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Toni Brogno : « À Sedan, il y avait plus de supporters dans le stade que d’habitants dans la ville »
Oubliez les exploits et les rushs d'Eden Hazard chez les Lillois, pour les Sedanais, le meilleur Belge qui a joué dans le championnat de France, c'est Toni Brogno. L'homme qui, avec N'Diefi, Mionnet, Sachy et compagnie, a réussi à qualifier Sedan pour la Ligue Europa.
Salut Toni ! Alors qu’est-ce que tu deviens ?Cette année, j’entraînais les jeunes attaquants au Sporting de Charleroi et, l’an prochain, je vais entraîner Fosses-la-Ville, un club dans le Namurois en P1, la sixième division belge.
Le milieu du foot te manquait ?J’étais content de couper les ponts après ma carrière, car c’était très usant, mais en y revenant petit à petit, j’ai vu que je reprenais vite goût au jeu. J’y allais une fois par semaine au départ et je suis vite passé à trois fois par semaine. Je suis retombé dedans.
Tu bosses toujours au Décathlon de Châtelineau, près de Charleroi ?Oui. En fait, après ma carrière, j’ai pris une année sabbatique. Ma fille avait six ans et j’avais envie de lui donner des valeurs. Quand, à l’école, on lui demandait ce que faisaient ses parents et qu’elle devait répondre : « Rien » , moi je trouvais que c’était trop facile et ce n’était pas un bon exemple à lui montrer. Et puis il fallait occuper un peu mes journées. 36 ans, c’est trop jeune pour rester inactif. J’ai eu l’opportunité de rentrer dans ce magasin de sport et ça me convient. J’ai commencé par le rayon cycle, mais je suis vite passé au rayon foot-tennis.
Les gens te reconnaissent ?Il y a pas mal de gens qui achètent des ballons et les font dédicacer avant de passer en caisse. Faut dire que le magasin est dans ma région, ça aide…
En France, on te connaît surtout pour ta période sedanaise. Deux saisons, entre 2000 et 2002, dans une équipe mythique avec Cédric Mionnet, Pius N’Diefi, Henri Camara, Nicolas Sachy… Une belle époque, j’imagine ?Oui, c’était une période importante pour moi. C’était la première fois que je partais à l’étranger, la première fois que j’évoluais dans un championnat relevé. On était le Petit Poucet et on a bousculé les ténors de la Ligue 1. On met quand même 5-1 au Paris Saint-Germain, on se qualifie pour une Coupe d’Europe. La force qu’on avait à Sedan, c’était qu’on était un groupe d’amis tous très soudés.
SEDAN PSG 2 Décembre 2000 ( 5 – 1 ) par icecake
Il y a un souvenir qui t’a plus marqué ?Le stade Vélodrome, le Parc des Princes, ce sont des stades magnifiques. Mais le plus beau souvenir reste un déplacement à Lens. Le stade est plein et j’ai la chance de marquer. C’était un moment magique avec un public exemplaire, c’était franchement magnifique. Une vraie fête du football.
Lens-Sedan 2000-2001 par Athone08
Le public sedanais aussi, c’était pas mal à l’époque ?On jouait chaque semaine dans un stade comble. Il y avait pratiquement plus de supporters dans le stade que d’habitants dans la ville. Les gens venaient de partout pour nous voir et notamment pas mal de Belges qui se déplaçaient pour assister aux matchs, car on n’est pas loin de la frontière. Ils s’étaient pris d’affection pour le club. Et puis, à cette période, je venais d’être meilleur buteur du championnat belge.
On va parler justement de ta saison de malade en 1999-2000 à Westerlo, où tu marques trente buts en trente-deux matchs dans le championnat belge. Comment tu expliques ces stats incroyables ?C’était une période où tout fonctionnait. Cette année-là, je crois que j’ai mis deux quadruplés et trois triplés. La balle aurait rebondi sur mon genou, elle aurait touché la barre et elle aurait fini au fond. Alors que des fois, t’es à un mètre du but, tu fais un plat du pied, elle touche la barre et elle va au-dessus…
Vous tapez Anderlecht 5-0 avec Westerlo… Tu provoques un penalty, tu plantes un doublé, tu délivres une passe décisive. Une telle raclée, c’est quand même dur à imaginer aujourd’hui ?On les avait battus 6-0 la saison précédente. En avril 2000, s’ils font un nul chez nous, ils sont champions et on leur en met cinq. À la fin du match, c’est la fête dans le vestiaire et il y a le manager d’Anderlecht qui est rentré pour nous offrir les bouteilles de champagne qui étaient prévues à la base pour célébrer leur titre… Westerlo, c’était comme à Sedan, on avait une équipe correcte, pas des magiciens, mais entre nous il y avait quelque chose. Et avec cet état d’esprit, tu peux renverser des montagnes.
Le point noir de cette saison, c’est que tu loupes l’Euro 2000 à domicile. C’est le pire moment de ta carrière ?Oui… J’avais été sélectionné durant toute la préparation. J’étais dans les 24 et deux jours avant le début de l’Euro, Robert Waseige a viré deux joueurs : moi et Danny Boffin qui jouait à Metz. Ça m’a vraiment fait mal, j’étais très énervé. Je ne comprends d’ailleurs toujours pas sa décision. On prend un joueur, Gilles De Bilde qui marque six buts (dix en Premier League avec Sheffield Wednesday, ndlr) alors que j’en avais mis trente, je me pose encore des questions.
Comment Robert Waseige vous a annoncé cette décision ?Tout simplement. L’adjoint est venu pour me dire de venir avec Dany Boffin dans le vestiaire du staff à la fin de l’entraînement. Il nous a dit : « Vous comprenez pourquoi je vous appelle ? » Moi, naïf, je ne comprenais pas. Il nous a alors annoncé plus clairement : « Voilà, il y en a deux de trop. » Ce fut un véritable coup de massue. C’est la période la plus décevante de ma carrière, car mettre un Euro ou une Coupe du monde sur sa carte de visite, ce n’est pas donné à tout le monde. Il a fallu passer au-dessus et se relever.
Tu fais quoi après ?Je reviens le soir-même chez moi. Le lendemain, j’ai été dans une agence de voyages et je suis parti en vacances avec mon épouse à Tenerife. J’ai quand même regardé les matchs de la Belgique et, avec du recul, je me dis que j’aurais peut-être pu apporter quelque chose.
À quinze ans, tu travaillais à l’usine. Ça t’a aidé à te forger un caractère et à relativiser certaines choses ?Ça m’a permis de me rendre compte que sans travail, tu n’as rien. C’est quelque chose qui te marque, car quand tu mets les pieds sur un terrain de football et que tu vois des collègues qui travaillent avec toi à l’usine, tu sais que leur salaire n’est pas élevé, tu comprends que tu ne peux pas baisser les bras ou les décevoir. De la même façon, tu réfléchis à deux fois avant de dépenser ton salaire. J’ai toujours géré seul mon argent.
Propos recueillis par Jacques Besnard