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- Interview William Prunier (2/2)
Prunier : « Ferguson était le Guy Roux écossais »
Après une première partie consacrée à ses années françaises, seconde partie de l'entretien avec William Prunier, entre Manchester United, les rues de Naples, Batistuta et sa reconversion d'entraîneur.
Comment tu te retrouves à Manchester United ?J’étais à cette époque aux Girondins de Bordeaux. C’était ma deuxième année là-bas et, au bout de cinq mois, j’ai eu un souci avec une personne dans le club. Je n’ai pas accepté la sanction que j’ai reçue et j’ai décidé de résilier mon contrat. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé sans rien. Mon agent a alors commencé à me parler d’un intérêt du Celta Vigo. C’était un challenge qui m’intéressait. Bam, deux jours après, il me rappelle et me dit : « On va attendre un peu pour le Celta. Manchester United cherche un défenseur. » Ils voulaient me voir à l’essai pendant dix jours. Voilà comment je me suis retrouvé là-bas et, derrière, j’ai signé un contrat de deux mois avec un protocole d’accord où je devais signer ensuite trois ans. J’ai fait mes matchs et il y a eu un problème de pognon.
Tu pensais te retrouver un jour dans un tel club à l’entraînement ?
Honnêtement, non. Je pensais que j’étais fait pour le football anglais, où j’avais vraiment envie d’aller jouer un jour dans ma vie, et il y a eu cette opportunité qui m’a permis d’y toucher. Mais se retrouver à Manchester United… Même Éric Cantona, avec qui j’étais à Auxerre, ne savait pas que j’allais signer.
Quand il te voit au Cliff, il te dit quoi ?Il était aussi surpris que moi, mais il était content en même temps. C’est le moment où il revenait de suspension. Finalement, j’ai fait un match avec la réserve, deux en Premier League, plusieurs entraînements, c’était une expérience extraordinaire. C’est dommage que tout ça ait capoté sur une connerie.
Qu’est-ce qui t’a marqué principalement avec Sir Alex Ferguson ?J’ai eu l’impression de retrouver le même personnage que j’avais connu pendant onze ans. C’était le Guy Roux écossais. Le même, exactement le même, travailleur, rigoureux, avec de la discipline, un mec qui ne pensait qu’au football et qui protégeait toujours ses joueurs. C’était assez fou.
Il voulait te garder ?Il voulait attendre un petit peu… Mais s’il m’avait fait jouer un match avec les pros, c’est qu’il me faisait confiance.
C’est ce qu’il a souvent expliqué sur ton cas. Tu avais joué contre QPR (victoire 2-1) à domicile pendant les fêtes et il t’aligne ensuite à Tottenham (défaite 4-1) pour voir comment tu réagis à l’extérieur.Oui, et sur ce match, il modifie toute la défense par rapport au match contre QPR. Il m’avait mis avec les frères Neville dans l’axe. Bon, c’était le football anglais, mais on n’avait pas eu la réussite. C’est comme ça.
Ça t’a fait chier de partir ?J’ai toujours eu ce petit truc sur le cœur qui m’a gêné, oui. Derrière, j’aurais pu signer à Southampton, mais ça ne s’est pas fait et je me suis retrouvé au Danemark, à Copenhague.
C’est un pays où le football anglais est très regardé. Mon agent avait alors reçu un coup de fil du président du FC Copenhague pour que je vienne tout de suite. Je n’ai pas hésité, j’ai filé. On parle d’un club qui joue la Ligue des champions, qui joue l’Europe tous les ans, avec un public de malades. À chaque match à domicile, c’était 40 000 personnes. J’étais le premier joueur français à venir jouer au Danemark. En quelques mois, je suis devenu une idole. J’ai fait pas mal de trucs avec la presse là-bas. Les premières photos, on m’avait mis un béret sur la tête et une baguette sous le bras. J’avais fait la une du journal comme ça. Ça m’a fait plaisir d’être reconnu. Malheureusement, ce n’était pas dans mon pays.
Surtout que tu sortais d’une expérience où l’argent avait pris le dessus sur le sportif. C’est un truc qui te dérangeait déjà à ton époque ?Je n’ai pas joué au football que pour le pognon. Sincèrement, quand je suis parti à Copenhague, j’ai gagné de l’argent, mais ça n’avait rien à voir avec le reste. En fin de saison, ils m’avaient même proposé trois ans de contrat et j’ai refusé. Ma famille m’avait suivi là-bas. Mon objectif était de rentrer en France. J’avais soufflé quelque temps et j’avais le sentiment que je devais revenir. Pour montrer que je n’étais pas fini, surtout que j’étais encore jeune. J’arrive à Montpellier, mais résultat, un an après, je repars (rires).
À Naples.Un jour, des gens de Naples sont à Montpellier pour superviser Ibrahima Bakayoko. Et ils tombent sur moi parce qu’ils cherchaient aussi un défenseur. De là, ils ont contacté mon agent et je suis parti là-bas. Le président Nicollin m’avait demandé ce que je voulais faire, mais, pour moi, c’était clair. C’était une belle opportunité à saisir, financièrement pour Montpellier aussi même si j’étais bien au club. J’étais, en plus, dans une situation personnelle spéciale vu que ma femme était enceinte.
Tu avais retrouvé à Montpellier un esprit à la Auxerre ?Exactement. C’est pour ça que j’étais venu et pour une personne comme Nicollin. Quand tu as connu dans le football français Guy Roux, Tapie, après, il te reste qui ?
Nicollin ?Voilà. J’avais besoin de ça moi. Pour être encore au top, j’avais besoin d’une certaine pression, d’être entouré par certaines personnalités. En tant qu’entraîneur, c’est pareil, je marche à la pression.
C’est ce que tu trouves à Naples ?Là, c’est particulier.
J’arrive, on part en stage deux jours après et je me retrouve avec quarante-deux mecs pendant un mois. Ma femme était enceinte, elle accouche, je demande l’autorisation de quitter le stage et on ne me laisse pas partir. Je venais d’arriver, mais ne pas me laisser rentrer, ça m’a fait mal. J’ai connu mon fils, il avait déjà une semaine. Je peux te dire que ça, ça m’a chauffé. Pire, l’entraîneur qui m’avait fait venir se fait virer deux mois après. Et après, ça devient l’enfer. Je me retrouve sur le banc, je ne joue plus à l’exception d’un match de coupe. Parfois, je me retrouvais même en tribune. Bon, en revanche, la ville était magnifique, mais c’était chaud en même temps. C’est pour ça que je voulais y aller.
C’est pour ça que tu voulais aussi aller à Courtrai ?J’étais à la recherche d’un club, j’avais quelques équipes françaises, mais on ne s’est pas entendus. Résultat, après le mercato, je me retrouve sans rien. Michel De Wolf, l’entraîneur de Courtrai, qui était passé par l’OM, me contacte parce qu’il cherche un défenseur. Banco, je pars en Belgique.
Au bout de cette route, en 2004, tu es l’un des premiers à partir finir ta carrière au Qatar. Pourquoi ?J’avais besoin de me ressourcer. Après la Belgique, je suis parti à Toulouse qui venait d’être relégué en deuxième division. Je vais te le dire honnêtement, j’étais payé au match. Le directeur sportif était Didier Couécou. C’était le deal de départ. Je lui ai dit : « Ok, je vais te montrer que j’ai des couilles. » C’est parti comme ça. Et sur ma première saison, je crois que c’est l’année où je fais le plus de matchs. Puis, il y a eu la montée, la rétrogradation, le dépôt de bilan, je suis resté avec Sadran en National… On est remontés, on est champions, on est de retour en Ligue 1, mais j’ai besoin de souffler. J’avais trente-six ans. Et on m’a demandé de venir au Qatar. Je suis resté six mois. Pourquoi pas ?
C’est quoi ton rôle là-bas ?Surtout apporter mon expérience. C’est ce que l’entraîneur, Pierre Lechantre, m’avait demandé. J’étais à Al-Sailiya. Je voulais aussi voir comment ça se passait là-bas. Le football était en train de se développer au Qatar et j’ai passé de très bons moments même si le niveau n’était pas très élevé. Il y avait cinq étrangers par club. J’avais rencontré Batistuta, Guardiola…
Du coup, tu t’es retrouvé au marquage de Batistuta ?Exactement. Je ne sais plus trop comment ça s’était passé, mais c’était sympa. J’ai servi à mon échelle à développer le football au Qatar. Après, je suis rentré en France et je me suis posé la question suivante : qu’est-ce que je vais devenir ? J’ai été sollicité par des clubs de Ligue 2 et de National, mais j’étais cuit. J’étais fatigué de tout ça.
Parce que le foot avait changé aussi ?Possible… En vingt ans, j’avais connu plusieurs générations. Bien sûr que ça avait changé, ça s’était amélioré dans plein de domaines, il faut s’adapter, mais bon… C’est compliqué. J’étais aussi fatigué parce que j’avais bourlingué. Je suis parti de chez moi, j’avais quatorze ans et je termine à trente-six. J’avais envie de me stabiliser. Ce dont je suis fier, c’est d’avoir pu prendre la décision de m’arrêter, personne ne l’a fait à ma place.
Tu as eu peur de prendre cette décision ?C’est dur. Tu en profites pendant quelques mois et après, c’est le vide total. On se dit merde, on fait quoi maintenant ? C’est le moment où je me suis rapproché de l’UNFP, où j’ai eu des entretiens et où on m’a conseillé de devenir entraîneur. Pour moi, c’était impossible. On m’a forcé la main et j’ai essayé. C’est parti de là. C’est vrai que j’avais pas mal observé mes entraîneurs – de très bons d’ailleurs –, mais je ne m’étais jamais imaginé dans cette position.
Qu’est-ce qui te plaît dans ce métier ?Quand j’ai commencé à passer mes diplômes à Clairefontaine et que j’ai rejoint Stéphane Paille en tant qu’adjoint à Cannes en 2007, je me suis rendu compte que c’était un truc de fou. Je retrouvais les mêmes sensations que quand j’étais joueur : la même excitation, la même envie, la même odeur.
Tu es devenu ensuite numéro un, mais surtout dans des clubs de quartier, à la Jeunesse Sportive Cugnalaise, à Marseille Consolat… Qu’est-ce qui fait la différence dans des clubs comme ça ?On met les mains dans le cambouis putain !
C’est ça que j’aime bien. C’est pour ça que j’ai fait tout ça, j’aime la difficulté. Tu me parles de Cugnaux, c’est moi qui éteignais les projecteurs à 22h le soir. J’en suis fier. Je fermais les vestiaires, je fermais le stade. Dis-moi quel entraîneur de haut niveau a fait ça ? Aucun. Et moi, j’ai envie de réussir ça : je n’ai que 49 ans, mais j’ai envie d’avoir mis les mains dans le cambouis avant d’atteindre le haut niveau. Pour moi, tout ça, c’était une obligation. J’aurais pu, après mes diplômes, filer dans un club professionnel tranquille, prendre une réserve pro comme je le fais aujourd’hui à Montpellier… mais j’avais envie d’en chier avant.
Qu’est-ce qu’on apprend de plus dans cette période de galère ?J’ai appris énormément. Tu tombes sur des joueurs qui ne sont pas hyper doués. Tu en as des doués, mais tu en as aussi des pas doués et tu as envie de les faire progresser, de leur apprendre des choses. J’ai encore régulièrement au téléphone des mecs que j’entraînais à Cugnaux. Ils sont fiers d’avoir pu jouer un jour en DH ! Certains ne pensaient jamais y arriver un jour. Après, il y a eu Colomiers pendant trois ans, c’était un niveau supérieur, la CFA. Mon objectif, chaque année, était de se maintenir. La première année, on termine quatrièmes. La seconde, champions. On va en National, on se maintient et je vais à Consolat. C’est un moment où tout le monde m’a dit que j’étais fou. Ce qui m’intéressait, c’était de débarquer dans un club qu’il fallait structurer, où il y avait pas mal de travail à faire, où il faut du temps, mais plus le niveau monte, plus les gens sont pressés. J’aime bosser dans la difficulté, mais il faut du temps pour ça.
Ce que te donne la réserve d’un club professionnel comme Montpellier (il en était l’entraineur entre 2015 et 2017, ndlr), non ?Oui, mais il faut aller vite quand même… Il faut former les jeunes rapidement. C’est aussi comme ça que tu apprends. Le boulot est différent : tu es là pour former, pas pour avoir des résultats. Tu dois former des hommes. En deux ans, j’ai pas mal appris en transformant des gamins en hommes.
Tu leur rentres dans la gueule pour ça ?Beaucoup de gens disent que je suis un coach assez dur. Je ne le cache pas, mais mes joueurs m’aiment je pense. Je suis dur parce que je suis là pour les faire réussir et progresser. Je sais qu’avec les nouvelles générations, c’est plus difficile, il faut être plus positif avec eux, mais bon, j’essaye surtout d’être juste. Ma force, je pense, c’est que je ne mentirai jamais à mes joueurs. Si un joueur n’est pas bon, je lui dis et je ne vais pas lui faire croire qu’il ira un jour en Ligue 1. C’est des choses qu’on ne dit pas aux joueurs.
Les nouvelles générations travaillent vraiment moins ?On travaille différemment aujourd’hui. Je pense que dans un club comme Montpellier, où il y a moins de moyens pour récupérer les meilleurs joueurs à cause du marché et où on récupère souvent les deuxièmes choix, on doit plus travailler, c’est normal. Ici, il n’y a que ça qui va payer. Moi, je suis passé en bossant devant de meilleurs joueurs que moi, donc c’est ce que je dis à mes joueurs aussi. Ce n’est pas l’armée non plus hein, mais faut se faire violence. La réussite n’est qu’à ce prix.
Propos recueillis par Maxime Brigand