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Philippe Poutou : « Je n’ai jamais été proche des groupes ultras »

Propos recueillis par Nicolas Kssis-Martov
6 minutes
Philippe Poutou : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Je n&rsquo;ai jamais été proche des groupes ultras<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Dans la liste des candidats à la présidentielle, avec ses airs de gentil garçon, Philippe Poutou fait figure de candide qui croit encore en la révolution et en un monde meilleur. Mais que peut bien penser du foot actuel un ouvrier marxiste en campagne, coincé entre un Emmanuel Macron « ultra du capitalisme » supporter de l'OM et un Benoît Hamon « social-démocrate » du Stade brestois ?

L’extrême gauche a la réputation d’être anti-foot. C’est toujours vraiment le cas ?Il est vrai que le courant dont est issu le NPA s’avérait plutôt anti-foot pro. La plupart d’entre nous ne s’intéressent pas vraiment au sport professionnel, en grande partie à cause du pognon et du chauvinisme qui y sont véhiculés. Cela finit par représenter à peu près toutes les choses contre lesquelles on se bat.

Et quant à vous, puisque vous êtes de Bordeaux, vous êtes plutôt rugby ?Non, je suis foot. J’en parle peu.

J’allais à Lescure quand j’étais gamin. D’ailleurs, aujourd’hui, je boycotte le nouveau stade et j’espère tenir ma ligne de conduite. C’est scandaleux d’avoir construit un truc pareil.

J’ai toujours hésité à évoquer ces sujets un peu personnels. J’allais à Lescure quand j’étais gamin. D’ailleurs, aujourd’hui, je boycotte le nouveau stade et j’espère tenir ma ligne de conduite. C’est scandaleux d’avoir construit un truc pareil. Nous avions un stade vraiment sympa, avec une architecture originale, et qui n’était quand même pas toujours plein. La seule raison de passer à cette nouvelle enceinte consistait à engranger plus d’argent, notamment avec le naming. En plus, cela a coûté très cher aux collectivités locales. Après, j’ai eu la chance de vivre la grande période d’Alain Giresse ou Dieter Müller, le titre de 1984, la demi-finale contre la Juventus de Turin…

Les supporters des Girondins ont la réputation d’être plutôt à gauche. C’est aussi cela qui vous fait pencher vers ce club ?C’est l’un des problèmes dans le foot. Chez les supporters, tu trouves de tout et certains groupes ultras ne cachent pas leur orientation d’extrême droite. Des supporters ont des comportements ou des discours racistes. À l’opposé, d’autres s’affichent antifas et antiracistes, notamment à Bordeaux. Une contre-manif aura lieu ce dimanche contre la venue de Marine Le Pen, j’ai discuté avec des ultras qui s’y préparaient. Personnellement, je n’ai jamais été proche des groupes ultras. Il s’y exprime une sorte de chauvinisme que je trouve assez désagréable, même en faveur de l’équipe que tu soutiens.

J’imagine que de voir autant de ferveur et d’engagement dans les tribunes ou dans la société, cela doit rendre parfois amer quand on est militant et qu’on se démène au quotidien pour changer la société ?C’est sûr. On se fait souvent la réflexion. Tu te retrouves à 200 lors d’un rassemblement de solidarité avec les migrants et le même soir 30 000 personnes se massent au stade.

Tous ces plateaux avec Pascal Praud : quand je tombe dessus, cela me désole sur le fond et la forme. Même pour le foot.

C’est un peu le rôle du sport pro, de ce show business permanent : détourner les gens, du pain et des jeux. Je n’oppose pas les deux en fait. On pourrait avoir les deux, la lutte et le spectacle. En fait, davantage que d’aller au stade, qui peut être un moment convivial et collectif, c’est vraiment ce flot de commentaires, d’émissions d’après-match, cette machine à broyer la pensée à la télé ou dans la presse, qui m’horripile : oublier ses malheurs et ne pas penser. Tous ces plateaux avec Pascal Praud : quand je tombe dessus, cela me désole sur le fond et la forme. Même pour le foot.

Dans les années 70, un joueur comme Dominique Rocheteau ne cachait pas ses sympathies pour la LCR. Aujourd’hui, cela semble inimaginable qu’un pro se positionne proche du NPA. Comment l’expliquez-vous ?Effectivement, désormais, cela paraîtrait presque incongru. Le foot et tous les sports pros, y compris le rugby, ont suivi l’évolution de la société. Les joueurs semblent de plus en plus déconnectés de ce que subit la majorité de la population. Je me rends compte de la différence quand je me rappelle quel type de contacts de proximité nous avions quand j’étais gamin, le rapport avec des types comme Gernot Rohr, qui s’arrêtait pour discuter tranquillement avec nous. Aujourd’hui, leurs revenus, leur richesse, alors que la pauvreté augmente, les éloigne de ce que nous vivons tous les jours. C’est pour cela que les footeux se révèlent si peu nombreux à prendre position sur quoi que ce soit, le racisme ou encore les violences policières. Des personnalités, pourtant pas si éloignées dans le temps, comme Lilian Thuram ou encore Robbie Fowler de Liverpool qui avait dévoilé un tee-shirt de soutien aux dockers en grève, semblent inimaginables aujourd’hui…

Par ailleurs, les footballeurs sont souvent regardés avec mépris, en raison de leur origine sociale, un peu comme vous sur le plateau de On n’est pas couché face à Ruquier…
Il y a effectivement une forme de mépris de classe, ce regard condescendant sur leur façon de parler, de s’exprimer. Mais en en même temps, ils sont aussi idéalisés, on se sert d’eux pour asseoir une certaine propagande politique, l’idée qu’on peut s’en sortir sans avoir besoin de changer la société, qu’on peut y arriver « tout seul » . Cela nourrit beaucoup de faux espoirs dans la jeunesse des quartiers populaires.

Alors quels seraient les traits caractéristiques d’un foot anti-capitaliste ? Voici un certains temps, des camarades de la LCR sur Bordeaux avaient créé un club en foot loisir qui s’appelait « Foot Rouge » , en se revendiquant de l’antifascisme, l’antiracisme, voire du communisme. J’ai croisé récemment à la fac des jeunes qui ont lancé un club dans le même genre avec un nom à la soviétique genre Dinamo si je me souviens bien (le Torpedo 1917, en fait, ndlr). Le foot n’est pas indépendant de la société. Il est noyé dans le fric, le virilisme, le nationalisme. Un autre foot doit s’inscrire dans le courant contraire. Le sport peut être progressiste. Par exemple, je sais que des sociologues, des éducateurs travaillent sur la question de la compétition, comment rendre le sport plus ludique que compétitif. C’est insupportable ce discours porté par les footeux à base de « je suis un compétiteur » . Il faut aussi s’en affranchir. Et puis franchement, je n’ai pas le sentiment que le foot proposé à l’heure actuelle soit plus spectaculaire. Peut-être plus rigoureux tactiquement, plus physique, mais j’ai l’impression que cela neutralise le spectacle. Je veux bien reconnaître que lorsqu’on vieillit, nous avons tous tendance à défendre que tout était mieux avant. Je regarde encore le foot et c’est quand même ce que je ressens. J’assume !

À ce propos, si vous suivez encore un peu l’actualité, comment analysez-vous la polémique autour de la non-sélection de Karim Benzema en équipe de France, qui pour le coup dépasse le simple cadre sportif ? Des observateurs, voire une partie des amateurs de foot pensent qu’il n’est pas en bleu en raison de ses origines, parce qu’il s’appelle Karim. Dans le contexte, l’argument est impossible à négliger. Je pense qu’il y a effectivement du vrai. C’est par ailleurs tout le problème du foot. Car en outre, il faut tenir compte des types de personnalités « fabriquées » chez les pros, certaines que je trouve assez désagréables, ultra-individualistes, avec un discours très « ultra-libéral » … Cela se mélange évidemment avec les préjugés racistes. Le foot est malheureusement, quoi qu’il s’y dise, traversé par le racisme, l’homophobie, une profonde hypocrisie sur tous ces sujets.

Pour conclure, quelles seraient les mesures que vous prendriez concernant le foot si vous étiez élu ? Il faudra mener un combat rigoureux contre le chauvinisme, le racisme et l’homophobie qui y règnent. Ensuite, il s’impose de libérer le foot du pognon, en revenir à un sport amateur dans l’esprit du moins. La question ne tient pas au fait que les joueurs soient payés, mais tout ce système, emblématique du capitalisme qui accompagne son développement : le mercato, les agents de joueurs, les constructions de stade pour le seul bénéfice du BTP, etc. C’est hyper-destructeur.

Dans cet article :
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Propos recueillis par Nicolas Kssis-Martov

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