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- Real-PSG (3-1)
Xavi : « À Madrid, le PSG a joué comme le Barça »
Des analyses, des débriefs, des spécialistes, de la mauvaise foi, des conneries. Depuis que le Real l’a emporté face au PSG (3-1), on a entendu tout et n’importe quoi. D’où l’intérêt de demander l’analyse du clairvoyant Xavi, qui, entre deux matchs avec son club d’Al-Sadd, a quand même pris le temps de savourer à sa juste valeur la plus grosse affiche de la Ligue des champions. Interview avec celui que Maradona himself surnomme « le professeur du football ».
Quelle est ton analyse de ce Real-PSG ? Le Real a un truc. Pendant un moment, les Parisiens ont flirté avec le 1-2. Le Real était alors à deux doigts de plier, puis il est revenu dans le match d’on ne sait où pour reprendre l’avantage… Contre eux, tu ne peux jamais laisser passer ta chance, sinon ils te sanctionnent direct. Le pire, c’est qu’ils arrivent à faire mal à leur adversaire avec un rien. Une contre-attaque, un corner leur suffit pour reprendre les choses en mains. C’est tellement incroyable que quand le match se termine et que tu regardes le score, tu te dis : « Putain, 3-1 quand même… Mais comment ils ont fait ? » T’en viens presque à penser que c’est une injustice que le PSG ait perdu sur un score aussi large… Comment est-ce possible que le Real gagne ce match 3-1, alors que c’est une rencontre qui aurait dû se finir à 1-1, 2-2, voire à 1-2 pour le PSG ?
Tu as la réponse ?C’est inexplicable, le Real ne joue pas, il gagne. Encore une fois, le PSG aurait dû tuer le match quand il en avait l’opportunité. J’ai regardé la rencontre sur la télévision espagnole avec Valdano aux commentaires. Il a dit un truc très vrai : dans ce match, il y a eu plusieurs phases, très différentes les unes des autres. Ce n’est pas une rencontre que tu peux analyser d’un bloc. En seconde mi-temps, il y a notamment eu ce moment où le PSG a clairement pris l’ascendant.
Pendant ces minutes de siège dans la surface madrilène, tu sentais le Real prêt à craquer sous la pression parisienne. C’est à ce moment précis que Paris doit mettre le deuxième. Ils ne l’ont pas fait et résultat, ils s’en sont mangé deux derrière. Ce que le PSG a vécu, je l’ai vécu moi aussi avec le Barça. Tu te dis : « Putain, on est en train de mieux jouer qu’eux. » Tu tapes sur le poteau, et là tu penses : « Aïe, aïe, aïe, pourquoi elle n’est pas rentrée celle-ci… » Là, t’as à peine le temps de te lamenter que le Real t’a déjà marqué un but en contre-attaque. Avec eux, il n’y a pas de « aïe, aïe, aïe » ou de « ouille, ouille, ouille » . Ils ne font pas de chichi. Si tu ne les enfonces pas, ce sont eux qui t’enfoncent. Ça fait trente ans que le Real Madrid aborde ses matchs comme s’il s’agissait de bras de fer. Ils vivent chaque rencontre comme un duel. Ils te regardent droit dans les yeux et ils te défient. Tu veux attaquer ? Vas-y, nous aussi on va le faire. Mais si vous ne marquez pas, nous, on la mettra dedans.
Est-ce qu’inconsciemment, les joueurs du PSG, qui font une fixette sur la Ligue des champions, n’ont pas accusé un déficit de pedigree face au double tenant du titre ?Le prestige pèse très lourd dans des matchs comme ça, évidemment. Après, le PSG a des joueurs compétitifs. Verratti est très compétitif, Alves joue très bien, Neymar pareil. Tout ce qui a manqué à Paris contre le Real, c’est un deuxième but. S’ils étaient parvenus à le mettre, ça aurait été déterminant, ils auraient pratiquement scellé leur qualification. Il ne faut pas donner d’espoir au Real. Si tu lui en donnes un peu, c’est compliqué. Le PSG a pardonné et ça lui a coûté très cher. C’est comme s’ils avaient ressuscité des morts.
Le PSG a marqué en premier, puis en a encaissé trois derrière. Sans ce spectre de la remuntada de l’année dernière, le scénario du match aurait été différent ? Je ne pense pas que les Parisiens aient ressassé le 6-1.
J’ai trouvé qu’ils avaient joué avec beaucoup de personnalité. Est-ce que Paris a mal joué ? Non. Est-ce que le Real a mal joué ? Non plus. La différence entre ces deux équipes, c’est que le Real est capable de gagner en jouant mal ou quand il n’est pas au mieux. Le Barça ne sait pas faire ça par exemple. Lorsqu’il joue mal, il perd et lorsqu’il livre une performance moyenne, ça finit en match nul. Le Barça doit bien jouer pour gagner. Quelque part, il ne peut pas trahir sa philosophie de jeu. Le Real, c’est déjà différent. Est-ce qu’il a été supérieur au PSG ? Pour moi, non. Mais eux, ils s’en fichent complètement d’être supérieurs sur le terrain, de dominer ou d’être dominés. Leur philosophie, c’est la gagne. C’est ce qui les rend aussi difficiles à prendre parce qu’ils peuvent rivaliser de manières différentes. Au Bernabéu, par exemple, le PSG a joué comme le Barça. On sent qu’ils ont voulu y mettre la manière. Lorsque Emery sort Cavani et met Meunier, le PSG contrôle vraiment le jeu. Mais ça ne sert à rien de le faire contre le Real si tu ne matérialises pas tes occasions en but.
On a l’impression que tu n’as aucun mal à te mettre à la place des joueurs parisiens.Je me souviens d’une Liga où nous avions eu jusqu’à douze points d’avance sur eux. Douze ! N’importe quelle équipe aurait lâché l’affaire, mais pas eux. On jouait bien mieux qu’eux et même comme ça, ils sont revenus à quatre longueurs de nous. Quand t’as aussi peu de marge et que tu dois jouer au Bernabéu, tu n’es pas serein, d’autant que si le Real gagnait, il revenait à un point. Finalement, on a gagné 2-6, une démonstration. Lors de ce Clásico, nous avions été infiniment supérieurs à eux, et pourtant, le Real est parvenu à revenir à 2-3. J’ai encore en tête la désagréable impression qui m’avait parcouru le corps à ce moment-là : « Aïe, ils vont revenir… » Ils sont tellement réalistes qu’ils arrivent à transformer la moindre occasion en but. Et là… Ce jour-là, heureusement qu’on a eu la bonne idée d’en mettre un quatrième, puis un cinquième, mais même comme ça, le Real ne s’est jamais avoué vaincu. À 2-4, ils étaient encore dans le match. C’est un club que tu ne peux jamais laisser pour mort.
Qu’est-ce que ça fait de jouer au Bernabéu ?C’est superbe. T’as une décharge d’adrénaline exceptionnelle.
J’adorais ça. Je n’ai jamais eu peur de jouer là-bas, j’y allais toujours avec l’envie de bien faire, l’envie d’être compétitif. Dans le football, de toute façon, il y a deux catégories de joueurs. J’en ai souvent parlé avec Guardiola l’été dernier et il a raison sur toute la ligne. Dans les moments décisifs de la Champions, il faut des joueurs avec de la personnalité. Si tu n’as pas de caractère, tu ne peux pas jouer au plus haut niveau, c’est impossible. Dans les moments de doute, quand il y a 1-1, donne-moi un Dani Alves, donne-moi un Neymar. Les joueurs qui ont des doutes, des appréhensions, j’en veux pas. Quand le match devient dur, il faut sept ou huit joueurs avec du répondant. Au Barça, on avait ça. Piqué ? Un leader. Iniesta ? Leader. Messi ? Leader. Busquets ? Leader. Pedro et Jordi Alba ? Leaders. Finalement, qui gagne la Ligue des champions ? L’équipe qui a le plus de footballeurs qui demandent le ballon dans les moments compliqués. C’est peut-être le problème du PSG ou de City jusqu’à aujourd’hui. Au-delà du prestige, ils n’ont peut-être pas les mêmes références de la gagne que des clubs comme le Bayern ou le Real. Dans ces clubs historiques, la résistance à la pression fait partie intégrante de l’ADN. Ils vivent quotidiennement avec l’obligation de gagner. Le PSG commence à connaître un peu ça, mais c’est un long apprentissage. Ça finira par venir.
C’est un club très critiqué, mais paradoxalement, on a l’impression qu’il n’a besoin de personne pour se mettre une mauvaise pression… Comment tu l’expliques ?Il faut qu’il dépasse tout ça. Tout n’est qu’une question de mentalité.
De l’envie, tout le monde en a. Tous les clubs veulent gagner la Ligue des champions, hein, mais il faut qu’ils puissent transformer la pression qui les inhibe en une force qui les transcende. Je suis bien placé pour le savoir, puisque j’ai vécu la même chose avec la sélection espagnole. Aujourd’hui, l’Argentine a le même problème. Ils veulent bien faire, mais ils jouent avec la peur de décevoir. Cette crispation est palpable sur le terrain. On parle d’une équipe qui a Messi, l’arme ultime, et malgré tout, ça ne marche pas parce que cette génération porte le fardeau de devoir gagner un Mondial que tout le monde en Argentine attend depuis trente ans. Jouer avec cette pression horrible, c’est une saloperie immense. C’est invivable. Le football, c’est une question de confiance. Avec l’Espagne, avant 2008, j’entendais toujours la même histoire : « L’Espagne ne passe jamais les quarts. » , « Cette génération est destinée à rentrer très vite à la maison, c’est sûr… » C’était très dur, mais on a surmonté tout ça.
Tu penses que le PSG peut encore se qualifier ?Le Real a eu un peu de chance à l’aller. Mais cette chance, ils l’ont provoquée, donc je me dis que si le PSG joue son retour avec du caractère, ils peuvent le faire. Remonter deux buts, ce n’est pas insurmontable, et puis il peut se passer beaucoup de choses en 90 minutes. Selon moi, le PSG a la mentalité suffisante pour renverser la vapeur. Alves, Verratti, Di María… Putain, Di María… ça m’a surpris qu’il ne joue pas au moins une minute !
Emery a beaucoup été critiqué à ce sujet…(Il coupe) Quand tu perds 3-1, c’est normal qu’il y ait des critiques. Si Zidane perd sur le même score, avec le même match, il se fait découper lui aussi. Là, on l’encense parce qu’il y a la victoire au bout.
Ça se passe toujours comme ça : dans le football, quand tu gagnes, t’es toujours plus beau. Les lendemains de victoire, tout l’est plus. Même le défenseur central que tu considères généralement comme un désastre, tu le vois sous un nouveau jour : « Madre mia, quel joueur ! » C’est vrai en football, mais aussi dans d’autres domaines. Dans une entreprise qui marche bien, tu vois tes collègues avec les yeux de l’amour, alors que la semaine d’avant, tu étais plutôt du genre à dire : « Mais c’est quoi cette équipe de merde ? » Moi-même, quand je gagne, je me sens plus beau. Je me regarde dans le miroir et je me dis : « Eh bah mince alors, je suis pas mal en fait. » (Rires.) Zidane, après le match, pareil, il est soudainement devenu le plus beau aux yeux de ceux qui n’ont pas arrêté de le critiquer ces dernières semaines. Emery, lui, est devenu le moche de l’après-match. Ça ne devrait pas se passer comme ça. Ne nous concentrons pas uniquement sur le score, analysons plutôt le contenu proposé par les deux équipes. Emery a mal coaché ? Non. Zidane a-t-il fait beaucoup mieux qu’Emery dans son coaching ? Non. Le problème, c’est qu’on résume toujours tout uniquement à travers le score. Par exemple, j’ai lu pas mal d’articles qui disaient que Cristiano était encore au-dessus de Neymar. Non ! NON ! C’est injuste. Qu’est-ce qu’il a fait Ronaldo ? Il a mis un penalty et un but du genou… Mais qu’est-ce qu’on fait des situations dangereuses qu’a crées Neymar ? Des fautes qu’il a provoquées ? Des contre-attaques qu’il a lancées ? De la peur qu’il a semée chez les Madrilènes ?
Propos recueillis par Javier Prieto Santos