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Stades de shoot
En 2017, dans certains coins de la planète, on exécute toujours publiquement des gens dans des stades de foot. La FIFA, qui a récemment ajouté à ses statuts un article qui l'engage à respecter les droits de l'homme et à promouvoir leur protection, promet d'aborder la question avec la fédération iranienne.
Ce matin du 22 septembre 2016, à Neyriz, ils sont quelques dizaines à s’être rendus dans le petit stade de foot de cette ville de 45 000 habitants, située dans la province de Fars, dans l’ouest iranien. Pourtant, aucun match n’est programmé ce jour-là. Installé sur un semblant de tribune, séparé du terrain par un grillage, le public, majoritairement masculin, est venu assister à une exécution. Celle de Saeed T., condamné à la peine capitale pour viol et meurtre. Exposé sur la plate-forme arrière d’un camion, le visage recouvert d’un linge noir, l’homme sera pendu en public, tracté de bas en haut par une grue. Une pratique qui n’a rien d’exceptionnel en Iran, où une interprétation particulière de la charia fait office de code pénal. En 2015, sur 969 exécutions, 57 se sont déroulées dans l’espace public (selon les chiffres officiels communiqués par l’État iranien, probablement en deçà de la réalité). Cette barbarie, l’ONG française Ensemble contre la peine de mort (ECPM) ne l’accepte pas. Et elle a décidé de le faire savoir à la FIFA, en adressant fin septembre un courrier à son président, Gianni Infantino. « Exécuter dans un stade, ce n’est pas anodin, explique Raphaël Chenuil-Hazan, le directeur d’ECPM. C’est dans ce sens que nous tentons d’alerter Infantino. La FIFA ne peut pas dire que cela ne la regarde pas. Si j’étais joueur, ce serait impossible de jouer là où un homme a été décapité ou pendu. »
Une barbarie sans limite
Avec l’Arabie saoudite, la Corée du Nord et les territoires contrôlés par Daesh, l’Iran est l’un des derniers pays à pratiquer l’exécution publique, que ce soit sur des places ou dans des stades. La Chine et l’Afghanistan – qui s’y adonnait à l’époque des talibans – ont récemment abandonné. « C’est la théâtralisation de la mise à mort, dans le seul but de faire peur à la population, pose Chenuil-Hazan. Le stade est ouvert. Hommes, femmes, enfants, vieillards, tout le monde est incité par la police à venir assister au « spectacle ». En Iran, la peine de mort a toujours été un outil politique. La majorité des condamnés à mort sont coupables de trafic de drogue ou d’homosexualité, et sont souvent issus de minorités ethniques ou religieuses. C’est un message adressé aux Kurdes et aux Afghans, qui représentent le prolétariat local. Ils exécutent même des mineurs. Leur code pénal, c’est la charia. Et ils s’y tiennent. » Pour rendre le « spectacle » le plus macabre possible, les autorités iraniennes, qui exécutent essentiellement par pendaison, ont décidé de mettre en place une graduation de l’horreur. Selon la sentence, la peine capitale peut s’effectuer sous deux formes différentes. La première consiste à « lâcher » le pendu. Dans sa chute, sa nuque se brise et le pauvre bougre décède rapidement. La seconde prouve que la barbarie ne connaît aucune limite. C’est celle qu’a subie Saeed T. à Neyriz. Le condamné est pendu par traction, accroché à une grue qui s’élève jusqu’à ce que ses pieds ne touche plus le sol. La mort par suffocation est alors beaucoup plus lente et douloureuse. Contacté par ECPM, le fabricant japonais de ces grues a accepté de demander à l’État iranien d’arrêter d’utiliser son matériel pour ce type d’activité. Visiblement sans succès.
La FIFA répond enfin
Le 6 décembre dernier, non sans quelques relances, la FIFA a enfin répondu au courrier d’ECPM. Et c’est Fatma Samoura, la secrétaire générale, qui s’y est collée. En anglais, elle indique à Raphaël Chenuil-Hazan qu’elle a bien pris note de « l’incident » qui a eu lieu à Neyriz, et que « la FIFA condamne ce type d’action, qui par sa nature, viole fondamentalement la dignité inhérente à chaque être humain » . Et par conséquent, elle ne manquera pas d’aborder le sujet « lors de ses futurs échanges avec la Fédération iranienne de football » . Enfin, la Sénégalaise conclut en signalant au directeur d’ECPM que, comme l’exige le nouvel article 3 de ses statuts, « la FIFA s’engage à respecter les droits de l’homme internationalement reconnus, et s’efforce de promouvoir leur protection. Cet engagement implique des efforts pour prévenir et atténuer les impacts négatifs sur les droits de l’homme de tiers en relation directe avec nos opérations. Dans le cadre de ces activités, nous cherchons de plus en plus à collaborer avec nos associations membres, pour les aider à mettre en place des mécanismes adéquats, afin qu’ils respectent les droits de l’homme. » À la lecture du courrier venu de Suisse, Chenuil-Hazan se dit « satisfait que cet article 3 donne à la FIFA le pouvoir d’agir, satisfait que la FIFA ait prévu d’engager des échanges avec la fédération iranienne. Maintenant, nous attendons que la FIFA donne des suites concrètes en sanctionnant l’Iran, pourquoi pas en l’excluant de compétitions internationales, puisque ses nouveaux statuts lui en donnent le droit » . En avril 2013, l’instance mondiale avait déjà mis en garde l’Iran au sujet de ses exécutions sur des terrains de foot. Évidemment sans conséquence pour cette « association membre » .
Si la FIFA décidait de ne pas sanctionner sportivement l’Iran – ou tout autre pays se servant de stades de football pour y procéder à des exécutions publiques –, la punition pourrait-elle venir des joueurs ? En évitant d’y signer un contrat, ou d’y jouer en cas d’affrontement lors d’une rencontre internationale, par exemple ? En Iran, cela paraît compliqué. La Premier League iranienne accueille peu d’étrangers, et comme l’explique Raphaël Chenuil-Hazan, les Asiatiques adhèrent en très grande majorité à la peine de mort. L’Arabie saoudite, en revanche, est une destination prisée par les vieilles gloires sud-américaines et européennes, pour signer un dernier beau contrat. Mais toujours selon le directeur d’ECPM, « un étranger ne prendra pas position sur ce genre de débat » .
Le cas Chili-France
En septembre 2001, les joueurs de l’équipe de France se sont retrouvés dans un cas de figure proche, au moment d’affronter le Chili à Santiago. Certes, les exactions du général Pinochet avaient cessé depuis un peu plus de dix ans, mais se changer dans des vestiaires transformés en salles de torture par l’armée du dictateur donne à réfléchir. Au plus fort du régime militaire, ce sont 7000 prisonniers qui étaient détenus dans l’Estadio Nacional, qui en a accueilli en tout 40 000. « Comme nous sommes arrivés à Santiago deux jours avant le match, c’est un sujet qui était présent dans les discussions, se souvient Ulrich Ramé, qui avait gardé les buts bleus ce jour-là. En plus, on s’était entraînés la veille dans le stade. Donc forcément, on pose des questions sur ce qui se passait dans les vestiaires, comment le stade a été modifié, ce genre de choses. Les guides nous ont parlé des barbelés qu’il y avait autour de la pelouse à l’époque, par exemple. » Une leçon d’histoire que Roger Lemerre avait interprété à sa façon, en déclarant en conférence de presse d’avant-match : « Les dictatures sont parfois nécessaires. » Mais à aucun moment, les joueurs français ont pensé ne pas jouer sur ce terrain, où tant de gens ont souffert. Surtout que la rencontre amicale, qui était surtout le jubilé d’Ivan Zamorano, était placée sous le signe de la fête. « Pendant le match, on n’y pense pas, avoue l’ancien gardien des Girondins. Pour savoir si un joueur pourrait refuser de jouer dans un stade où ont été commises des exactions, il faudrait poser la question à un joueur investi politiquement, ce qui n’est pas mon cas. » Et il n’est pas le seul.
Par Mathias Edwards
Tous propos recueillis par ME