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Soudain le Soudan
Des 16 équipes engagées dans la Coupe d'Afrique des Nations 2012, le Soudan apparaît très certainement comme la plus énigmatique. Aucun joueur connu au bataillon, aucune participation à une Coupe du Monde. Et pourtant, un groupe qui ambitionne de sortir d'une poule extrêmement relevée, composée de deux favoris, la Côte d'Ivoire et le Burkina Faso, ainsi que des Antilopes noires d'Angola.
Mercredi 11 janvier, Mohammed Abdullah Mazda a dévoilé la liste des 23 Crocodiles du Nil qu’il emmènera barboter en Guinée équatoriale et au Gabon pour la Coupe d’Afrique des Nations 2012. Ne vous faites pas d’illusions, des 23 Soudanais, vous n’en connaissez aucun. Et pour cause : au contraire de la majorité des équipes nationales africaines, la sélection du Soudan puise son réservoir au sein même du pays, dans le championnat local. Pas de star de Premier League, de têtes connues de Ligue 1, ni de buteur fou de Bundesliga. Seulement 23 Crocos qui ne jouissent assurément pas de la même visibilité en Europe que leurs compères africains.
Pour vulgariser la chose, le Soudan est un peu la Roja africaine. En effet, 19 des 23 Soudanais sélectionnés viennent de deux équipes différentes : Al Hilal et Al Merreikh, les deux clubs de la ville d’Omdurman, qui viennent remplacer le FC Barcelone et le Real Madrid ibériques. Pas le même standing, certes, mais une rivalité infernale qui étouffe le championnat soudanais. Rendez-vous compte ! La ville d’Omdurman, la plus grande du pays, située sur le Nil face à la capitale Khartoum, règne sans partage sur la Sudan Premier League depuis sa création en 1962. 23 titres pour Al Hilal, 18 pour Al Merreikh, des miettes pour les douze malheureux clubs restants. Et quand on parle de miettes, il s’agit de trois titres nationaux, glanés par le Burri Khartoum, Al Hilal Port Sudan, et Al Mourada.
Un peu d’Histoire…
Une équipe, un championnat et un entraîneur inconnus. Une 113e place au classement FIFA. Et alors ? Les Faucons du désert, autre surnom animalier de l’équipe soudanaise, peuvent se targuer d’un palmarès pas dégueu dans la compétition continentale, dont ils sont les pionniers. Sur sept participations, le Soudan comptabilise un succès, est arrivé deux fois en finale et a accroché une troisième place. Intéressant sur le papier. Il est tout de même nécessaire de situer le contexte : nous sommes en 1957. Le Soudan a proclamé son indépendance un an plus tôt, le 1er janvier 1956, se libérant du condominium anglo-égyptien. Le tout jeune pays accueille la toute première Coupe d’Afrique des Nations, soit quelques mois seulement après le premier match officiel de l’équipe nationale (défaite contre l’Éthiopie 2 buts à 1). L’équipe, affiliée à la FIFA depuis 1948, croisera le fer avec l’Éthiopie, l’Égypte et l’Afrique du Sud. Cette dernière, rongée par l’Apartheid, sera interdite de compétition. Une défaite face à l’Égypte et puis s’en va. Le Soudan termine troisième, et bon dernier de cette édition inaugurale.
1959 : on prend les mêmes et on recommence. Sauf que, échaudés, les Crocodiles ne se font pas avoir deux fois et gagnent leur premier match contre l’Éthiopie. Ils concéderont malgré tout une défaite en finale contre des Égyptiens tenants du titre. Le Graal continental sera décroché en 1970. Une nouvelle fois organisée par le Soudan, la CAN, étoffée pour l’occasion à huit équipes, est pour la première fois retransmise sur les télévisions africaines. Sur ses terres, le Soudan vient à bout 1 à 0 du Ghana, et remporte là son premier – et unique – trophée (reconnu) international.
Gloire, déchéance et espoir
S’en est suivie une période noire pour le football soudanais. Une participation à la CAN en 1976, puis plus rien pendant 32 ans, jusqu’à un malheureux premier tour de la CAN 2008, quittée par la petite porte après trois défaites 3 à 0 contre la Zambie, le Cameroun et les Pharaons égyptiens, encore eux. Une période de disette footballistique qui apparaît naturelle au regard des énormes difficultés politiques que connaît l’État. Le plus grand pays africain jusqu’en 2011, et l’indépendance de Sud Soudan est miné par les conflits ethniques, notamment au Darfour.
De la grande époque soudanaise subsistent quelques grands noms, qui ont fait la gloire du pays. Parmi eux, Ali Gagarine, dont le nom fait encore briller les yeux des amoureux du ballon rond. Haidar Ali Sediq de son vrai nom, tient son sobriquet des supporters du club d’Al Hilal, avec lequel il a inscrit la bagatelle de 350 buts en 12 ans, qui l’ont surnommé comme le cosmonaute soviétique Yuri Gagarine, premier voyageur spatial. Le géant soudanais, qui a fait les belles heures de son équipe nationale entre 1966 et 1980, a une anecdote qui lui tient particulièrement à cœur : « En 1987, El Hilal dans la cadre de la Coupe d’Afrique est allé rencontrer le Canon à Yaoundé. Un enfant qui devait avoir 7 ou 8 ans, je n’y étais pas, on me l’a raconté, est venu voir l’équipe en criant : « Je veux le maillot de Gagarine, je veux le numéro 9, je veux le maillot de Gagarine ! ». Vous savez comment il s’appelait ce tout jeune garçon ? Samuel Eto’o. Il porte le numéro 9, non ? » . Misons sur Haitham Mustafa, actuel recordman en sélection (102 capes) et nouvelle gloire nationale, pour remplacer l’ancienne légende dans les cœurs soudanais.
Aujourd’hui, le Soudan se prépare pour sa huitième Coupe d’Afrique des Nations. Les Faucons du Désert ont été défaits 3 à 0 contre la Tunisie et 1 à 0 contre le Sénégal en amical. L’entraineur Mohammed Abdullah Mazda s’est montré optimiste après le revers concédé face aux Lions le 12 janvier dernier : « Ça a été un bon match, nous nous rapprochons de notre objectif. J’ai une équipe composée de joueurs locaux. Notre but à la CAN, c’est d’arriver aux quarts de finale » . L’objectif est fixé, et leur belle campagne de qualification (quatre victoires, un nul, une défaite), peut leur permettre de rêver à partir du 21 janvier. Et si soudain, le Soudan se soulevait ? Rêver, c’est déjà ça…
Par Arthur Scherer