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Un homme, un stade : François Coty

Par Thomas Andreï
6 minutes
Un homme, un stade : François Coty

Souvent, derrière le nom d’un stade se trouve celui d’un homme. Une figure éminente de la ville ou du club. Élu maire d’Ajaccio en 1931, François Coty préférait les parfums au ballon rond. Suffisamment pour être le leader mondial en matière de fragrance pendant l’entre-deux-guerres et engendrer assez de revenus pour financer des partis politiques en vogue dans les années 30.

Né le 3 mai 1874 à Ajaccio, Joseph Marie François Spoturno serait un descendant d’Isabella Buonaparte, tante de Napoleone di Buonaparte. Comme son illustre ancêtre, il décide de franciser son nom, adoptant Coty, inspiré du nom corse de sa mère, Coti. Le changement légal est fait en 1904 sur les conseils du commandant Emmanuel Arène, homme politique d’origine corse, établi à Paris. Rencontré lors de son service militaire, Arène sert de père de substitution à Coty, orphelin dès ses sept ans. Élevé par ses grand-mères, l’Ajaccien quitte la Corse à treize ans pour, comme nombre de ses semblables, chercher meilleure fortune du côté de Marseille. Il y devient marchand de tissu avant de « monter » à la capitale en 1900.

L’empereur des parfums français

Secrétaire particulier d’Arène, Coty gagne sa vie en vendant des accessoires de mode au porte-à-porte. C’est de cette manière qu’il fait rapidement la rencontre de la charmante Yvonne Le Baron, modiste de son état, qu’il épouse quelques mois plus tard. Par sa compagne, il fait la connaissance d’un pharmacien, Raymond Goery, avec qui il joue au piquet, chaque soir, avenue de la Motte Picquet. Un jour, son partenaire doit annuler la partie de carte pour travailler sur des ordonnances. Coty peut lui tenir compagnie, mais ne doit en aucun cas toucher aux médicaments. Aucune objection n’est en revanche formulée à ce que Coty fabrique de l’eau de Cologne, suivant la banale recette maison. Une fois la fragrance obtenue, le nez du jeune Corse n’est guère impressionné. Il propose de faire mieux et Goery, ravalant sa fierté, accepte. Avec les mêmes produits, François Coty concocte un parfum hautement supérieur. Époustouflé, le pharmacien le reconnaît : son ami a un don. Toujours par les connexions de son mentor, Coty fait la connaissance d’Antoine Chiris, industriel et maire de Grasse.

À Paris, il monte un laboratoire dans le petit appartement qu’il partage avec Yvonne. C’est là qu’il confectionne le parfum qui fera sa gloire : la Rose Jacqueminot. Mais le succès tarde. En 1904, Coty se rend aux Grands Magasins du Louvre. Le personnel n’a que faire des produits enrobés de satin de cet inconnu et lui indique la porte, sans lui laisser l’opportunité de faire humer sa création. L’histoire raconte que Coty, agacé, brisa une bouteille de Rose Jacqueminot sur le sol. Puissantes, les effluves caressent les narines de clientes émerveillées, qui accourent auprès des vendeurs. Leur condescendance ravalée, les employés du magasin commandent douze bouteilles pour le lendemain. Puis d’autres, puis d’autres.

Le Duce français

Là commence le succès de François Coty. Dès 1905, il ouvre ses laboratoires de Neuilly, puis donne une dimension nouvelle au commerce du parfum, quittant l’artisanat pour l’industrie. En 1908, les ateliers de Suresnes produisent jusqu’à cent mille flacons par jour. À la sortie de la Grande Guerre, le petit Corse est l’un des hommes les plus riches du monde et en profite. Coty collectionne maîtresses et maisons de prestige : un château à Suresnes, un en Dordogne, des villas sur la Riviera ou dans sa Corse natale. Il acquiert Le Figaroen février 1922, lui enlève sa particule et installe la rédaction sur la plus belle avenue du monde. L’année d’après, il achète un poste de sénateur à Ajaccio, avant que son élection ne soit invalidée.

En politique, François Coty a un maître, un exemple : Benito Mussolini. Il soutient ainsi une flopée de mouvements d’extrême-droite dont le Faisceau, premier véritable parti fasciste français, la milice nationaliste Croix de Feu, tout en versant deux millions de francs à l’Action française. En 1931, il lance sa propre ligue, Solidarité française, dont les membres copient le style fasciste, que ce soit pour les uniformes ou le pas cadencé lors de défilé. C’est à partir de ce moment qu’il aime se faire appeler « Le Duce français » et est pris en photo le bras droit levé… La même année, il est pourtant élu maire d’Ajaccio. Historien de l’ACA, Frédéric Bertocchini doute que le milliardaire ait eu une quelconque passion pour le ballon rond : « Le football est arrivé à Ajaccio en 1910, raconte-t-il. Autant dire qu’à trente-six ans, Coty le découvrait à peine. L’ACA naissante était un club omnisports. Le rugby, la voile ou le tennis prédominaient alors. Les premiers joueurs étaient la plupart du temps initiés au football par des marins anglais, des soldats, qui venaient mouiller dans la rade d’Ajaccio. Il n’y avait pas de stade, les matchs se jouaient sur la place du Diamant et on trouvait des bancs publics et des réverbères sur l’aire de jeu. » On voit en effet mal le mondain Coty aller taper la balle en costume dans les rues de la ville…

Du stade Jean-Lluis au stade François-Coty

Alors, pourquoi le stade de l’ACA porte-t-il son nom ? On ne sait pas tout à fait. En 1965, soit trente et un ans après la mort de Coty, l’ACA intègre le championnat de D2 français et remporte le titre deux saisons plus tard. Une enceinte plus adaptée au nouveau statut du club ouvre en novembre 1968 dans le quartier de Timizzolu. Bertocchini précise : « Ce stade n’avait pas encore de nom. Les Ajacciens disaient à l’époque qu’ils se rendaient au nouveau Jean-Lluis. » En 1971, les dirigeants du club décident de baptiser leur demeure et choisissent celui de l’ancien maire milliardaire né à quelques kilomètres.

L’inauguration se fait le 12 décembre avant un match face à Nîmes, et la fille de Coty est là pour couper un ruban symbolique. Les dirigeants de l’époque étant tous décédés, il est difficile de connaître les circonstances de la prise de décision. Mais Bertocchini tente une explication : « François Coty appartenait à la droite ajaccienne, soutenu par le fameux Comité central bonapartiste. Les dirigeants de l’ACA étaient en majorité du CCB. Cela vient donc probablement de cette proximité politique. » Pour l’historien, les Ajacciens manquaient alors de recul sur les idéaux de leur ancien maire. Prochainement, le nom du parfumeur se détachera à jamais de celui de l’ACA. Une fois les travaux entamés en 1992 terminés, le stade François-Coty deviendra le stade Michel-Moretti, du nom de l’ancien président emblématique décédé. Pour le coup plus proche du nationalisme corse que du fascisme français.

Comment aurait pu s’appeler le stade François-Coty

Le stade Napoléon Bonaparte : le parti bonapartiste encore en activité dans la cité impériale serait ravi. Le stade Tino Rossi : « Ô ACA, club d’amour. » Le stade Alain Orsoni : dans un monde dystopique pas si absurde où l’ancien du FLNC serait maire autocratique. Le Toc de Stade : toc de : expression courante dans la région ajaccienne, équivalent continental : « bête de » , « taille de » . Ex. : « Ochoa a encore fait un toc d’arrêt ô fraTé. » Le stade Jennifer Alizée : célébration du nombre de stars de télé-crochet fournies par la ville.
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Par Thomas Andreï

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