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« Un sarcasme, un regard, peut parfois apporter beaucoup »

Propos recueillis par Gino Delmas
12 minutes
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Vahid Halilhodžić reçoit dans un restaurant français de son quartier Roppongi, à Tokyo, où il s’est installé il y a un peu plus d’un an en prenant la tête de la sélection nippone. Entre deux asperges et un canard confit, l’entraîneur revient sur sa formidable aventure algérienne, sur sa manière de construire son groupe japonais, et rappelle même un contrat signé par fax avec l'OL de Jean-Michel Aulas. Apaisé par sa nouvelle vie, mais pas tout à fait assagi, Coach Vahid sert de la bonne punchline et a toujours la pêche.

Vous vous voyez revenir en France ou en Europe ?J’ai régulièrement des propositions, en France notamment, mais, au fond, les gens avec une forte personnalité ne sont pas bien vus. Un jour, j’aimerais bien tenter quelque chose avec un club qui peut aller très loin en Ligue des champions. À Lille, ce n’était pas vraiment le cas, on a joué avec un effectif un peu juste pour ce niveau. J’aimerais bien avoir un groupe taillé pour ça. J’ai fait des choix de carrière difficiles, j’ai été un peu dégoûté par l’Europe, et je me suis éloigné exprès. Mais ça dépend du projet, je ne dis pas non a priori, j’étudie. Tout le monde a de l’ambition, mais on m’appelle surtout quand les clubs sont en difficulté. Je coupe court, « Non merci, ça ira ! » J’ai encore régulièrement des appels. Mon plus grand problème, c’est que partout où je suis passé, j’ai eu des bons résultats, même si on râle après moi. Je fais abstraction, mais ça ne me donne pas envie. Quand j’arrive en Algérie, ils viennent de perdre un match 4-0 contre le Maroc, c’est une honte nationale. 3 ans après, tout le monde a dit qu’on aurait mérité de battre le futur champion du monde 2014. Préparer un match comme ça, tactiquement… Ça, je pourrais écrire un livre là-dessus. Le rôle de chaque joueur était planifié, avec sa mission bien précise.

C’est votre plus grand souvenir ?Il y a pas mal de choses quand même. (il se marre) Le retour à Alger, après la Coupe du monde, c’était fou ! Chaque jour, j’ai 5 à 10 appels de l’Algérie, pour me remercier, me demander pourquoi je suis parti. Ça n’a pas été facile du tout de mettre ce projet en place, mais après, quel bonheur ! L’intérêt autour de l’Algérie était incroyable, mais il fallait gagner. Mais même après la défaite contre l’Allemagne, les gens étaient contents, la manière leur a plu. Ça n’arrive pas comme ça. C’est le fruit de trois ans de boulot pour arriver à ce match. Mais sur ce seul match, je suis intarissable. L’aspect psychologique, mental… C’est une équipe avec laquelle j’aurais pu battre n’importe qui. En première mi-temps contre l’Allemagne, on a 4 occasions immanquables. Les Allemands paniquaient, ils ont perdu confiance. On pouvait conserver le ballon, mais on avait aussi les joueurs pour accélérer, et ça, c’était dangereux. On avait tout sur ce match, sauf l’efficacité. Une fois, on a essayé de me le remontrer, mais j’ai dû arrêter au bout de 20 minutes parce que j’étais tellement énervé qu’on puisse rater d’aussi bonnes occasions… On a payé un manque d’expérience, ils se sont précipités, ils étaient presque étonnés de dominer. Quand tu arrives en Coupe du monde devant Manuel Neuer, et que tu t’appelles Slimani, que tu as joué au CR Bélouizdad, un petit club de la campagne algérienne, forcément, tu manques d’expérience. Mais je l’ai déjà dit et je le redis : on a failli jouer avec l’Algérie une finale de la Coupe du monde, parce que si on battait l’Allemagne, on allait en finale, je le sais, j’en suis persuadé. Parce que j’y ai bien réfléchi, ça s’est joué sur deux choses. J’ai vu les joueurs d’Allemagne paniquer. L’équipe qui a battu le Brésil 7-1 a paniqué contre l’Algérie, je le dis franchement. Ça, c’est la Coupe du monde, ce petit tournoi peut prendre une tournure inattendue.

Au Japon, c’est possible de dénicher des joueurs inconnus comme Slimani l’était ?C’est un gros problème ici. On ne fait pas trop confiance aux jeunes. Les trois meilleurs joueurs au Japon sont encore des garçons qui ont 37/38 ans. Si le joueur est une star de l’équipe et veut jouer jusqu’à 50 ans, il va jouer, il est intouchable, ils sont très respectueux. Quand tu deviens sélectionneur d’un pays, il faut connaître ça, il faut entrer dans la psychologie de ce pays, et après tu te fais ton opinion. Même si tu n’es pas forcément d’accord, tu ne peux pas la changer.

Dans la relation avec les joueurs, je suis toujours dans l’affectif, je fais très attention. Jamais je n’insulte, ou je ne rabaisse. Jamais.

Comment vous avez construit votre « groupe » au Japon ? Déjà, certains joueurs sont intouchables parce qu’ils sont les meilleurs. Pour eux, c’est plutôt facile. Là, il y a 10/11 joueurs qui jouent à l’étranger, et 11/12 qui jouent au Japon. Au début, tu cherches les meilleurs et après, tu cherches de quoi tu as besoin. Sur le plan défensif, au bout de quelques séances, j’identifie les forces et les problèmes. Par exemple, au Japon, ils restent souvent loin de l’adversaire, et laissent le joueur se retourner. Aussi, quand ils quittent leur zone pour venir défendre sur un joueur, systématiquement ils font faute, de peur que leur zone soit découverte. Donc là, ça passe par de la vidéo, pour qu’ils comprennent le problème. Quelqu’un qui quitte sa zone, il faut une couverture derrière, une permutation horizontale ou verticale. Ils ont été sceptiques au départ, puis ils ont compris, mais ça ne se fait pas comme ça.

Comment vous organisez le leadership de l’équipe ?Une fois que j’ai identifié des « leaders » , je leur mets un peu la pression, pour pousser le destin, individuel et collectif. Si tu laisses faire, ça ne marche pas, mais ce n’est pas fait sauvagement. Dans la relation avec les joueurs, je suis toujours dans l’affectif, je fais très attention. Jamais je n’insulte, ou je ne rabaisse. Jamais.

Comment vous les piquez alors ?De temps en temps, par le sarcasme, un regard. Ça donne beaucoup de choses. Il y beaucoup de façons pour exprimer son mécontentement, mais il ne faut pas que le joueur se braque. C’est facile de critiquer, mais il faut que le joueur comprenne ce qu’il a mal fait, sinon c’est contre-productif. Il faut encourager. Ici, par exemple, ils ne sont pas habitués à quelqu’un qui est derrière eux, tout le temps au taquet comme ça. Sur chaque ballon, j’ai quelque chose à redire. « Ah non, tu es à 2 mètres et j’ai demandé 50 cm » , « tu étais bien placé, mais pas assez près » . Les détails quoi. Il y a un million de choses pour préparer un stage. Tu prépares tout à l’avance, chaque mot, chaque détail, dans le jeu, dans le travail, et l’expérience te donne ça. Et après, il faut être précis pendant le travail.

Dans une sélection, il vous est arrivé de ne pas prendre un joueur alors qu’il avait sa place, pour le bien du groupe ?Tu ne prends pas toujours le meilleur joueur. En France, on ne prend pas le joueur qui peut exploser le groupe. Aimé Jacquet, Didier Deschamps ont diplomatiquement écarté des joueurs. Moi, je n’ai pas ce problème ici. Et dans ma carrière, c’est arrivé, mais rarement. En Côte d’Ivoire, j’avais quelques joueurs titulaires depuis leur première sélection à 17 ans, et qui l’étaient encore à 36 ans. L’un d’entre eux me parlait de statut. Moi, je disais : « Ta statue, je l’ai pas vue dans la rue, où elle est, elle est en marbre ? » Il m’a regardé : « Quelle statue ? » Je disais : « C’est ton équipe ? » De temps en temps, il faut savoir dire stop. Quand je vois qu’un joueur peut détruire le groupe, il est averti ou il est écarté immédiatement, c’est toujours le groupe qui prime. Le groupe sera plus fort mentalement sans quelqu’un qui va à l’encontre de son équilibre, et il faut mettre des limites. Bien sûr, il y a une stratégie pédagogique ou sociale, et ça s’exprime différemment en fonction des cas. Parfois, tu demandes plus, et un des joueurs cherche à moins travailler ou à zapper la musculation ou l’étirement… Ça peut marcher, mais pas pour longtemps. Pour moi, la notion de groupe est plus importante, il faut la préserver à n’importe quel prix.

Au Japon, il faut que tu sois super clean. Il se sont débarrassés d’Aguirre avant moi parce qu’ils ont entendu des choses pas carrées. Quand je suis arrivé, ils m’ont dit : « Il faut que tu sois impeccable ! » Ici, c’est une société qui te respecte, mais il ne faut faire aucune bêtise.

C’est aussi pour ça que vous vous méfiez des agents ?En France, il y a des agents tellement puissants qu’ils décident qui va jouer, qui le club va vendre, etc. Parfois, l’entraîneur ne décide pas de tout. Je n’ai jamais eu de manager ou d’agents. Un agent doit gagner de l’argent, donc c’est son boulot de faire pression et tous le font. Je suis un mouton noir un peu par rapport à ça. Parfois, en équipe nationale, l’agent dort avec le joueur.

Un sélectionneur doit savoir résister à ça ?Quand tu es sélectionneur, tu es un peu diplomate, un peu politicien, tu représentes un pays. Et tout le monde est attaché à l’équipe nationale, surtout en football. Quand tu rentres de Coupe du monde, la manière dont les gens nous ont fêtés à Alger, ça n’a pas de prix. Même des millions ne peuvent pas acheter ça. Je suis un peu idéaliste, et la plus grande récompense pour un entraîneur, c’est la ferveur que peuvent te communiquer les gens dans la rue par exemple, comme ici au Japon. En Côte d’Ivoire, c’était pareil. Tu ne peux pas tricher avec les gens, avec les supporters, ils le ressentent, même si parfois ils sont agressifs. Tu peux tricher avec les journalistes, tes dirigeants, mais pas avec les supporters. Quand tu es sélectionneur, c’est une fierté, un honneur, mais une responsabilité énorme. Ici au Japon par exemple, il faut que tu sois clean clean clean. Il se sont débarrassés du Mexicain, Aguirre, avant moi, parce qu’ils ont entendu des choses pas carrées. Ils m’ont dit quand je suis arrivé : « Il faut que tu sois impeccable ! » Il faut de l’honnêteté et de la sincérité jusqu’au bout. Ici, c’est une société qui te respecte, mais il ne faut faire aucune bêtise. En Europe, c’est différent. Il y a la pression des médias, des supporters, des dirigeants et des agents. Combien de fois des mecs m’ont dit : « Aide-moi sur ce transfert et je te donne 10%. » Je n’ai jamais cédé à ce genre de pression.

Il vous inspire quoi, le projet du PSG ?Paris est aujourd’hui un vrai candidat pour gagner la Ligue des champions. Quand j’étais à Paris, on avait un budget de 70 millions. Aujourd’hui, il s’approche des 540 millions, on ne peut même pas comparer par rapport à mon époque.

Est-ce qu’il manque un directeur sportif selon vous ?Quand Leonardo était là, il a causé pas mal de problèmes aussi, parce qu’il se comportait comme un entraîneur. Dans une relation entre entraîneur et directeur sportif, il faut distinguer le rôle de chacun. Beaucoup de conseillers de président devraient entendre ça. Il y a quelques années, j’ai signé un contrat de 3 ans avec Lyon. J’ai signé sur un fax. Le lendemain, Aulas a dit : « Ah finalement, attendez un petit peu » , jusqu’à ce que j’apprenne qu’il avait cassé le contrat. Et ça, c’est le jeu des conseillers, Lacombe dans ce cas précis. Ils veulent tout le pouvoir sans les responsabilités. Quand les résultats calent, ils te dégagent. « Ok mais si je pars, tu pars avec moi, il faut assumer ses choix. » Entraîneur, tu as une responsabilité énorme, il faut tout faire, et si ça ne marche pas, tu auras essayé. Il ne faut pas être guidé par ce que pensent les autres, c’est toi le premier intéressé, plus encore que les joueurs ou le président. Tu fais ce qui est bien pour ton équipe. Si ça ne marche pas, c’est ta faute, tu assumes. Il faut avoir du courage.

Comme quand vous avez été viré de la sélection de la Côte d’Ivoire par fax ?C’était après un match où les joueurs avaient tout fait pour perdre le match. Moi, je ne le savais pas, mais c’est moi qui ai payé. C’est souvent comme ça, l’entraîneur est le coupable idéal.

Maintenant, certains joueurs ont 4 téléphones pour se montrer qu’ils sont très intelligents, c’est comme ça.

Il n’y a pas assez du courage dans le foot ? Les apparences sont trompeuses. Je ne suis pas jaloux et je n’aime pas critiquer, mais j’aimerais bien avoir un budget une fois comme Paris, prendre une grosse équipe pour essayer de tenter quelque chose. Mais pour arriver là, il faut du lobby, des relations.

En parlant de Paris, vous en dites quoi, de la période Ibra ?Il a fait la meilleure saison de sa carrière cette année. C’est exceptionnel à 34 ans, même s’il jouait dans une très belle équipe. Il a changé un peu son jeu, il a laissé plus le ballon pour s’occuper de la finition. Avant, il revenait, il décrochait, et cette dernière saison, avec les joueurs qu’il avait à ses côtés, il était prêt pour la finition et avec sa qualité et sa puissance, il s’est régalé.

Et cette sortie sur le PSG qui serait né avec l’arrivée des Qataris ?C’est de la provoc, pour créer le buzz, il aime bien ça. Je lui dis : « C’est vrai que tu es bon, tu as beaucoup marqué, mais le football existait avant toi, il existera après toi » , il ne faut pas non plus exagérer. Mais c’est aussi son personnage, il aime bien provoquer. Il faut savoir lui répondre, mais un peu plus fort, c’est tout. Mais c’est un super joueur, il a eu des coups de moins bien, il a même été sifflé, ça s’est joué à rien, mais il a compris comment gérer le public parisien. Bien sûr, quand ça marche, ça cache pas mal de petits défauts, mais le PSG a bien géré les crises. Ils ont même avalé quelques couleuvres. Aujourd’hui, l’individualisme et l’égoïsme priment dans ce milieu. Pour avoir la maîtrise du groupe, c’est très difficile. Il faut avoir d’autres options de management, d’autres options sociologiques qu’avant. Maintenant certains joueurs ont 4 téléphones pour se montrer qu’ils sont très intelligents, c’est comme ça. S’il y a une caméra, il y a 40 téléphones, l’iPad tout, pour montrer qu’ils maîtrisent la technique du XXIe siècle à la perfection.

Mais là, au Japon, vous êtes bien.On construit. Je suis satisfait, même s’il manque pour l’instant un peu de qualité naturelle pour être sûr de faire quelque chose.

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