Tout d’abord, peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Thomas, je vais sur mes 28 ans et je suis un supporter du Racing Club de Strasbourg depuis tout petit. Je me suis carté chez les Ultra Boys 90 fin 2004 et j’en suis devenu le vice-président cette année.
Tu as récemment été condamné à payer 90 000 euros suite à une bagarre survenue lors d’un match entre Rouen et Strasbourg le 13 mai 2011. Est-ce que tu te rappelles précisément de cette soirée ?
Oui, parfaitement. Avant toute chose, il faut savoir qu’il restait seulement 3 journées de championnat avant cette rencontre. Le Racing était toujours en course pour la montée et devait impérativement gagner. Ce qu’il a d’ailleurs fait en remportant le match deux buts à un. Au coup de sifflet final, les joueurs de l’équipe se sont dirigés vers le parcage pour saluer les nombreux supporters présents. Plusieurs d’entre nous ont alors décidé de grimper sur le grillage pour essayer d’obtenir des maillots. À ce moment précis, les stadiers, qui n’avaient pas du tout été agressifs pendant la rencontre, commencent à tirer énergiquement sur les jambes des fans perchés sur le grillage. En tournant ma tête, je vois un membre de notre groupe à terre avec 3 stadiers autour en train de lui porter des coups.
C’est à ce moment que tu décides d’intervenir ?
C’est surtout là que le grand n’importe quoi commence. Plusieurs supporters approchent pour défendre le supporter tabassé. L’un d’entre nous pousse un des stadiers, je donne un coup au second (nez et mâchoire cassés) et le troisième recule. Suite à ça, les stadiers, une quinzaine au total, commencent à utiliser des gazeuses familiales et dégainent les matraques télescopiques. Ils sortent les chiens, enlèvent les muselières… Certains d’entre eux cachent leurs vestes pour ne pas être reconnus dans la bagarre et, selon un témoin, un stadier aurait même sorti un couteau. Suite à ça, la police intervient dans le parcage. Tout l’attirail des stadiers disparaît en 2 secondes et je vois un des leurs en train de me pointer du doigt en parlant aux forces de l’ordre. Les autres membres ont essayé de me protéger, mais je me laisse finalement embarquer sans opposer de résistance.
Direction le commissariat ?
Oui, je suis entré en garde à vue pour « violences volontaires en réunion ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à huit jours » le vendredi à 22h et je suis sorti le dimanche à 18h. C’était évidemment long, mais la garde à vue s’est plutôt bien passée. J’ai eu plusieurs interrogatoires, ils m’ont demandé ma version et voilà.
Tu n’avais jamais eu de condamnations liées à la violence dans les stades ?
Non, rien. Aucune condamnation ou interdiction de stade…
Que s’est-il passé ensuite ?
Suite à la garde à vue, je suis déféré au parquet pour y rencontrer la substitut du procureur. Je redonne ma version des faits et je retrouve finalement la liberté en attendant mon procès. Ils m’imposent tout de même un contrôle judiciaire m’interdisant de participer à toutes manifestations sportives, de parler à tout membre d’une association de supporters de Strasbourg et avec l’obligation de pointer à la gendarmerie de ma ville une fois par semaine. En plus de cela, je récolte aussi une interdiction de stade administrative pour les matchs du Racing avec un nouveau pointage à chacune de ses rencontres…
L’affaire avait-elle tourné dans les médias locaux ?
Oui, une journaliste présente ce soir-là a même affirmé avoir vu les stadiers enlever leurs gilets fluos pour faire le coup de poing. Un joueur est également cité dans le même article en disant que les stadiers avaient abusé de leur pouvoir et que lui-même avait essayé de les raisonner.
Et tu es finalement jugé en 2013 ?
Oui, je retourne au tribunal de grande instance de Rouen presque deux ans après. Pour moi, c’était plié d’avance. L’argument de mon avocate, une commis d’office que j’avais rencontrée pendant ma garde à vue, était la légitime défense. Mais on savait que ça n’allait pas passer… Je pensais repartir avec du sursis et c’est exactement ce qu’il s’est passé. Le ressenti que j’ai eu, c’est que je n’ai pas été jugé comme un citoyen, mais comme un supporter. Mais bon, un poids s’est quand même enlevé à la sortie du tribunal pénal. Plus besoin de pointer, j’ai pu enfin regoûter aux matchs à La Meinau et aux déplacements…
Je gagne 1500 euros net et maintenant, je flippe pour l’avenir. Je n’ai plus forcément envie de me marier, je n’ai pas envie que ma compagne soit mêlée à ça.
Tu avais donc dû arrêter tes activités au sein des Ultra Boys pendant 2 ans. Cela n’a pas été trop dur ?
Si, la « pause » a été très très dure… Surtout que c’était un moment important pour le groupe, le Racing étant descendu en CFA 2 quelques semaines après ce fameux match à Rouen. Certains ont dû penser que c’était le bon timing, mais alors pas du tout. En CFA 2, le groupe avait retrouvé les joies du vrai football populaire. J’ai vécu ça de loin et ça a été dur à vivre.
Après le passage au pénal vient le passage au tribunal civil pour les dommages et intérêts…
Avec la sécurité sociale qui se porte civile dans l’affaire… Je n’étais pas présent à cette audience, mon avocate m’avait dit que ça ne servait à rien de venir et elle m’a juste envoyé le jugement lorsqu’il a été rendu… C’était juste avant le dernier match de la saison.
C’est là que tu apprends que tu es condamné à 90 000 euros de dommages et intérêts ?
Honnêtement, je pensais avoir mal lu au début… Sur les 90 000 euros, il y a 24 000 euros de dommages et intérêts pour le stadier. Il affirme avoir peur de la foule depuis cet incident. Il y a aussi une histoire de primes perdues et des dommages esthétiques même s’il avait l’air d’aller très bien quand je l’ai vu… Le reste, c’est presque 63 000 euros pour la Caisse primaire d’assurance maladie de Haute-Normandie, 1000 euros pour les frais d’expertise, encore 1000 euros pour la Caisse primaire d’assurance maladie de Haute-Normandie au titre de l’indemnité de frais de gestion et 2000 euros pour un autre truc dont je ne me rappelle plus.
Tu as pensé à quoi à cet instant précis ?
On pense à beaucoup de choses… Faut l’annoncer à sa compagne, au reste du groupe. C’est l’incompréhension la plus totale. Je gagne 1500 euros net et maintenant, je flippe pour l’avenir. Je n’ai plus forcément envie de me marier, je n’ai pas envie que ma compagne soit mêlée à ça. J’aurais bien aimé acheter un appartement, mais maintenant, c’est mal engagé…
Tu as commencé à économiser pour payer cette somme ?
Non. De toutes manières, pour réussir à mettre 90 000 euros de côté, hein… J’attends qu’ils viennent vers moi avec un échéancier. Ils proposeront une somme, moi aussi et on discutera.
Les membres de ton groupe ont dû commencer à t’aider ?
On a fait une quête au stade lors du dernier match. Mais je ne peux pas compter que sur eux. Du coup, j’ai mis
une cagnotte sur Internet au cas où des supporters d’autres clubs voudraient bien me soutenir indirectement, et non pas payer l’amende, vu que c’est interdit par le code pénal. Cela m’a pris du temps, mais le site est bien en place et il y a un communiqué traduit en plusieurs langues.
Et ça marche ?
Là, j’ai déjà reçu 2000 euros… Au-delà de la somme, c’est surtout les mots que je reçois avec les dons qui me font du bien. Je sais aussi qu’il y a des cagnottes qui se mettent en place dans différents groupes. J’ai déjà reçu de l’aide de gars de Lens, de Lorient, de Nantes, de Suisse, de groupes allemands amis avec les Ultra Boys, etc. Je sais aussi qu’il y a un truc qui se fait à Nancy.
Toute cette affaire ne t’a pas donné envie d’arrêter le stade ?
Je suis passé par tous les sentiments, même les pires, mais je ne compte pas du tout arrêter mes activités au sein du groupe. Ça ne sert à rien de se morfondre, il faut avancer, c’est tout.
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