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Sur la route de Michel Vautrot

Par Maxime Brigand
9 minutes
Sur la route de Michel Vautrot

Hier encore, Michel Vautrot était le meilleur arbitre de l'histoire du football français. Puis, il a progressivement été mis sur la touche après avoir dénoncé un scandale au cœur de l'arbitrage national au début des années 2000 et a décidé de prendre son ancien métier de l'autre face : par l'enseignement social, à travers le monde, et plus particulièrement en Jordanie où le Français s'est rendu il y a quelques mois dans des camps de réfugiés avec l'UEFA.

Sous les lustres du palais, ils ne sont plus là. L’homme est seul. Seul avec un œil humide et sur un tapis rouge qu’il ne pensait jamais voir. Face à lui, cela aurait du être Jacques Chirac, mais, pour des questions protocolaires, la cérémonie a été décalée. Le secrétaire d’État Alain Joyandet, dont la carrière dans le foot a été avortée par les études, a alors insisté pour remettre le dossier au premier plan, sur le bureau de Nicolas Sarkozy. En cette soirée de novembre 2009, l’instant est intimiste, mais les mots alternent entre dimension politique et volonté de réhabilitation d’un monument du football français qu’on a déboulonné six ans plus tôt. Alors, celui qui est à l’époque président choisit son camp : « Je me souviens très bien de vous, vous aviez un style incomparable à la course… Votre carrière est un exploit, vous êtes un personnage populaire.(…)Au moment où il y a tellement de discussions sur le football et l’arbitrage, vous symbolisez la rigueur, la loi, la règle, l’esprit sportif. Vous avez combattu les dérives et la corruption. » Lors de la cérémonie, l’envie de « redonner [son] honneur à un homme au nom de la France » a clairement été affichée. Michel Vautrot ne cherchait rien. Il n’a même rien demandé. Mais, ce jour-là, celui qui reste encore aujourd’hui le meilleur arbitre français de l’histoire est lavé dans son honneur. « J’avais l’impression d’avoir été dégradé. » Le voilà décoré de la Légion d’honneur. Sans aucun membre de la FFF, ni de la LFP.

La FFF, des portables et Escalettes

Comment a-t-on pu en arriver là ? Comment le seul arbitre français qui a arbitré une finale de championnat d’Europe, en 1988, une finale de C1 en 1986 (ce qu’ont aussi fait Robert Héliès, Michel Kitabdjian, Robert Wurtz ou encore Georges Konrath, ndlr), une finale de Coupe de l’UEFA, une autre intercontinentale à Tokyo et cinq finales de Coupe de France a-t-il pu tomber dans l’oubli ? Il faut remonter les archives, les dossiers et faire sauter les scellés pour comprendre. Au début des années 2000, Michel Vautrot était le boss de l’arbitrage français à la tête de la Direction technique nationale de l’arbitrage français (DTNA) et continuait d’aligner sa bonne humeur et son expérience dans des bureaux nationaux. Jusqu’en 2003. Sa faute ? « J’ai préféré démissionner avant d’être débarqué après avoir adressé à la FFF un dossier confidentiel sur les affaires louches dans l’arbitrage. La Fédé l’a mis sous le tapis avant de me faire passer pour un dépressif, comme au temps des bonnes vieilles méthodes soviétiques » , rembobine-t-il. L’arbitrage français explose alors en plein vol autour de l’affaire dite des « portables » , orchestrée par « l’énigme » Xavier Pettinato, fils du vice-président de la Ligue corse et proche de l’arbitre Stéphane Bré. À cette époque, Pettinato est considéré par certains comme un « prodige » , par d’autres comme un conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, mais l’homme a surtout l’oreille des chaussures lustrées du foot français. Comment ? Par Bré, d’abord, qui au quotidien bosse comme officier des rZenseignements généraux. Xavier Pettinato gratte alors rapidement une carte de l’Union nationale des arbitres de football (Unaf) sans lever un drapeau. Au point de se retrouver partout, dans des vestiaires, dans des dîners, transmettant des informations confidentielles et trouvant grâce aux yeux de la caste de l’arbitrage français.

Et Pettinato a dérapé. Complètement. Au point de faire sauter avec lui « une génération entière d’arbitres » , comme l’expliquait déjà à l’époque Michel Vautrot, devenu une cible désignée. Il complète : « Être patron de l’arbitrage français est plus dur que d’être simple arbitre. Je pense qu’il faut être inconscient pour prendre ce poste. On croit toujours qu’on va arriver à gérer l’impossible, mais, au fond, on a tout le monde à dos, y compris pas mal d’arbitres qui pensent être meilleurs que le copain sans rien avoir prouvé d’exceptionnel au niveau international. » Dans son coin, Xavier Pettinato a alors monté un obscur business de téléphones et d’ordinateurs portables, mais aussi d’articles de sport qu’il s’amuse à revendre à prix d’usine à des arbitres professionnels. Au final, Pettinato fait éclater autour de lui plusieurs enquêtes et se fera rattraper par la justice. Reste qu’en dénonçant ces agissements, Michel Vautrot a été poussé à la démission jusqu’à être relégué aux oubliettes du foot français. Il répète aujourd’hui être parti « comme une merde de la Fédé. L’UEFA avait, de son côté, fait une enquête d’une centaine de pages pour me donner raison après un faux dossier envoyé par Bré à de nombreuses personnalités que Bernard Saules, le président de l’UNAF, avait relayé. Les enquêteurs connaissaient la vérité et ne voulaient pas me laisser tomber. Aujourd’hui, j’ai quelque chose que personne n’a voulu montrer. C’est dans mon coffre, une interview de Pettinato qui devait être publiée dans deux grands quotidiens où il expliquait que j’étais quelqu’un d’honnête et qu’il avait, justement, pour mission avec Stéphane Bré de me faire sauter de mon poste parce qu’on ne pouvait pas me manipuler. Cet homme a été reçu par Thiriez, c’est prouvé. Bré a été suspendu et aujourd’hui ? Il est encore membre de la DTNA et était encore référent des arbitres professionnels de première division la saison dernière. Cette histoire est terminée, tant mieux pour lui et je peux regarder les gens droit dans les yeux. » À la suite de cette affaire, le dinosaure Jean-Pierre Escalettes, alors président de la FFF, avait même poussé pour éjecter Vautrot de la commission d’arbitrage de l’UEFA, ce à quoi Lenart Johansson, boss du foot européen entre 1990 et 2007, s’était opposé. Michel Vautrot deviendra finalement observateur pour l’UEFA et la FIFA sans plus jamais effectuer la moindre mission en France.

Un jour, à Zaatari

Sans cela, l’ancien arbitre international français, aujourd’hui âgé de soixante-dix ans, n’en serait peut-être pas là. Car au-delà de la passion, l’homme a fait de l’arbitrage un outil social dans le sillage du programme de l’UEFA pour le développement au niveau mondial des petites fédérations. Il y a d’abord eu un premier pas, avec le prince Ali ben Al Hussein de Jordanie pour plus d’une vingtaine de visites. « Il voulait que je sois à temps complet, mais j’ai refusé. Je lui ai proposé de faire un audit de la situation et finalement, je suis retourné là-bas plusieurs fois, détaille Michel Vautrot.L’idée était de travailler sur l’organisation, la formation de jeunes jordaniens et de développer l’arbitrage féminin dans ce pays arabe, ce qui n’était pas une mince affaire. » Puis le Français est contacté par Pascal Torres, le secrétaire général de la fondation UEFA For Children, un organe dédié aux enfants dans une démarche humanitaire autour de l’intégration, la santé et l’éducation. L’idée proposée à Vautrot est de partir quelques jours au camp de Zaatari, au cœur d’une plaine désertique du nord de la Jordanie, à une vingtaine de kilomètres de la frontière avec la Syrie, où sont rassemblés des réfugiés syriens qui fuient la guerre. On est aujourd’hui un peu plus loin de l’alignement de tentes dans l’urgence de 2012, au moment de l’ouverture du camp. Zaatari pointe désormais quelque 80 000 habitants (dont plus de 50% d’enfants) et s’articule comme une véritable ville où se croisent les véhicules d’ONG présentes sur place et des dizaines de vélos offerts par la fondation UEFA. On y trouve une « rue de la justice » ou encore une artère commerçante centrale renommée « Champs-Élysées » où marchent les survivants des conflits syriens dans le plus grand camp de réfugiés du pays.

Je ne fais pas de politique, mais on voulait montrer à ces jeunes qui sont cabossés par la guerre que le foot ne peut pas se jouer sans règle là où la guerre n’en a pas. C’est l’idée de départ.

« L’idée, pour nous, était alors de travailler avec le football sans parler de formation, mais plus de sensibilisation, pose Michel Vautrot. Après, si tu y vas avec la peur, ça ne sert à rien d’y aller. Il faut croire que ce que tu fais peut leur apporter et se demander : quel est leur avenir ? Comment je peux les aider ? Je ne fais pas de politique, mais on voulait montrer à ces jeunes qui sont cabossés par la guerre que le foot ne peut pas se jouer sans règle là où la guerre n’en a pas. C’est l’idée de départ. » L’ancien arbitre se retrouve alors avec une quarantaine de coachs masculins et une vingtaine de femmes qui ont compris qu’il « fallait aussi faire quelque chose pour s’occuper des filles. Elles sont devenues coachs, elles sont venues à l’arbitrage car il faut du monde pour s’occuper des filles car, à partir de douze ans, on ne peut plus les voir. » Le camp est alors composé majoritairement de femmes et d’enfants qui se battent contre les conditions terribles, la température folle entre des mobil-homes qui remplacent progressivement la toile. Avec la délégation, Vautrot organise des tournois sur le bitume – dont un a été payé par la Norvège – et sensibilise la jeunesse : « Nous, on dormait à une heure et demie du camp, à Amman. J’ai toujours été un peu baroudeur, j’avais notamment été arbitrer un très chaud Colombie-Israël en octobre 1989, huit jours après l’assassinat d’un arbitre. Tu as face à toi des gens qui ont vu la mort, qui vivent dans des conditions inhumaines, tu manges par terre avec eux, mais eux ? Eh bien, ils apprécient, ils ne se plaignent jamais, et après, tu rentres en France, tu manges des grèves et tu prends les plaintes en pleine gueule. Tu t’attaches à eux. Un exemple : pendant que j’y étais, un homme se mariait et m’avait invité à venir avec les hommes le soir. Moi, qu’est-ce que tu veux qui m’arrive ? L’UEFA a refusé pour des raisons de sécurité. Mais je voulais vivre mon expérience à fond. » Voilà où est désormais rendu Michel Vautrot, entre des expériences à l’étranger – il a également fait un crochet au camp d’Azraq –, loin de la FFF, de la LFP, de l’arbitrage français. Un honneur rendu et une autre vie.

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Comment la moustache a relancé le football français
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Par Maxime Brigand

Tous propos recueillis par MB

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