me falloir quelques jours pour m’habituer, mais maintenant que je suis arrivé sans problème, l’important, c’est le match d’ouverture de demain face au Qatar. » Vendredi soir, Arnov, déboulé de Birmingham avec trois potes, se fichait pas mal de la chaleur. Sa quête était tournée vers d’autres gouttes. « On a vu tout à l’heure que l’alcool ne sera finalement pas autorisé à côté des stades. C’est assez frustrant », glisse-t-il après être grimpé sur la bosse d’un dromadaire à l’entrée du Souq Waqif, le marché et lieu de la ville où tous les touristes du monde rebondissent depuis quelques jours. Pour le reste, le jeune Anglais, maillot de Jude Bellingham sur le dos, a pour le moment réussi son début de Mondial avec des cheveux taillés façon Ronaldo 2002 et des billets pour plusieurs rencontres dans les poches. Autour de lui, Doha s’éveille enfin après des premières heures assez calmes. Les supporters tunisiens, d’abord assez seuls à mettre le boxon, ont été rejoints vendredi par les Marocains, les Camerounais, les Sénégalais et les différents fans sud-américains. En réponse, les forces de sécurité locales ont bouclé 99% des entrées du Souq et ont constitué un circuit fermé façon Ikea où de drôles de scènes se mélangent.

Pour nous tous, ça a été une opportunité financière, un moyen de faire vivre nos familles, et oui, pendant le Mondial, on sera derrière le Qatar.

Il est ainsi possible de croiser un Mexicain éméché – oui, il existe quand même des sources d’alcool à Doha – assis sur un banc entre deux hommes, thobesur le corps et ghutrasur la tête, un autre local qui tente de faire dire à une journaliste brésilienne en plein direct que « jusqu’ici, tout est parfait » ou encore une file de Qataris attendant de pouvoir prendre des photos avec les supporters camerounais. Plus tôt dans la journée, alors que le métro a vu naître ses premiers gros embouteillages, une autre photo a attiré l’attention : celle d’une soixantaine de Sri Lankais venus porter une longue banderole pour apporter leur soutien au Qatar et agiter des drapeaux du pays hôte non loin de l’objectif d’un photographe de la fédération de foot qatarie. Certains d’entre eux portent des maillots du Sri Lanka, d’autres des T-shirts au message clair : « Sri Lankans – We support Qatar. » « C’est le début des vacances pour certains, les écoles ont fermé jeudi soir, et cette journée est l’occasion pour nous de montrer notre gratitude pour notre second pays, le Qatar, détaille Samarasiri, qui assiste au moment avec l’un de ses amis, Sanjeewa. Nous, on est ici depuis 25 ans, d’autres sont arrivés un peu plus récemment et on est contents de pouvoir vivre cette Coupe du monde. Elle est un peu à nous aussi, car on a tous, à notre échelle, travaillé pour et grâce à elle. » L’échange se prolonge, les deux hommes concèdent que « ce n’est pas toujours simple, que les horaires sont souvent durs » et disent : « Pour nous tous, ça a été une opportunité financière, un moyen de faire vivre nos familles, et oui, pendant le Mondial, on sera derrière le Qatar. »

Faux fans, vraiment ?

Vient ensuite la question des fameux « faux fans » payés par le Qatar, un pays composé à près de 90% d’étrangers, durant ce Mondial. Depuis la publication début novembre de courtes vidéos sur les réseaux sociaux relayant la marche de supporters encadrés par les autorités locales, la méfiance est de mise et il y a parfois de quoi. Dans les allées du Souq Wafiq, les maillots de l’Argentine sont légion et souvent portés par de jeunes hommes originaires d’Asie du Sud-Est. Interrogé, l’un d’entre eux, un Indien, confie « être là pour unifier les supporters argentins du monde entier », mais lorsqu’il lui est demandé quel est son joueur préféré ou bien comment a débuté sa relation avec l’Albiceleste, il se mure dans le silence et jette des regards inquiets. Dans le métro de Doha, au sein d’un groupe d’indiens vivants au Qatar, un homme avec un maillot de Neymar reconnaît dans un rire gêné ne pas vraiment être un aficionado de la Seleção. Il va rapidement être rappelé à l’ordre par son voisin de gauche, habillé d’un maillot de l’Allemagne, pas vraiment heureux du discours tenu.

J’ai entendu que certains avaient été payés, mais en discutant avec eux, mais aussi avec des journalistes anglais, on a aussi l’impression que pour la plupart, ce sont surtout des fans normaux qui se rendent pour la première fois à un Mondial.

Tout ça ne veut pas dire pour autant que tous les supporters croisés avec des maillots de l’Argentine, du Brésil, de l’Allemagne ou de l’équipe de France sont des purs produits du musée Grévin. Au Qatar, la communauté indienne est la plus représentée – 25% de la population locale – devant les Bangladais et les Népalais, et beaucoup, majoritairement issus de la région de Kerala, au sud de l’Inde, ne cachent pas leur amour pour le foot. Face à la quasi-certitude de ne jamais voir leur sélection disputer un jour la Coupe du monde, certains ont simplement trouvé une sélection de substitution, à l’image des membres du French Football Fans Club India qui ont accueilli les Bleus à leur arrivée à Doha. Arnov, le fan anglais vu au souq Waqif, a son avis sur la question : « J’ai entendu que certains avaient été payés, mais en discutant avec eux, mais aussi avec des journalistes anglais, on a aussi l’impression que pour la plupart, ce sont surtout des fans normaux qui se rendent pour la première fois à un Mondial. » Au Telegraph, Gireesh Edavana, un ingénieur indien de 42 ans vivant à Doha, a même confié être « choqué » quand lui et son groupe de 500 supporters des Three Lions ont été catégorisés comme fake : « Beaucoup d’entre nous sont devenus fans de l’équipe d’Angleterre via David Beckham. C’est lui qui nous a rendus fans lorsqu’il jouait. » Coïncidence ou pas, le Spice Boy est aujourd’hui l’un des ambassadeurs culturels du Qatar pour le Mondial après qu’il a accepté un mirobolant chèque de plusieurs dizaines de millions d’euros l’an dernier. Pas forcément l’exemple idoine pour dissiper tous les doutes, donc.

Chers leaders

Rencontrée en compagnie de son compagnon français dans le souq, Elisabete Reis a, elle, été l’une des 400 fan leaders sélectionnés dans 60 pays différents pour venir promouvoir la compétition. Elle a la quarantaine, est portugaise, vit au Qatar depuis 15 ans et travaille comme coach personnel et ambassadrice d’une marque de bijoux. Pour obtenir cette casquette inédite, elle a été démarchée par le Comité d’organisation du Mondial 2022, mais elle assure ne pas avoir touché le moindre riyal pour supporter Cristiano Ronaldo et ses potes. « Ces articles… C’est du journalisme de bas étage. » Pourtant, comme l’a révélé le Guardian, qui a pris connaissance d’un message envoyé par le Comité d’organisation, Elisabete aurait bien dû toucher un pécule pour faire la promo de la Coupe du monde sur ses réseaux sociaux. Problème, en raison des nombreux papiers écrits sur le sujet, le défraiement pour que ces fan leaders, attendus en masse pour le match d’ouverture, puissent se nourrir sur place a finalement été supprimé au dernier moment. Pas de quoi perturber, pour le moment, le bal des arrivées qui se poursuit, dans un Doha qui cherche toujours à lisser au maximum son image dans un décor de Disneyland qui prend doucement vie.

Les notes de Koh-Lanta : la tribu maudite

Par Maxime Brigand et Andrea Chazy, à Doha

Tous propos recueillis par MB, AC et MR, sauf mention. // Photos : MB et AC.

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