- Pays-Bas
- Décès de Joan Cruyff
Pays-Bas–Hongrie : et Cruyff s’envola
C’était le 7 septembre 1966 dans l’antre du Feyenoord. Cruyff avait 19 ans et a enfoncé les portes à l’Ajax de Michels. 23 buts en 25 matchs et un titre national qui en appela trois autres. Les Oranje se cherchaient un chevalier après la non-qualification pour la World Cup anglaise histoire de filer à l’Euro italien. Ils n’ont pas réussi, mais Johan a explosé. Dès sa première. Ses liens avec la Hongrie ne s’arrêtent pas là. Un match gala, un choc UEFA et un ex-coéquipier aux USA en témoignent.
Ça n’aurait dû être qu’une formalité. Avec Florián Álbert et deux quarts de finale de Coupe du monde, dont un modèle de football contre le Brésil amputé de Pelé, la Hongrie ne devait faire qu’une bouchée des Bataves et empocher deux points à l’aise dans la course à l’Euro 68. Le premier Championnat d’Europe des nations nouvelle formule incluant des poules qualificatives. En plus, les Magyars étaient déjà des vieux briscards du cuir, tandis que les Néerlandais se sont professionnalisés au mitan des fifties. Oui, mais ce soir-là, ce sacré filou de Johan avait envie de dézinguer l’arrogance hongroise. Et il l’a fait.
Devant 65 000 spectateurs, la Hollande subit les assauts des Magyars avant d’agir. À la demi-heure, Miel Pijs crochète deux vis-à-vis et déclenche un missile aux 25 mètres qui mystifie Antal Szentmihályi. Puis arrive l’instant Cruyff. 51e minute : dégagement du portier, semi-talonnade à la réception en se retournant, sprint boltien dans le dos de Kálmán Mészöly, double poussée de balle et patate du gauche catapultée au fond. Pays-Bas 2, Hongrie 0. Rotterdam exulte. Le gamin à peine majeur et titulaire à l’Ajax pré- « football total » vient de justifier sa convoc’ en pile-poil dix secondes.
« Gosse maigrichon »
Le pari du technicien teuton Georg Kessler exfiltre la terre des polders de sa platitude footballistique. Jusqu’à cette rentrée 1966, les Bataves ne parlaient ballon qu’au passé en contant les exploits d’Abe Lenstra. Légende du SC Heerenveen et quatrième meilleur buteur de l’histoire ex-aequo avec Cruyff (47 sélections, 33 pions), cet attaquant de grande facture aurait pu connaître un destin à la Johan si ses coéquipiers et lui s’étaient mieux dépatouillés pendant le baby-boom. La Coupe du monde et l’Euro lui passeront sous le pif. Cruyff se frottera à cette frustration en 1970 et 72. À chaque fois pour un cheveu. Au Stadion Feijenoord, la mèche rebelle de Johan taille des croupières aux proprets Bene, Rákosi et consorts maculés de brillantine. Cruyff chahute les héritiers de L’Équipe d’or qui s’en sortiront à 2-2 et laveront l’affront au retour (2-1, octobre 1967).
Les Néerlandais piqueront aux Magyars le monopole du beau jeu sur le Vieux Continent détenu depuis l’époque insensée de Puskás-Kocsis et coach Sebes.
Álbert reste out deux piges (1969), les Magyars manquent le Mondial 70 à cause d’un match d’appui foiré contre la Tchécoslovaquie et l’édition 74 à la différence de buts. La classe va se barrer à l’Ouest. Szentmihályi, rempart vedette de l’Újpesti-Dózsa SC, saluait la qualité de la frappe de Cruyff à la fin des hostilités : « J’ai vu comment filait la balle. Juste avant qu’elle ne parte, j’ai décidé de rester debout. Quoi qu’il se produise, je me disais que j’aurais au moins une infime chance comme ça. C’était un beau tir, un tir extrêmement précis. En me couchant, j’ai senti le ballon glisser entre mon annulaire et mon petit doigt, puis quitter la paume de main au point de penalty. » Dans le même article, Népsport hallucine : Mészöly « aurait dû fracasser ce gosse maigrichon sans palmarès » .
Accointances danubiennes
Johan n’est pas de la revanche hongroise à Budapest, suspendu un an par sa fédé pour un vilain rouge face à la Tchécoslovaquie deux mois après son étincelante entrée en matière. Son remplaçant, Jan Mulder, peine à l’éclipser. La connexion avec Klaas Nuninga a moins de mordant. Le feu follet se cherche et se retire momentanément du game international. Il privilégie le championnat maison le temps d’empocher une seconde couronne avec l’Ajax plus la Coupe. Il inscrit 33 goals en Eredivisie et dégoûte les charnières avec Piet Keizer. 122 réalisations sur la saison 1966-67. Un record. Cruyff retrouve la Hongrie en 1975 lors d’un double choc Barça-Vasas en UEFA. Victoire 4-1 sur l’ensemble de la confrontation, dont deux passes décisives de « Nummer 14 » . Le petiot avait définitivement changé de level : leader des « Oranje » , quasi-champion du monde, triple vainqueur ajacide de la C1, triple Ballon d’or et recrue catalane à deux millions de dollars de Michels. Trois ans auparavant, il suppléait le Magyar Ferenc Bene au retour des vestiaires lors d’un match de gala Europe versus Amérique du Sud. Puis en côtoya un autre, György Kottán, lors de son exil chez les Los Angeles Aztecs (1979) avec Rinus comme boss.
Le fameux Kottán raconte :
« Cruyff approchait de la fin de sa carrière, mais il était encore facile sur ses jambes, rapide, et on ne pouvait absolument pas lui voler le ballon vu son niveau. Je jouais juste derrière lui, sur la gauche du milieu de terrain. En évoluant à ses côtés, j’ai compris pourquoi on le considérait comme le meilleur footballeur du monde dans lesseventies. C’était un mec direct, sympathique, la grande gueule de l’équipe. Il aimait paraître, certes, mais rien ne laissait penser qu’il deviendrait un coach aussi couronné de succès. Il fumait déjà énormément, que ce soit dans le vestiaire ou à la pause. » Malgré ses accointances danubiennes, Johan n’a jamais battu les Hongrois en dehors de sa période blaugrana. Il vivra en néo-retraité la déconfiture du 17 octobre 1984 où la triplette poupine Rijkaard-Gullit-Van Basten s’incline 4-1 en éliminatoires du Mundial 86, alors que les Bataves menaient au score. La grâce que Rudolf Noureev voyait en Cruyff avait déserté les Pays-Bas jusqu’au triomphe de 1988. Là-même où, un soir de septembre 1966, le prince d’Amsterdam esquissait sa légende. Face aux Magyars.
Par Joël Le Pavous