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Missiles, Lippi et Corée-phobie
Dernière de son groupe de qualification pour le Mondial 2018, la Chine, avec Marcello Lippi à sa tête, reçoit jeudi la Corée du Sud, sa bête noire absolue, qu'elle n'a vaincue qu'à une seule reprise en près de trente confrontations. Le tout sur fond de tensions liées au bouclier antimissile développé par Séoul, afin de se protéger des offensives de son voisin du Nord, soutenu par Pékin.
L’équation est connue. D’un côté, la Corée du Nord, ses tirs de missiles expérimentaux et son chaperon chinois. De l’autre, son voisin sud-coréen, qui dénonce la surenchère militaire, tout en se réarmant en conséquence, avec le soutien appuyé des États-Unis. Saupoudrez le tout d’un match de football entre la Corée du Sud et une sélection chinoise en pleine crise et vous ne pourrez obtenir qu’une rencontre au contexte forcément sulfureux.
Ultime bête noire
Histoire de bien planter le décor de cette 32e opposition entre la Chine et la Corée du Sud, il faut d’abord évoquer ce bilan qui sonne comme une malédiction aux oreilles d’un football chinois aux ambitions dévorantes : 18 défaites, 12 nuls, un seul succès face au voisin sud-coréen depuis 1978. Le phénomène est si marquant que la presse chinoise n’a pas manqué de lui donner un nom : Konghanzheng, qu’on peut traduire par « Corée-phobie » . Un terme qui désigne la peur tenace qui semble habiter les têtes et les jambes de l’équipe nationale de Chine à chaque fois qu’elle croise la route de la Corée du Sud. Un problème souligné en 2010 par Fan Zhiyi, alors capitaine de la sélection chinoise : « La Corée-phobie, c’est comme une montagne qu’on doit porter sur nos épaules. On a essayé d’innombrables fois de s’en débarrasser… » Un complexe qui serait néanmoins simplement dû aux différences de niveau importantes existant entre les deux sélections, rétorquait alors dans la foulée le vice-président de la Fédération chinoise de football, Liu Xiaohua : « La Corée-phobie est seulement issue d’une différence de niveau… mais cette différence est appelée à devenir de plus en plus faible dans les années à venir… »
Problème : alors que le championnat chinois connaît une explosion médiatique et financière colossale conforme au souhait du président Xi Jinping de faire de son pays un mastodonte de la planète football, la sélection nationale, elle, patine, voire régresse. Alors que le football sud-coréen s’est maintenu à des hauteurs tout à fait respectables, atteignant notamment la finale de la dernière Coupe d’Asie des nations, la Chine est toujours dans les bas-fonds du classement FIFA, aux alentours de la 80e place. Et est empêtrée dans une campagne de qualification désastreuse pour la prochaine Coupe du monde en Russie, reléguée au dernier rang d’un groupe dominé par l’Iran et la Corée du Sud. Si bien que la Fédération chinoise a dû se résoudre à aligner les zéros pour se payer un sauveur cinq étoiles en la personne de Marcello Lippi, nommé à la tête de l’équipe nationale fin octobre dernier, moyennant un contrat pharaonique de 4,5 millions d’euros par an.
Le missile sur le gâteau
Comme si le contexte sportif n’était déjà pas suffisamment lourd pour la sélection chinoise, là voilà qui reçoit ce jeudi le rival sud-coréen sur fond de tensions géopolitiques musclées. Face aux menaçants tirs expérimentaux de missiles de son frère ennemi nord-coréen, le Sud a en effet commencé à développer depuis mi-2016, avec l’appui des États-Unis, un système de défense antimissile. Une initiative qui a jeté un sérieux froid entre Séoul et Pékin, qui voit dans le projet une menace pour la sécurité nationale chinoise. Le match aller opposant Sud-Coréens et Chinois, disputé début septembre 2016 à Séoul, s’était ainsi joué dans un contexte tendu, symbolisé par la surveillance accrue des supporters, auxquels était interdite toute banderole à connotation politique : « Les bannières avec des messages politiques ont été confisquées, confiait au New-York Times Park Yong-soo, un dirigeant de la Fédération coréenne de football. Ce match est bien sûr différent des autres. La situation est très sensible. »
Plusieurs mois plus tard, rien n’a changé ou presque. Les tensions entre les deux États ont même connu un nouveau pic récemment, l’armée américaine ayant débuté en mars le déploiement effectif de son dispositif antimissile en Corée du Sud. « Les États-Unis et la Corée du Sud en subiront toutes les conséquences » , a réagi le ministère des Affaires étrangères chinois. Dans le même temps, la Chine refusait à l’association coréenne de football l’autorisation d’un vol pour Séoul juste après leur match face aux Chinois, censé permettre aux Coréens de rentrer chez eux pour préparer leur prochaine rencontre de qualification face à la Syrie le 28 mars. « Les facteurs extérieurs autour de ce match ne vont pas nous perturber » , a prévenu le sélectionneur coréen Uli Stielike. De fait, la pression semble plutôt sur les joueurs chinois. Et sur Marcello Lippi. Qui découvre sans doute qu’en Chine, plus que partout ailleurs, les rivalités sportives grandissent en parallèle des antagonismes politiques.
Par Adrien Candau