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Quand le football tue en République démocratique du Congo

Par Christophe Gleizes
8 minutes
Quand le football tue en République démocratique du Congo

Brillamment qualifiée pour la CAN, la République démocratique du Congo souffre pourtant d'un football gangréné par la violence dans les stades. Ces dernières semaines, trois supporters ont trouvé la mort dans de terribles affrontements en marge de rencontres du championnat. Malgré les remontrances de la CAF, la Fédération congolaise ne parvient pas à endiguer le phénomène avec ses moyens limités.

Ses oreilles saignent. Ses narines et sa bouche aussi. Tandis que la vie le quitte petit à petit sous les coups répétés d’une foule en furie, des tirs assourdissants éclatent pour disperser les manifestants armés de pierres et de couteaux. Les assiégés se plaquent contre le sol, le nez dans le sable et la poussière. Tandis que les bombes lacrymogènes se dissipent enfin, le corps inerte du policier, qui protégeait les joueurs regroupés au centre du terrain, est sauvé de justesse de ses agresseurs prêts à l’achever. Aux dernières nouvelles, son diagnostic vital était toujours engagé. « Je tremblais couché à terre tellement l’attaque des supporters était ciblée et redoutable » , se remémore Cheibane Traoré, l’attaquant du Tout Puissant Mazembe, qui se souviendra longtemps de ce match face à Muungano disputé le 1er décembre dernier. Quelques minutes auparavant, l’arbitre Léon Kibumbi venait de siffler la fin de la rencontre, scellant la victoire courte mais précieuse de visiteurs satisfaits au stade de la Concorde (0-1). En tribunes, l’ambiance dégénère. Remontés par la défaite, les supporters encadrent le terrain de façon menaçante. Bordés d’insultes et privés d’issues, les joueurs des deux équipes ainsi que les officiels du match se replient dans le rond central, sous la protection heureuse d’un cordon de sécurité, qui peine à repousser les assaillants à coups de boucliers. Après quelques minutes incertaines entre la vie et la mort, les vandales sont finalement dispersés. En attendant la prochaine opportunité…

« Certains supporters sont de véritables malades mentaux »

L’agressivité des supporters est un sujet bien connu en République démocratique du Congo. « Le pays est habitué à la violence, notamment à l’Est avec la guerre du Kivu qui fait des millions et des millions de morts. Comme partout, le football reflète la société, explique sobrement Claude Leroy, qui a par deux fois été le sélectionneur de la RDC. Le football est une véritable institution dans le pays, les gens sont passionnés à l’extrême. De tels débordements sont fréquents car les stades, pourtant plein à craquer, ne sont pas aux normes. » Difficile dans ces conditions de garantir la protection des footballeurs et des arbitres, à la grande détresse de Roland Scheubel, le consultant officiel du Tout Puissant Mazembe, quadruple champion national en titre : « Il n’y a aucun dispositif de sécurité. Quand vous voyez que dans certains stades, ce sont les spectateurs qui forment la ligne de touche, vous avez tout compris… » Et le Belge d’énumérer petit à petit les débordements qui ont émaillé une année particulièrement coûteuse en vies humaines.

Le 23 novembre dernier, déjà, une rencontre opposant le FC Saint Éloi Lupopo au Sanga Balende de Mbuji-Mayi avait été marquée par de violents affrontements entre la police et les supporters. La mairie de Lubumbashi, la seconde plus grande ville du pays, avait confirmé dans la foulée le décès de trois personnes avant d’annoncer l’ouverture d’une enquête. « Les supporters de Lupopo sont de loin les plus terribles, certains sont de véritables malades mentaux, reprend Roland Scheubel, d’un ton fataliste. Concrètement, les problèmes ne sont pas près de s’arrêter. Quand on voit qu’il y a eu trois morts, et que la sanction, c’est 5500 dollars d’amende pour le club, il y a de quoi se poser des questions. Certes, l’enquête suit son cours, mais on sait déjà qu’elle ne va rien donner. » Selon des sources hospitalières, deux des victimes ont été tuées par balle et la troisième est morte piétinée par la foule lors des échauffourées avec la police, qui a tiré à balles réelles sur les individus les plus véhéments, à l’origine mécontents d’un but égalisateur refusé à leur équipe.

« L’incompétence caractérisée des forces de l’ordre »

Il aurait préféré « parler d’autre chose » , mais Florent Ibengué est bien placé pour décrypter le phénomène. À la fois entraîneur de l’AS Vita club et sélectionneur des Léopards, l’homme a vécu de près l’une des plus grandes tragédies du football congolais. C’était le 11 mai dernier, à Kinshasa, lors d’un match opposant ceux que l’on surnomme les Dauphins noirs à leur rival de toujours, le Tout Puissant Mazembe. Tout a commencé à la 87e minute de jeu, lorsque Rainford Kalaba a préféré ne pas frapper un corner sous les jets de bouteilles et de pierres de quelques supporters acharnés. Très vite, la police est intervenue à coups de grenades lacrymogènes, provoquant la débandade dans les tribunes, où les spectateurs ont commencé à se ruer de façon désordonnée et désespérée vers les issues, allant même jusqu’à casser des portes. Dans la confusion générale, un mur du stade s’est écroulé.

Vidéo

Écrasées par la foule, quatorze personnes ont trouvé la mort dans la bousculade, tandis que les autorités médicales ont recensé 21 blessés. « Je ne pense pas que ce soit particulier à notre pays – hooliganisme n’est pas un mot congolais que je sache -, mais c’est vrai qu’il y a un gros problème d’éducation chez nos supporters » , explique le sélectionneur national, en admettant qu’un tel drame aurait pu être évité avec plus de discernement. « Évidemment, il faut améliorer nos stades, mais il faut surtout favoriser la justice pour que nos enceintes cessent d’être des zones de non-droit. » Dans un communiqué publié dans la foulée, les supporters de l’AS Vita club se sont défendus en dénonçant de leur côté « l’incompétence caractérisée » des forces de l’ordre « qui ne savent pas maîtriser un petit groupe de lanceurs de pierres et recourent d’une manière disproportionnée aux gaz lacrymogènes, à tout bout de champ, sur une foule compacte comme celle d’un stade, avec les risques évidents de bousculades que cela comporte » . Au stade des Martyrs, qui porte bien son nom, le Tout Puissant Mazembe a ce soir-là fêté son quatrième titre de champion consécutif dans la honte et dans le sang.

« La violence n’a pas sa place dans le football africain »

Alerté par ces pratiques intolérables, Issa Hayatou, le président de la Confédération africaine de football (CAF), a prévenu fin novembre la Fédération congolaise : « Le football doit rester un moment de communion, de fraternité, de partage, de célébration et de joie en phase avec la légendaire culture d’hospitalité et de solidarité des peuples d’Afrique. C’est donc toujours avec émotion, consternation, mais surtout une réprobation véhémente que nous percevons des événements pareils. » Fermement engagée dans la lutte contre les violences, l’instance continentale a présenté ses condoléances au football congolais tout en exigeant des explications et des sanctions à l’égard des coupables. Elle a aussi exprimé son désir de voir la FECOFA garantir au mieux la sécurité de tous à l’avenir et appelé de ses vœux un environnement apaisé.

« Le football africain ne saurait être le terreau de quelque phénomène de hooliganisme que ce soit » , avait déjà précisé le dirigeant de la CAF en août dernier, à l’occasion de la mort du footballeur Albert Ebossé, tué par un parpaing lancé par ses propres supporters : « Nous attendons que des sanctions exemplaires soient prises, car la violence n’a pas sa place dans le football africain en particulier et le sport en général. Nous nous investirons avec la dernière énergie pour éradiquer toute forme de violence ou de comportement antisportif sur tous les stades du continent. » Bien que représentative, la RDC est en effet loin d’être un cas isolé. « Cela peut aussi arriver au Congo en cas de très mauvais résultat, mais ce n’est pas comparable, le Congo, c’est 4 millions de personnes, la RDC, c’est plus de 77 millions d’habitants ! On peine à l’imaginer, mais c’est cinq fois la France, on parle d’un pays-continent qui est en train de se construire » , souligne Claude Leroy avec indulgence, tout en précisant depuis Brazzaville : « Il faut avoir du courage et de l’ambition, mais c’est compliqué pour la FECOFA de faire face au problème avec les moyens dont elle dispose actuellement. »

« Il faut prendre le problème à bras-le-corps »

Faute d’infrastructures, d’encadrement et de possibilités financières, ce phénomène rampant vire aujourd’hui à la sinistre banalité. « C’est un vrai problème qui handicape la qualité du football congolais » , estime d’une voix grave Florent Ibengué, avant d’ajouter : « Personne ne mérite de mourir ni d’être blessé en venant voir un match, on se rend au stade pour faire la fête et pour être en joie. À l’image d’autres pays, il nous faut prendre le problème à bras-le-corps. » D’après le sélectionneur national, la situation actuelle est d’autant plus dommageable qu’il « n’y a pas beaucoup de pays où le football est autant aimé qu’en RDC… Pour un simple match de championnat de la ligue de Kinshasa – et je ne parle même pas de la ligue nationale -, il peut y avoir entre 40 000 et 50 000 spectateurs ! Un tel engouement ne se retrouve nulle part ailleurs en Afrique, c’est absolument incroyable… En réglant nos problèmes de violence, il y a moyen de faire en sorte que le football ait un écho magnifique dans tout le pays. »

Reste maintenant à agir avec fermeté. Pour Roland Scheubel, la situation ne pourra évoluer tant que la FECOFA ne punira pas les clubs « qui ne remplissent pas les conditions imposées par la CAF » , soit en leur imposant « quelques matchs à huis clos » , soit en leur infligeant « des points de pénalité » . En attendant, les morts se succèdent et la situation devient chaque jour plus désespérée. Au milieu du marasme, cependant, une belle histoire a réchauffé les cœurs congolais. Déclaré mort par les autorités au stade des Martyrs en mai dernier, le petit Emmanuel Ndoko s’était fracturé le bras avant de se faire piétiner par la foule chassée par les policiers. Tombé dans un coma profond, le jeune garçon de 13 ans s’est finalement réveillé vers une heure du matin à la morgue de l’hôpital de Kinshasa, comme par enchantement. Alertées par ses cris désespérés, les infirmières de garde ont couru pour le secourir avant d’annoncer l’impensable à sa famille endeuillée : au milieu des larmes, un miracle était arrivé.

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