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« Sur les cigarettes, il est écrit « fumer tue » : il faut faire pareil sur les synthétiques »
Les interrogations sur le manque de contrôles des petits granulés noirs issus de vieux pneus broyés balancés sur les terrains synthétiques subsistent : certaines études avancent qu'ils seraient cancérigènes. Que font les pouvoirs publics ?
Bientôt un mois sans réponse. Le gouvernement et la ministre des Sports ont été interpellés à plusieurs reprises depuis la sortie de notre enquête sur la dangerosité des terrains de sports synthétiques, mais il reste muet. Ils n’ont pas non plus répondu aux questions et demandes des parlementaires inquiets quant à nos interrogations sur le manque de contrôles des petits granulés noirs issus de vieux pneus broyés balancés sur ces terrains. Que faire, en attendant ? Certains élus locaux espèrent pouvoir faire bouger les choses à leur échelle. Est-ce que ça peut marcher ? On a posé la question à Catherine Bassani-Pillot, élue municipale EELV déléguée à la santé environnementale à Nantes, la première à avoir annoncé vouloir « appliquer le principe de précaution » après avoir lu So Foot. Et après plusieurs années à alerter dans le vide.
Depuis quand avez-vous commencé à alerter sur le sujet des terrains synthétiques ?D’abord, en tant que citoyenne et maman d’un petit garçon qui fait du foot, je me posais des questions. Et il y a trois ans, au début de mon mandat en tant qu’élue déléguée à la santé environnementale, j’ai essayé de creuser au maximum pour répondre aux pratiquants, aux présidents de club ou aux parents qui se posaient des questions. J’ai constitué un petit dossier et j’ai compris que ces terrains venaient d’industriels du pneu et de la chimie qui voulaient recycler leurs produits. J’ai lu beaucoup de choses négatives en matière de santé et d’environnement et j’ai lu aussi que les sportifs de haut niveau n’en voulaient pas. Alors j’ai essayé d’alerter à mon niveau.
Avez-vous été prise au sérieux ? Françoise Cartron, sénatrice de la Gironde et vice-présidente du Sénat, explique qu’elle n’a recueilli « que de l’indifférence » quand elle a abordé le sujet ces dernières années. J’ai été écoutée, oui, mais on m’a fait valoir les bénéfices de ces terrains. C’est vrai, le gros avantage de ces terrains, c’est qu’on peut les utiliser tout le temps, alors qu’un terrain naturel a besoin de temps de repos. C’est pour ça qu’il y a une si forte demande. Mais certains arguments doivent être vérifiés. Par exemple, on nous dit souvent que ces terrains sont moins coûteux, mais quand j’ai regardé le sujet de près, j’ai constaté que ces terrains s’usent rapidement et qu’il y a pas mal de frais d’entretien qui ne sont pas comptés dans le calcul.
Comment expliquez-vous le silence sur le sujet en France, alors que d’autres pays sont très mobilisés, notamment les Pays-Bas et les États-Unis ?Je pense qu’il y a eu un gros travail de séduction des vendeurs de terrains auprès des collectivités, des présidents de club, pour dire qu’il fallait des terrains comme ça, que c’est la modernité, que ça allait résoudre plein de problèmes. Ce sont des sociétés commerciales, ce n’est pas condamnable en soi bien sûr. Mais cela a aidé tout le monde à ne pas trop se poser de questions et maintenant, il y a plein de terrains synthétiques en France. Il faut se demander ce qu’on peut faire. Nous sommes plusieurs élus locaux à s’être mobilisés ces dernières semaines (à Nantes donc, mais aussi à Poitiers, Paris, et en Seine-Saint-Denis, ndlr), nous avons demandé au ministère qu’une étude indépendante soit réalisée. Nous n’avons pas de réponse pour le moment.
Qu’allez-vous faire maintenant dans votre commune ?On sait que la sédentarité est un problème dans notre pays et il faut inviter à développer les pratiques sportives. Je baigne dans le sport depuis toujours, c’est familial, on s’interroge toujours sur le côté bénéfique du sport et dans quelles conditions le sport n’apporte pas aussi certains dangers. Il faut des installations de qualité. Sur les terrains synthétiques, on lit de plus en plus d’articles et d’études qui montrent des risques, il faut donc que le principe de précaution s’applique. Et je dois trouver des solutions pour faire appliquer ce principe de précaution. La première chose à faire, c’est une étude scientifique indépendante au niveau national et une analyse sérieuse bénéfices/risques au niveau local. Ensuite, le groupe écologiste à Nantes a annoncé qu’il ne votera pas de budget de rénovation ou de construction de synthétique tant qu’on n’aura pas ces études en main.
Cela peut faire bouger les lignes ?Nous savons bien que nous sommes minoritaires au sein de la majorité et que notre vote ne suffit pas. La troisième mesure, c’est d’informer les gens des risques, sans faire peur, mais en donnant tous les éléments. J’aime bien la comparaison suivante : sur les paquets de cigarettes, il est écrit « fumer tue » . Tout est là, ensuite, c’est aux gens de choisir. Il faut faire pareil sur les terrains synthétiques.
Vous voulez écrire « le synthétique pourrait donner le cancer » sur les terrains ? Non, mais on pourrait afficher des recommandations dans les vestiaires, inviter à porter des manches longues, à se débarrasser sur le terrain des billes pour ne pas les amener à la maison et pour ne pas qu’elles finissent dans les eaux usées. On pourrait aussi communiquer dans les journaux ou dans des plaquettes municipales. J’ai fait cette proposition, nous allons y travailler dans les semaines qui viennent. Il faut l’admettre, on ne peut pas imaginer que l’on va démonter tous les terrains synthétiques du jour au lendemain. Dans l’idéal, je l’espère, on va informer tout le monde et on remplacera ensuite progressivement ces terrains par des alternatives plus respectueuses pour la santé et pour l’environnement.
Propos recueillis par Thibaut Schepman