Comment a été amorcé le projet Prolongations ?
C’est d’abord né de ma volonté de faire quelque chose de complètement différent de KZ Dora – qui était assez lourd à porter parce que sur le thème de la déportation des résistants. Je suis parti sur un truc plus léger donc j’ai eu envie de traiter le sujet du foot. Dans le paysage des arts populaires, aussi bien la bande dessinée que le cinéma, il n’y a pas grand-chose qui reflète « ma » vision du foot. Si on prend l’exemple de la bande dessinée, c’est souvent soit du gag soit de la jeunesse et finalement, il y a peu de choses qui traitent le foot de manières sérieuse. Même chose avec le cinéma qui produit plutôt des comédies.
Et qui ne sont pas trop de bonne facture, qui plus est.
Oui, les bons films sur le foot date des années 70, comme Coup de Tête. En revanche, je ne suis pas très fan de À Mort l’arbitre. On est trop dans la caricature, on est plus dans le réalisme. Ce qui est drôle, par contre, c’est que je retrouve Prolongations beaucoup dans 3 Zéros, bien qu’il s’agisse d’une comédie. On y retrouve la même volonté de faire quelque chose de choral, qui explore tous les aspects du foot. Et parce que je suis scénariste, je ne pars pas du principe que c’est de la merde, j’essaie juste de voir ce que je vais pouvoir en tirer, si je vais pouvoir m’en inspirer. Mais bon, on va s’arrêter là sur 3 Zéros parce que c’est pas du tout mon film de chevet ! (rires)
Tu ressentais le besoin de montrer les arcanes du foot ?
Les bandes dessinées autres que jeunesse parlent du football de manière assez sombre et ça m’emmerdait un peu. Déjà qu’on n’est pas dans un pays de footeux, si en plus la seule manière d’en parler, c’est de le démonter, ça m’énerve un peu. Donc j’ai eu envie de redorer un peu le blason du foot. Expliquer pourquoi et comment le foot est devenu le sport n°1 et pas forcément pour des raisons débiles, comme certains pourraient le croire.
Tu dis ça mais en même temps, dans ta bande dessinée, on se rend compte que le foot amène plein de problèmes, aussi. Le supporter a des problèmes avec sa petite amie, on voit le président de Nice qui attaque l’arbitre à la fin du match, etc. C’est pas forcément optimiste.
Ça aurait été complètement naïf de faire une bande dessinée toute belle et toute gentille. Je raconte des personnages et dans chacun d’eux, tout n’est pas blanc et tout n’est pas noir. Je voulais surtout montrer qu’une passion, aussi positive soit-elle, peut causer des problèmes à ceux qui la vivent parfois trop intensément. Là, on parle du premier tome mais il y en a deux : le premier c’est Passion, le deuxième c’est Dépendance. Ça donne un peu le ton de ce que sera la suite. Dire que le second tome sera sombre, c’est un peu fort, mais ce sera plus pertinent.
Quelle est la part de réalité et de fiction dans Prolongations ?
Ce qui ne m’intéressait, c’était de ne pas traiter de l’actualité. Bon, il se trouve que la bande dessinée tourne autour du PSG mais pour des raisons géographiques et aussi parce que je suis fan de ce club. Mais sincèrement, j’aurais pu faire ça autour de Lyon. Je voulais que ce soit un club d’envergure mais parler du PSG des Qataris, ça ne m’intéressait pas. Je voulais faire quelque chose de plus universel : parler du foot contemporain. Je veux que ce soit lisible dans dix ans.
Qui as-tu rencontré pour l’élaboration de cette bande dessinée ?
Premièrement, j’ai beaucoup lu. Ensuite, j’ai rencontré des journalistes et des arbitres. Par exemple, concernant les arbitres, j’ai d’abord lu le bouquin de Bruno Derrien, À bas l’arbitre, qui est très sombre. Ensuite, j’ai rencontré un ancien arbitre français dont je préfère garder l’identité qui lui m’a donné le pendant de Derrien. Il m’a parlé de sa passion dévorante pour le métier d’arbitre. Sinon, j’ai un pote qui bosse au Figaro et à Sport24, Cédric Callier, qui m’a ouvert le plateau de sa rédaction.
Tu as rencontré des supporters aussi ?
Oui, j’ai rencontré un ancien ultra d’Auteuil. Mais sur le personnage du supporter, j’étais partagé. Je pense que pas mal d’entre eux se reconnaîtront en lui mais je voulais pas trop partir dans le mouvement ultra. Encore une fois, ça ne m’intéressait pas d’en parler à l’heure actuelle pour ne pas ancrer Prolongations dans l’actualité. C’était pas le but de la bande dessinée.
Tu as consulté des journalistes et pourtant, tu n’es pas forcément tendre avec eux, notamment concernant leur intégrité.
Je présente les codes du bon journaliste, ce qu’il est, etc. Il y a une scène où l’on comprend que certains dérogent à ces règles, oui. Mais là-dedans, il y a une certaine part fictive parce que je raconte les réponses que j’avais envie d’avoir et que je n’avais pas forcément eu. C’est marrant parce que tu es journaliste et du coup, tu considères cette partie comme la moins valorisante de la bande dessinée. Mais j’ai fait lire Prolongations à un panel réduit et j’ai eu des retours très différents au sujet des personnages préférés ou, au contraire, peu populaires.
Par contre, là où tu t’es fait plaisir, c’est avec le Président de Nice ! T’as un contentieux avec Nice ?
(rires) Non ! Justement, je me suis demandé qui j’allais choisir. De toute façon, tous les personnages sont fictifs et bon, j’ai un oncle qui vit à Nice et que je chambre de temps en temps donc voilà. Et puis je préférais prendre un « petit » club plutôt que l’OM. D’ailleurs, on retrouvera ce président dans le second tome.
Qu’est-ce qui va constituer le deuxième tome ?
C’est la suite de la saison, puisque le premier tome s’arrête plus ou moins à la trêve hivernale. On arrivera dans la dernière ligne droite du championnat et chaque personnage se rendront compte que le football aura des répercussions sur leurs vies.
Sinon, tu disais être fan du PSG, tout à l’heure.
Ouais, je peux pas le nier, je suis fan de foot. J’ai commencé à suivre le foot au début des années 90. Avant, j’ai de vagues souvenirs des Coupes du monde, Mexico 86, notamment. Pas trop celle de 90 parce qu’il n’y avait pas la France. On refaisait les matchs à chaque mi-temps et on ruinait la pelouse de ma mère. Mais je m’y suis vraiment à partir de 1993. Juste un peu avant l’année du titre du PSG. C’est marrant parce que je crois que la victoire de Marseille en Ligue des champions a amorcé quelque chose. L’automne qui suit, premier match au Parc. Un PSG-Auxerre, 4-0, avec un doublé de Weah et un but de Ginola. J’avais la crève et j’étais pas allé à l’école alors que j’étais allé au Parc.
Ton plus beau souvenir du Parc, du coup ?
Le match retour contre La Corogne en 1996. Je crois que c’est Loko qui marque. De toute façon, Djorkaeff avait déjà fait la différence à l’aller et ça nous permet d’aller en finale de Coupe des coupes. Je me rappelle aussi très bien du PSG-Barcelone de 1995, en quart de finale de Ligue des champions. C’est pas forcément des victoires dont je me souviens parce que, par exemple, la finale en Coupe d’Europe contre le Rapid de Vienne, elle était un peu attendue. Ça aurait même été une énorme désillusion de la perdre, sans doute un des plus mauvais souvenirs des supporters. D’ailleurs, je me dis que Marseille, c’était sans doute mieux qu’ils gagnent contre Milan que deux ans plus tôt. S’il n’y avait eu que cette Ligue des champions contre l’Étoile rouge, même si on sait ce qu’est devenue cette Étoile rouge par la suite, ça aurait été moins bien.
Ta meilleure anecdote au sujet du foot ?
J’en ai pas vraiment. Je me rappelle surtout de moments magiques. Je pense notamment au but de Canto. C’est le fameux match où il dribble pas mal de joueurs, il finit par lobber le gardien et derrière, il reste stoïque. C’est un but qui revient pas mal dans le film de Ken Loach, Looking for Eric. Le but est exceptionnel mais la réaction l’est encore plus : il regarde le ballon partir au fond et au lieu de se mettre à courir, il contemple la foule comme le gladiateur seul dans l’arène. C’était puissant.
Prolongations de Robin Walter est disponible aux éditions Des Ronds dans l’O à partir du 12 juin 2014
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