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Róbert Gunnarsson : « La sensation nouvelle de ne plus être des losers »
Róbert Gunnarsson, le pivot islandais du PSG Handball, espérait, sans trop y croire, voir son pays d’origine et celui d’adoption s’affronter à l’Euro. De là à imaginer qu’une place en demies serait en jeu… Vice-champion olympique 2008, Róbert a déjà porté haut les couleurs de l’île. Mais l’épopée de ses collègues footeux permet enfin d’affirmer devant toute l’Europe les valeurs islandaises et même la vraie origine du clapping.
Entre nous, que ton Islande vienne s’incruster dans le top 8 européen, tu ne l’avais pas vu venir, celle-là !Bien sûr que je suis surpris, comment peut-il en être autrement ! Personne n’aurait pu imaginer que l’Islande se débrouille aussi bien dans son premier tournoi international, pour lequel notre seule présence est déjà un exploit. Donc, oui forcément, on est super fiers de ce qu’ils accomplissent.
Comment vis-tu cet Euro ?J’étais présent au stade pour tous les matchs, sauf le premier contre le Portugal. Ce sont des moments géniaux, comme la dernière fois à Nice contre l’Angleterre. On savait que ça allait être un match compliqué et nous étions tous là pour les aider. C’est simple, je n’ai jamais vu autant de mes compatriotes présents en même temps dans un pays étranger. Et je sais qu’au pays, à des milliers de kilomètres de là, c’est la même chose. Les gens se réunissent sur les places ou sont devant leur télé pour suivre le match. Pour nous, c’est une expérience extraordinaire, avec la sensation nouvelle de ne plus être des losers.
Et ces séances de clapping assez impressionnantes, ça sort d’où ? C’est une spécialité de chez nous, mais qui ne se pratique dans les tribunes que pour le foot, pas dans les gymnases de hand. En fait, ce sont les supporters d’un club de Reykjavík qui ont lancé le mouvement, et depuis, c’est resté. C’est tellement bien que tout le monde nous a copiés.
Ce qu’ont réalisé vos Bleus contre les Anglais, c’était déjà du très costaud. Est-ce que battre nos Bleus est un challenge beaucoup plus relevé ?Même si, pour moi, la France est supérieure à l’Angleterre, on reste dans la même configuration : les petits face aux gros. Les Anglais étaient certains de nous battre. Nous, on savait que les jouer en huitièmes n’était pas une mauvaise idée, parce qu’ils déçoivent toujours lors des matchs à élimination directe. Au final, ils vivent cette défaite comme un vrai scandale. Et vous ferez pareil dimanche soir si ça se passe mal pour vous !
Donc, pour toi, l’Islande n’a plus aucune raison d’avoir peur de se frotter aux grosses écuries.Je pense qu’on n’en a jamais eu peur. Nos joueurs ne se focalisent pas sur les noms prestigieux qui sont en face. On joue avec notre cœur, c’est ça notre force ! Après, ça va être très compliqué de se retrouver au Stade de France face à 80 000 personnes. Je pense que les Français vont nous prendre au sérieux, ce qui devrait leur permettre de gagner.
Quels sont les ingrédients, selon toi, qui ont fait de cette Islande la it-team de l’Euro ? Les gens se prennent facilement d’affection pour l’équipe d’un petit pays, qui a un parcours qui sort de l’ordinaire, avec des valeurs honorables. Quand Bjarnason marque un but, il le célèbre avec toute l’équipe, à l’inverse de Cristiano Ronaldo par exemple. C’est un groupe d’amis qui vit une histoire à la Cendrillon, quelque chose dont ils auraient à peine rêvé il y a un an de ça.
Tu n’es pas un peu frustré que l’Europe ait l’air de découvrir seulement maintenant les qualités sportives de ton pays, alors que toi et tes partenaires handballeurs l’avez déjà fait briller, avec notamment une médaille d’argent au JO en 2008 ?Je ne t’apprendrai rien si je te dis que le handball n’a pas la même résonnance que le foot ! Notre médaille à Pékin, où d’ailleurs nous avions perdu en finale contre la France, n’avait pas fait énormément de bruit. En Islande, le foot est le sport le plus populaire, bien avant le hand. Nous avons juste eu plus de reconnaissance jusqu’à maintenant, parce qu’on était le seul sport collectif qui arrivait à exister au niveau international. Aujourd’hui, le football islandais a énormément progressé et, même s’il fait plus d’ombre au handball, c’est aussi bien comme ça. Nous ne sommes pas jaloux !
Étant donné qu’il y a seulement 320 000 habitants en Islande, tu as forcément usé les bancs d’école avec certains des joueurs de l’équipe nationale. En connais-tu personnellement ?J’en connais plusieurs, surtout les plus âgés d’entre eux. Mais en Islande, on se connaît tous au moins de vue et quand tu as un pied dans le milieu du sport, tu fréquentes forcément certains footballeurs. Je suis passé leur faire coucou à leur hôtel à Nice, quand je les croise, on discute. Après, on n’est pas assez proches pour que j’en invite à mon anniversaire !
Dans l’imaginaire des Français, les Islandais sont des Vikings en doudoune qui pêchent du saumon, mais on n’en sait pas beaucoup plus…Nous nous considérons aussi comme des Vikings. Quand on est sur un terrain, on essaye d’invoquer les valeurs de nos ancêtres vikings, ce fighting spirit que l’on retrouve aujourd’hui dans notre football. On a un caractère d’insulaire, donc on a l’habitude de se débrouiller tout seul. Ce sont des choses qu’on nous rabâche depuis tout petit à l’école ou pendant notre formation.
Que gardes-tu de ton expérience en France, alors que tu vas quitter le PSG cet été pour rejoindre Aarhus au Danemark ? Ça a été quatre années fantastiques, avec de belles rencontres et pas mal de titres gagnés [2 championnats de France, 2 Coupes de France, 1 Final Four de Ligue des champions, ndlr]. J’adore la France, je pense que c’est mon pays préféré. Ça va beaucoup me manquer.
Depuis qu’on connaît l’affiche des quarts, as-tu reçu un texto de tes anciens coéquipiers français du PSG, Karabatic, Omeyer, Abalo and co? Non, pas encore. À l’heure actuelle, ils ne doivent pas être assez sereins pour venir me chambrer. Ils vont d’abord laisser le match passer, et si ça se finit bien pour vous, ils ne me rateront pas !
Propos recueillis par Mathieu Rollinger