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Mélissa Plaza : recherche temps libre et égalité

Par Aymeric Le Gall
9 minutes
Mélissa Plaza : recherche temps libre et égalité

Mélissa Plaza a une vie bien remplie. Quand elle ne joue pas sous les couleurs de l'En Avant de Guingamp en L1 féminine, la jeune femme a le nez dans sa thèse de STAPS en psychologie sociale et cognitive. Portrait d'une hyperactive convaincue et déterminée.

Dans le monde du foot féminin, Mélissa Plaza passerait presque pour un OVNI. Milieu de terrain à l’En Avant de Guingamp, cette jeune femme de 27 ans, native de Haute-Garonne, n’a que très rarement une minute à elle. C’est bien simple, son agenda professionnel est au moins aussi rempli que celui d’un ministre du travail en pleine crise économique. En plus d’une carrière de footballeuse professionnelle qu’elle mène depuis près de 15 ans, Mélissa a entamé pied au plancher sa dernière année de doctorat en STAPS, avec à la clé la rédaction d’une thèse de 300 pages en psychologie sociale et cognitive. Son sujet d’étude ? Les stéréotypes sexués dans le sport et l’impact que ces croyances peuvent avoir sur la population en matière de participation ou d’abandon sportif. « Après ma licence de STAPS, je me suis orienté vers un master recherche qui conduisait forcément à un doctorat derrière, nous explique-t-elle deux heures avant son entraînement à Saint-Brieuc avec l’EAG. En M2, on nous a demandé de choisir une discipline de prédilection. J’aurais pu choisir n’importe quoi, mais il s’est avéré que le thème de psychologie sociale que proposait le laboratoire m’intéressait au plus haut point. J’y ai presque vu un signe du destin parce que ça correspondait à ce que je vivais au quotidien dans le football. »

À contre-courant, mais toujours dans la bonne direction

Même si le foot féminin entre peu à peu dans les mœurs, le fait d’être une fille et de tâter habilement le cuir peut encore surprendre certains mâles réfractaires et bourrus. Et encore, si des progrès ont été faits dans ce domaine en quelques années, ce n’était pas franchement le cas quand la néo-Guingampaise a débuté le football. Fan de ballon rond depuis toute gamine, elle a dû batailler sec pour se faire une place dans un milieu qui sent la virilité et la testostérone. « Déjà avec les copains dans la cour de récré, c’était un peu ça. On me regardait de haut, et puis finalement, au bout de quelques parties, j’étais la première fille choisie dans les équipes. En fait, j’étais même la première tout court à être choisie ! » , ironise-t-elle, non sans une pointe de fierté. Les préjugés sur les femmes et le sport ont encore la vie dure, et elle a pu en faire l’expérience tout au long de sa vie : « Quand je suis arrivé en STAPS et que j’ai pris l’option foot, j’ai souvenir de quelques garçons qui étaient contre ça et qui nous chambraient pas mal. Et là pareil, au bout de 2-3 entraînements, je ne les entendais plus. » Au premier petit-pont passé à un garçon, ce sont des siècles et des siècles d’idées reçues qui rejaillissent et égratignent la fierté masculine : « Quand je mettais un crochet à un gars et que je finissais sur un but, ses copains le chambraient forcément. Mais c’était bon enfant. Et puis c’était sympa de les faire redescendre un peu (rires)! » Si les footeux finissent vite par ranger leurs stéréotypes aux vestiaires (les sportifs font allégeance au talent et à rien d’autre), ce fut un tout autre problème au sein du cercle familial. « À part mon père qui était content, pour le reste ça a été difficile, notamment pour les figures maternelles comme ma mère ou ma grand-mère » , admet le milieu de terrain bretonne.

La première licence, le Chili et le MHSC

Fan de foot depuis qu’elle sait se tenir sur ses deux jambes, Mélissa met tout de même un certain temps à sauter le pas. Sa première licence, elle la signe au CS Saint-Pierre-en-Faucigny (Haute-Savoie) en 1997. Pas « d’effet Coupe du monde 98 » donc pour cette gamine de 9 ans. Par chance, le club possède déjà à l’époque sa propre section féminine. Un avantage qui s’avère être avec le recul un léger handicap. La preuve : « Je me dis aujourd’hui que j’aurais peut-être dû commencer avec les garçons, parce que le foot féminin n’était pas très développé et je pense que j’aurais probablement progressé un peu plus vite avec eux. » Après deux années passés en Savoie, Plaza décide de lancer les grandes manœuvres en s’inscrivant au concours d’entrée de Clairefontaine. Malgré un premier échec, les éducateurs lui conseillent tout de même de tenter sa chance à La Roche-sur-Yon qui, dit-on dans l’antre historique des Bleus, est un très bon club formateur. Après des tests fructueux, la voilà qui entre en sport-étude en Vendée. De ses six saisons passées là-bas, Mélissa ne garde que des bons souvenirs : « C’était la plus belle période de ma vie en fait. J’y ai trouvé des amis, une famille, j’ai découvert les valeurs de la vie, et on va dire que d’une certaine manière, c’est le foot qui m’a sauvé d’un environnement familial compliqué. Le foot, c’est ce qui m’a toujours tiré vers le haut et qui fait de moi ce que je suis aujourd’hui. »

Une fois le lycée derrière elle, la future doctorante opte, comme c’est souvent le cas quand on jongle entre le foot et les études, pour un parcours en STAPS. En 2008, ses performances en club ne passent pas pas inaperçues. Elle tape ainsi dans l’œil des sélectionneurs de l’équipe de France U20 qui dispute cette année-là les Mondiaux au Chili. Malgré une deuxième année cruciale en licence, Mélissa Plaza ne réfléchit pas un seul instant avant de s’embarquer dans cette aventure hors du commun. « C’était incroyable. Bon, j’avoue que c’était un peu dur parce que j’ai dû ensuite rattraper tous les cours ! Mais pour une première expérience en équipe de France, c’était vraiment chouette. D’ailleurs, on va jusqu’en demi-finale et vu que j’étais titulaire lors de la compétition et que j’avais fait de bons matchs, j’ai été repérée par Montpellier qui m’a ensuite appelée en me proposant de les rejoindre. C’était le début de l’aventure. Enfin, de mon aventure professionnelle. » À son retour d’Amérique latine, direction le Sud de la France pour un plongeon dans le grand bain du foot pro.

Un terrain d’étude taillé sur mesure

Au MHSC, dans l’Hérault, Mélissa découvre le foot haut niveau : « Les infrastructures n’étaient pas les mêmes qu’à La Roche, les salaires non plus, même si au début, j’y allais pour pas grand-chose en matière de salaire. J’y allais surtout pour progresser et voir ce que c’était que le haut niveau. » C’est aussi là-bas que la jeune fille fait le pari des études supérieures. Après quatre saisons sous les couleurs chères à Loulou Nicollin, c’est le grand OL qui fait appel à ses services. Et si elle n’a peut-être pas eu l’occasion de faire totalement son trou chez les Gones, la faute à un effectif d’une qualité incomparable, Mélissa a pu vivre de l’intérieur le foot féminin dans ce qui se fait de mieux en Europe. Désormais doctorante spécialisée en psychologie sociale, Plaza ne pouvait imaginer meilleur terrain d’étude pour sa thèse sur les stéréotypes sexués dans le sport. Un travail de recherche qui lui permet aujourd’hui de porter un regard des plus passionnants sur le milieu. Et sans langue de bois. Jamais. « Dans le sport, ces stéréotypes sont encore très présents et ça a un impact considérable sur le comportement des individus. Le choix des activités sportives est grandement affecté par ces stéréotypes et ça commence dès l’enfance. C’est dommage… »

Et que dire alors du foot, milieu très masculin et conservateur au possible ? « C’est hyper frustrant, souffle Mélissa. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de gens dans les hautes instances qui sont encore réfractaires au foot féminin. » Et ce n’est pas la mythique, mais non moins honteuse punchline de Bernard Lacombe sur les ondes de RMC qui viendra mettre à mal ce constat. Mais l’étudiante en bac+8 refuse de tirer sur l’ambulance : « Je pense qu’il a dû le payer cher. Surtout qu’à l’inverse, M. Aulas est très investi dans ce projet depuis des années et il le porte à bout de bras. Mais c’est vrai que ce genre de phrases est très courant dans le foot. Je ne sais pas si, à terme, je finis par en rigoler ou par en être totalement dégoûtée… » Malgré ça, rien ni personne ne lui feront perdre de vue son combat. Une bataille sur le champ des préjugés qui est loin d’être gagnée. « L’enjeu, tient-elle à rappeler, c’est que tout le monde puisse pratiquer quelque chose qui lui plaît. Et moi, j’entends encore trop de mères qui disent « Ma fille a voulu se mettre au foot, au grand dam de son père. » C’est triste d’entendre encore ça aujourd’hui… Le but finalement, c’est que tout le monde se dépense physiquement et soit en bonne santé, point barre. »

La dernière ligne droite

La vie de la joueuse guingampaise ressemble, toute proportion gardée, à un parcours du combattant. Luttant pour ses idées, revendiquant sa liberté de penser et de choix, et jonglant entre une thèse qui demande énormément de travail et une carrière de footballeuse tout aussi exigeante, les efforts de Mélissa au quotidien imposent le respect. D’autant que si les footballeurs ont un train de vie qui permet de rendre leur métier agréable, c’est encore loin d’être le cas pour les filles. « C’est une vie de sacrifice. Sur le plan financier, il faut avouer que ça reste compliqué quand on ne joue ni à Lyon ni au PSG ou dans quelques rares autres clubs comme Montpellier ou Juvisy. Vivre d’un salaire en foot pro féminin, ce n’est pas facile. » Avec son futur diplôme de docteur, la joueuse espère au moins avoir assuré ses arrières : « Concrètement, après la thèse, je peux envisager un peu plus sereinement l’avenir que si je n’avais rien fait à côté du foot. » Cette double vie menée tambour battant, Mélissa Plaza ne l’échangerait pour rien au monde, même si elle avoue se sentir parfois « un peu incomprise. Incomprise dans le sens où ces deux mondes, footballistique et universitaire, ne se mélangent que très rarement » . À quelques mois de sa soutenance, la Costarmoricaine est au bout du rouleau. « Ahlala, c’est la débandade !, lâche-t-elle en rigolant. C’est dur physiquement et j’en paye les conséquences. J’ai eu de grosses blessures et je sais que c’est en partie dû à cet emploi du temps de malade que je m’inflige tous les jours. Au point que tu finis par te poser des questions. Qu’est-ce que je fais ? Est-ce que je continue ? Mais j’ai l’intention de maintenir le cap et de devenir la première docteure en psychologie footballeuse professionnelle ! J’ai la volonté de m’en sortir parce que jusqu’ici, je me suis démerdée toute seule dans ma vie et personne ne m’arrêtera. » Foi de Mélissa !

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